Privé de festival d’Avignon pour cause de coronavirus, le Théâtre d’Outre-mer en Avignon a trouvé place du 3 au 26 juillet 2020 sur le web. Chaque jour, des pièces d’Outre-mer et d’ailleurs à voir selon une thématique.
Aujourd’hui : geste marron, geste créateur.
Patrice Elie Dit Cosaque •
La sélection du TOMA de l'édition 2020 virtuelle, sur la thèmatique "le geste marron", à voir ou à revoir :
Mâ Ravan’ ;
Écorce de peines ;
Samo, a tribute to Basquiat ;
Tata Milouda et vive la liberté !
Mâ Ravan’- Mise en scène de Philippe Pelen Baldini
Nous sommes presque loin du spectacle. Plus proche d’une cérémonie à laquelle les esprits d’hier sont convoqués.. Peu importe les langues employées issues de cet océan Indien qui a connu la grand douleur, la grande blessure de l’esclavage... Nous comprenons tout : les langues de Madagascar, de l’Ile Maurice, de la Réunion... La langue du colonisateur aussi... Tout est véhicule pour partager les souffrances : les déportations, les séparations, les ruptures... pour comprendre ce qui s’est passé.
Au delà-même des mots, tour à tour danseurs, chanteurs, musiciens, conteurs, acteurs, "passeurs et éveilleurs du jour" comme ils sont aussi décrits, les quatre interprètes utilisent tout pour transmettre cette parole issue de la nuit des temps. Et le fameux tambour, la ravanne est le cinquième acteur de ce spectacle-rituel. Il vit, il parle au son de la percussion et des battements des cœurs essoufflés des grands Marrons qu’il évoque... Ces grandes figures du marronnage qui empruntaient désespérées les chemins vers la liberté, revivent sur scène comme si elles avaient investi le corps des quatre hommes qui donnent l’impression d’être ici et ailleurs... Nous ne sommes pas loin de la possession tellement ces interprètes sont habités...
Mâ Ravan’ est un spectacle puissant qui vous fige... Un spectacle où les corps, les voix, les instruments exsudent leur sueur, leurs cris et leurs chants pour donner, au final, chair à ce qu’il y a de plus indicible au cœur de l’esclavage...
Puis dans une deuxième partie, c’est l’évocation de ceux qui vivent en banlieue, de ce qu’ils sont, de leur héritage avec cette manie de faire du bruit du boucan... Ce sont ses propres réflexions sur l’identité que le rappeur slameur, comédien, Martiniquais de banlieue parisienne, livre au public. Ce spectacle, c’est créer le lien entre hier et aujourd’hui et donc aussi se défaire de ces regard qui collent à la peau... Expliquer sans avoir à se justifier, c’est aussi se débarrasser d’un certain nombre de carcans qui vous fixent, vous figent, vous immobilisent. D’ de Kabal part des origines du mal, descend jusqu’aux racines, porte la parole de sa voix grave et parfois métallique pour mieux la faire entendre puis monte de plus en plus haut dans l’arbre généalogique et l’on entend comment cette souffrance s’est transmise à travers les générations jusqu’aux branches et aux feuilles de l’arbre aujourd’hui. Écorce de peines, un spectacle brut mais travaillé, élaboré dans sa crudité…
Samo, a tribute to Basquiat – mise en scène de Laëtitia Guédon
Toujours la même chose, disait plus trivialement Basquiat qui signait Samo pour the "Same ol' shit"... c’était peut-être sa forme de rébellion à lui : ne pas se laisser enfermer dans la répétition des choses.
Tata Milouda et vive la liberté – Mise en scène de Jean-Matthieu Fourt
À 60 ans passés, la dame encore verte sur scène, se replonge et nous plonge dans son passé de petite fille comme les autres dans un village isolé du Maroc. L’école c’est pas pour elle : le malheur d’être une fille… Son destin, comme bien d’autres avant elle, ce sera le mariage à 14 ans avec un homme plus âgé qu’elle et qui la délaissera. 25 ans et six enfants plus tard, elle décide un jour de partir et de rejoindre la France pour une vie pas forcément tout de suite meilleure. Elle vivra la souffrance des sans-papiers et la séparation plus de cinq ans durant avec ses enfants restés au Maroc en attendant des jours plus fastes. Et pourtant, c’est une joie d’entendre tout le récit de Tata Milouda : car à la voir sur scène virevolter, danser, cabotiner, jouer la comédie et à entendre le parcours d’une vie pas simple parvenir ainsi à nos oreilles, nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle : il est long le chemin pour un chouïa de paradis ici sur cette terre. Accompagnée de deux excellents musiciens, interprétant des airs marocains ou des compositions bien à eux, à la guitare, au violon ou à l’oud, la comédienne Milouda remporte la mise et parvient au final à mettre le public dans sa poche. Et même si tout n’est pas parfait dans la vie comme dans ce spectacle, oui, on ne peut que scander avec elle : vive la liberté !
Toutes ces pièces et la programmation complète du e-TOMA sont à retrouver du 3 au 26 juillet sur www.verbeincarne.fr