Mettons un temps de côté la caractéristique linguistique qui distingue déjà ce Jeu de l’amour et du hasard : la première remarque à faire, c’est que l'on passe un très bon moment avec cette version signée Lolita Tergémina Kan Lamou èk lo azar i zoué avek !
Et ce, grâce à ses acteurs tous excellents qui s’accordent à la petite musique de Marivaux à la perfection. Hilarants quand les situations cocasses le demandent et plus solennels quand les exigences et les confusions liés aux sentiments le commandent.
La troupe de la compagnie Sakidi donne par son jeu une partition impeccable pour faire vivre les personnages, tous pris dans ces jeux d’échanges de rôles sociaux : le valet et la servante devenant les maîtres et vice-versa !
Alors leur langue et leur accent, me direz-vous ? Ils sont là et bien là et puis... on les oublie ! D’abord, il ne s’agit pas simplement de transposer un grand classique en langue créole pour le rendre créole. Heureusement pour tous les spectateurs - créolophones ou non - le plaisir de voir Kan Lamou èk lo azar i zoué avek ne s’arrête pas au seul agrément d’entendre le créole réunionnais se fondre dans les mots de Marivaux !
Et pourtant, c’est l’un des principaux arguments de Lolita Tergémina, convaincue que la démocratisation du théâtre dans son île de la Réunion passe par la traduction de grands classiques comme le Jeu de l’amour et du hasard ici proposé.
L’adaptatrice et metteuse en scène nous parle de l’importance de proposer les classiques du théâtre en créole. Le créole, avantage ou inconvénient pour la diffusion de ces spectacles ?
Mais au-delà de la traduction, c’est l’adaptation de la pièce aux caractéristiques de la société créole réunionnaise qui prévaut ici. Tout comme au-delà d’une langue se niche une identité.
Et Lolita Tergémina va bien au-delà de toutes ces questions de langue en nous faisant une vraie proposition théâtrale : une mise en scène alerte, pétillante et maligne pour que l’histoire connue de Marivaux soit compréhensible, claire comme de l’eau de roche pour tout le monde y compris ceux qui ne maîtrisent pas le parler réunionnais.
Et par conséquent, l’on s’amuse tout autant des jeux de masques et de déguisements, de faux-semblants, de méprises et de malentendus dans cette version que dans celle initiale de Marivaux. Et c’est bien tout ce qui importe ! Écoutez ce qu’en dit le public :
"Kan Lamou èk lo azar i zoué avek" de Lolita Tergémina d’après le Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux, dans le TOMA 2022 à La Chapelle du Verbe Incarné jusqu’au 30 juillet 2022.