Novembre 1994, à Mayotte. Le Premier ministre Edouard Balladur débarque sur ce bout de terre de l'océan Indien pour y faire deux grandes annonces : la première sur la tenue d'un référendum concernant les institutions du territoire ; la deuxième sur l'instauration d'une obligation de visa pour les Comoriens désirant se rendre sur l'archipel français. Le chef du gouvernement, futur candidat à l'élection présidentielle de l'année suivante, entérine ainsi la rupture entre Mayotte et les îles des Comores voisines.
Jusque-là, Comoriens et Mahorais pouvaient circuler librement entre les îles d'Anjouan, de Mohéli, de Grande Comore et de Mayotte, liées par une histoire commune. Mais, lorsque les Comores se sont prononcées en faveur de l'indépendance vis-à-vis de la France en 1974, les habitants de Mayotte, au contraire, ont voté en masse pour rester un territoire français – un vote reconfirmé en 1976, avec 99,4 % des électeurs en faveur d'une Mayotte française.
Les liens familiaux, culturels et économiques ont pourtant longtemps perduré entre les Comores et Mayotte. Jusqu'à l'instauration du "visa Balladur", en 1995, qui a clairement durcit les conditions d'entrée à Mayotte pour les étrangers.
Mais cette nouvelle règle ne dissuade pour autant pas les Comoriens de rejoindre l'archipel français. Une filière d'immigration illégale se forme. Des hommes, des femmes et des enfants s'entassent par dizaines dans des kwassa-kwassa pour traverser les 70 km de mer qui séparent Anjouan de Mayotte, mettant le territoire français sous forte pression démographique. De 94.410 habitants en 1991, la population explose et atteint 131.220 en 1997, puis dépasse les 160.000 en 2002... Depuis, le nombre de personnes vivant sur les deux îles de Mayotte a doublé : au 1ᵉʳ janvier 2023, l'Insee recensait 310.000 habitants.
Une exception au droit commun
Entre-temps, Mayotte a obtenu le tant désiré statut de département français, le 31 mars 2011. C'est alors le début d'une politique de convergence des droits économiques et sociaux, afin d'aligner les standards du territoire ultramarin sur les autres départements d'Outre-mer et de l'Hexagone.
Mais la situation socio-économique de l'archipel est tellement singulière qu'il est impossible d'appliquer strictement les mêmes droits à Mayotte. Ainsi en est-il de la politique migratoire. En 2014, trois ans après la départementalisation, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) est étendu au territoire d'Outre-mer par ordonnances. Logiquement, comme ailleurs en France, tout étranger recevant un titre de séjour devrait donc pouvoir circuler librement sur l'ensemble du pays. Mais, à Mayotte, où une part importante de la population n'a pas la nationalité française, une telle libre circulation fait craindre un appel d'air d'immigrés vers la France hexagonale et La Réunion.
Des dispositions spécifiquement applicables à Mayotte sont donc mises en place. "Ces différences par rapport au droit commun découlent principalement de la volonté de dissuader autant que possible l'immigration irrégulière, notamment de mineurs, en provenance essentiellement des Comores (...) dont le niveau de vie est très inférieur" à celui de Mayotte, est-il ainsi justifié dans les ordonnances de 2014.
Entre autres dérogations – sur les recours juridiques, les actions policières, le droit du sol... –, une vise à empêcher le déplacement des personnes en possession d'un titre de séjour délivré à Mayotte vers un autre territoire français sans autorisation (sans autre visa) : ce sont les fameux titres de séjour territorialisés.
"Nous voulons une ordonnance le plus vite possible"
Or, la population, qui manifeste régulièrement depuis des années contre l'immigration et l'insécurité, demande à ce que cette dérogation au droit commun disparaisse afin de desserrer l'étau migratoire sur Mayotte.
Depuis plusieurs semaines, des mouvements citoyens ont donc érigé des barrages pour bloquer le département et alerter l'État sur la situation incendiaire à Mayotte. Face à la crise, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, est dépêché sur l'archipel par le président de la République le 11 février. Il y annonce une réforme constitutionnelle à venir pour supprimer le droit du sol, ainsi qu'une loi Mayotte, qui comprendra, entre autres mesures, une baisse drastique du nombre de titres de séjour délivrés par la préfecture, ainsi que l'abrogation de la territorialisation des titres.
Pourtant, l'annonce ne convainc pas la population. Les collectifs citoyens réclament la fin immédiate des titres territorialisés. Selon Thomas Msaidié, maître de conférences en droit public à l’université de Dembeni, qui était invité sur Mayotte la 1ère mercredi 14 février, la problématique du "titre de séjour territorialisé a été relégué au second plan à Paris. Toute la presse et la classe politique s’est emparée de la thématique du droit du sol. On ne parle plus que de cela. Notre préoccupation n’est pas la même que celle des autorités centrales", a-t-il dit. Ajoutant que "le gouvernement peut régler le problème des cartes de séjour immédiatement, par ordonnance".
Or, au sortir du conseil des ministres, mercredi, la porte-parole du gouvernement a confirmé que cette disposition fera partie du projet de loi Mayotte, qui sera présenté en conseil des ministres le 22 mai prochain, et sera donc examiné par le Parlement les semaines, voire les mois, suivants.
À 8.000 km de Paris, la réponse de l'exécutif n'a pas satisfait les Mahorais et Mahoraises, réunis en congrès à Pamandzi. "Nous ne voulons pas le conditionnement de la levée des titres de séjour territorialisés par la discussion sur le droit du sol ou la loi Mayotte, a réagi Said Kambi, un des représentants du collectif des Forces vives. Nous voulons une ordonnance le plus vite possible sur les titres de séjour et l’instauration d’un état d’urgence sécuritaire."