Le Sénat adopte une version allégée du durcissement du droit du sol à Mayotte

L'hémicycle lors d'une séance de questions au gouvernement au Sénat, à Paris, le 5 mars 2025.
Les sénateurs ont facilement adopté mardi soir la proposition de loi Les Républicains visant à restreindre davantage les conditions d'accès à la nationalité française dans l'archipel. Ils ont néanmoins décidé que les conditions de résidence régulière sur le territoire pour permettre à un enfant de devenir Français ne doivent concerner qu'un seul des deux parents, et non les deux. Élus de l'Assemblée nationale et du Sénat doivent désormais trouver un compromis avant l'adoption définitive de la loi.

"Ne venez pas accoucher à Mayotte." Voici en somme le message que veulent envoyer les parlementaires et le gouvernement aux migrants en situation irrégulière qui débarquent sur le territoire mahorais. Mardi 25 mars, un mois et demi après un vote similaire à l'Assemblée nationale, le Sénat a adopté la proposition de loi Les Républicains (LR) visant à durcir l'accès à la nationalité française pour les enfants nés de parents étrangers. Avec un objectif : maîtriser l'immigration clandestine dans le département le plus pauvre de France.

"Chaque année, des milliers de femmes enceintes prennent des risques pour accoucher sur le territoire national", a soutenu le ministre de la Justice Gérald Darmanin, estimant que l'attrait de la nationalité française crée un appel d'air migratoire. Partisan historique d'un durcissement du droit du sol – il avait d'ailleurs proposé de le supprimer à Mayotte lorsqu'il était ministre des Outre-mer –, il a, sans surprise, soutenu le texte LR au nom du gouvernement.

Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, à Paris.

"Cette pression migratoire pèse lourdement sur la population mahoraise", a souligné Stéphane Le Rudulier, sénateur (Bouches-du-Rhône, LR) désigné rapporteur de cette proposition de loi. "Les écoles mahoraises ne sont pas en mesure d’accueillir l’ensemble des élèves en âge d’être scolarisés", a-t-il pris en exemple devant un hémicycle parsemé. 

À Mayotte, le droit du sol répond déjà à un régime dérogatoire depuis le vote d'une loi sur l'immigration en septembre 2018. Alors que tout enfant naissant en France de parents étrangers peut obtenir la nationalité française entre ses 13 et 16 ans, lorsqu'il est né sur le sol mahorais, il doit justifier qu'un de ses deux parents résidait de manière régulière sur le territoire au moins trois mois avant sa naissance s'il veut devenir Français. La loi votée mardi par le Sénat augmente cette condition de résidence à un an.

La droite et le centre ont largement soutenu cette mesure de restriction, à l'instar de l'élue de Mayotte Salama Ramia qui siège avec le groupe macroniste RDPI. "Mayotte suffoque", a-t-elle expliqué à ses collègues pour justifier son vote. Pourtant, la sénatrice n'était pas vraiment convaincue de l'efficacité réelle qu'aura cette loi sur les flux migratoires dans le département. "On ne doit pas dire que ça va suffire. Il est clair, ça ne suffira pas, reconnait-elle au micro d'Outre-mer la 1ère. (...) Mais il y a un message fort qui est passé".

Une version édulcorée

La version du texte adopté mardi par le Sénat est pourtant bien différente de celle votée début février par l'Assemblée nationale. En effet, au sortir du Palais Bourbon, la loi prévoyait deux choses : d'abord que les deux parents devaient avoir résidé de manière régulière à Mayotte, et non plus un seul ; ensuite, que cette durée de résidence devait être au minimum de trois ans avant la naissance, et non plus trois mois.

Mais cette mouture de la loi a été jugée "disproportionnée" par le rapporteur Stéphane Le Rudulier. Craignant que la mesure soit inconstitutionnelle, les sénateurs ont donc abaissé la condition de résidence régulière à un an. Aussi, à rebours de leurs collègues députés, ils ont jugé que l'exigence que les deux parents justifient d'une durée minimale de résidence régulière en France à la date de naissance de l'enfant était contre-productive.

Un groupe d'enfants pose sur un terrain vague, le 27 Octobre 2019. En arrière plan, des cabanes de tôle dans le quartier de Kaweni, bidonville en périphérie de Mamoudzou.

Pour le sénateur LR, cette disposition aurait poussé le parent en situation irrégulière à ne pas reconnaître son enfant. L'autre parent, s'il était en situation régulière, aurait alors recherché une personne en situation régulière, elle aussi, pour reconnaître l'enfant frauduleusement. Un phénomène bien connu des élus locaux mahorais. De plus, cette mesure aurait pu être contraire à la Constitution car elle crée un vide juridique concernant les familles monoparentales. 

Lors de l'examen en commission, le Sénat a donc supprimé cette disposition des "deux parents" pour ne revenir qu'à "un seul" parent. La sénatrice mahoraise Salama Ramia a néanmoins tenté de rétablir la version originale du texte, estimant que "les reconnaissances frauduleuses de paternité sont déjà largement répandues" à Mayotte. Il a été rejeté par les élus. "Il va y avoir quand même une discussion sur ce sujet" lors de la navette parlementaire du texte, s'est-elle félicitée en sortant de l'hémicycle.

"Des faux espoirs"

La seule opposition au durcissement du droit du sol est venue de la gauche sénatoriale. "Qui d’entre nous choisit le lieu de sa naissance ? Qui d’entre nous est responsable de la situation administrative de ses parents ?", a critiqué la sénatrice de La Réunion Evelyne Corbière Naminzo (CRCE-K, groupe communiste), jugeant la loi contraire à la Constitution.

Pour certains élus, le durcissement législatif de 2018 n'a pas fait ses preuves. Si le nombre de naturalisations a certes franchement diminué, l'immigration illégale et le nombre de naissances n'ont pas faibli, au contraire. De quoi démonter l'argument de l'appel d'air défendu par le gouvernement. "On ne va pas résoudre les difficultés migratoires en remettant en cause les droits d’accès à la nationalité", a plaidé Corinne Narassiguin (Seine-Saint-Denis, SER, groupe socialiste).

"Force est de constater que le nombre de personnes reconduites à la frontière n’a jamais été aussi important", a souligné le sénateur mahorais Saïd Omar Oili (SER), qui a voté contre la proposition de loi LR. Pour lui, ce texte va "donner des faux espoirs aux Mahorais". Il demande plutôt au gouvernement de travailler sur les cartes de séjours territorialisés, tout comme le souhaite sa collègue mahoraise Salama Ramia. Les élus devraient être reçus par le ministre des Outre-mer Manuel Valls mercredi pour travailler sur la loi Mayotte. Ils devraient donc évoquer le cas de ces titres de séjour spécifiques au territoire mahorais.

Voté dans une version différente de l'Assemblée nationale, le texte doit à présent passer en commission mixte paritaire, où députés et sénateurs devront se mettre d'accord sur une version commune de la loi. Si les deux chambres vont facilement valider le passage des conditions de trois mois à un an de résidence régulière pour permettre à l'enfant de devenir Français, ils doivent à présent trancher la question : cette condition doit-elle s'appliquer à un ou deux parent(s) ? Une fois un compromis trouvé, l'Assemblée nationale et le Sénat devront se prononcer une toute dernière fois sur le texte avant le durcissement effectif du droit du sol à Mayotte.