Ce n’est pas la première fois que ce texte est porté sur scène ( Ce qu’il faut dire est en fait la somme de trois textes (La question blanche, Le fond des choses, La fin des fins) mais la forme - les formes - que lui donne la metteuse en scène Catherine Vrignaud-Cohen cherche à en restituer toute la force et la vivacité et à rester fidèle à l’écriture de Léonora Miano. Avec Ce qu’il faut dire, texte puissant s’il en est, l'autrice veut, comme le titre l’indique, en venir à l’essentiel. Aux origines du mal et à ses conséquences mais pour aller plus loin, tous ensemble.
En s’attaquant tour à tour et en trois mouvements aux questions d’identité, d’origines, de ce qu’est l’essence même de l’humanité - et en parallèle de l’inhumanité - ; en remontant au cœur de l’Histoire, jusqu’aux fondements du racisme et à ses conséquences, le tout sans ambages, sans langue de bois, sur un ton direct qui interpelle l’auditoire, Leonora Miano capte immanquablement, par ses mots, l’attention.
Et le spectacle mis en œuvre par le trio Catherine Vrignaud-Cohen (à la mise en scène) Karine Pédurand (à l'interprétation du texte) et Triinu Tammsalu (interprétation musicale) rend justice aux mots et à la volonté de l’autrice. Tout fonctionne en paradoxes : décor nu mais habité par la présence des deux interprètes qui, le long du texte, dialoguent par un jeu de regards ; accompagnement musical alternant sons stridents et sonorités plus mélodieuses ; mots assénés tantôt en douceur comme pour aller chercher l’empathie du public tantôt plus violemment comme pour frapper les esprits.
Ni tout à fait plaidoyer, ni tout à fait pamphlet
Ce qu’il faut dire ressemblerait plutôt à un cri issu d’une pensée maîtrisée lucide et consciente. Léonora Miano revient sur le poids de l’histoire coloniale et l’ornière dans laquelle on longtemps été placés les "Afropéens" et "Afropéennes". Et sur leur évolution, dans un monde dont l’autrice rêve qu’il soit débarrassé de ces clivages imbéciles qui disent que "tout est blanc, tout serait bien" ou que "tout est noir tout serait sombre"… Le texte rétablit quelques vérités historiques et souligne les conséquences avec les mensonges et les hypocrisies d’aujourd’hui et les tensions qu’ils créent.
Karine Pédurand, interprète habitée et engagée
À ce jeu, celui de la comédienne Karine Pédurand est parfaitement mené, sensible quand le texte se déploie sous forme d’adresses plus intimes, comme une forme de confession à un interlocuteur, accrocheuse quand elle harangue la foule, le public, lors d’une démonstration implacable (dans la deuxième partie puissante intitulée "Le fond des choses"). Karine Pédurand joue de la puissance de sa voix et de son corps à la hauteur de l’exigence et de l’engagement du texte.
Trois questions…
Écoutez ce que dit la comédienne guadeloupéenne de Ce qu'il faut dire. Trois questions posées à Karine Pédurand :
Un spectacle à entendre à tous points de vue
Ce qu’il faut dire, c’est un retour sur l’Histoire avec évocation de l’esclavage et des colonisations ; ce sont des interrogations sans fard sur ce que sont, aujourd’hui encore, les relations dominants-dominés, Blancs-Noirs ; c’est une exploration intime de la question des origines, de l’identité de ce qui fait un être humain en somme… Ce Ce qu’il faut dire est à voir et à entendre et se déclinera selon les lieux et les scènes visités sous sa forme actuellement visible au théâtre de la Reine Blanche jusqu’à dimanche ou sous sa « petite forme » (cf. tournée).
"Ce qu’il faut dire", texte de Leonora Miano, mise en scène de Catherine Vrignaud-Cohen avec Karine Pédurand et Triinu Tammsalu. Jusqu'au 10 mars au théâtre de la Reine blanche à Paris, puis en tournée.