Théâtres d’Outre-mer en Avignon - "Circulez", y a tout à voir...

Ce qu’il y a de réjouissant avec « Circulez ! » qui se déroule aux Antilles, c’est que le spectateur oscille sans cesse entre comédie tirant jusqu’à la farce, et tragédie poussant jusqu’au drame. 
Si l’on en est un peu perturbé au début, ne sachant sur quel pied l’auteur José Jernidier cherche à nous faire danser, le ton drôle-amer qui nimbe l’ensemble l’emporte et emporte le spectateur.

 
« Circulez ! » c’est un peu le Garde à vue sauce créole  (NDLR : Garde à vue, film de Claude Miller avec Michel Serrault face à Lino Ventura): un homme (Choffroy) qui a survécu à un accident de la route dans lequel son père est décédé - dans des circonstances qui restent à éclaircir- doit répondre aux questions d’un enquêteur venu de France. Celui-ci reprend le dossier qui jusque-là n’a pas pu être traité et conclu par ces prédécesseurs… Pourquoi ? Tout au long de la pièce, petit à petit, l’enquêteur le comprendra : à chaque confrontation, un élément supplémentaire non seulement issu de la vie de Choffroy mais aussi constitutif de l’identité antillaise, vient compliquer un peu plus la donne au point que l’inspecteur y perdra peu à peu son créole… Car pour planter un peu plus le décor, il faut préciser que si Choffroy, le « gardé à vue », est un Guadeloupéen vivant dans l’archipel, Monsieur l’Inspecteur l’est lui aussi, mais ayant fait 25 ans de carrière en France, en Métropole, comme on dit ! Ce qui pimente encore la confrontation entre les deux hommes…
 

La société antillaise dans tous ses états

José Jernidier convoque dans « Circulez ! » tout ce qui fait les grandes caractéristiques et les petits travers des sociétés antillaises (en prenant bien soin de souligner qu’en Guadeloupe comme en Martinique, c’est pareil…) : les graduations dans les couleurs de peau, les traces de  colonialisme toujours présentes, la crainte du quimbois, le goût parfois prononcé pour le rhum, l’adultère (vous apprendrez au passage la différence entre une « maîtresse » et une « bougresse » !) mais aussi le sens de la famille, de la fête…  Tout est distillé avec humour - on rit beaucoup dans « Circulez ! » - ce qui permet à José Jernidier de garder une certaine distance avec son sujet qui aurait pu tout aussi bien donner dans l’autre versant, plus dramatique…
 

Deux acteurs, deux frères

Choffroy et l’Inspecteur sont les deux faces d’une même pièce, deux aspects presque indissociables de la société antillaise, deux conséquences de l’Histoire qui a forgé l’identité même des Antillais. Et ce sont deux frères, Joël Jernidier, comédien rompu à cet exercice depuis 25 ans, et l’auteur/acteur José Jernidier qui se retrouvent côte à côte -et face à face- sur la scène. Et c’est peu de dire que les deux s’en donnent à cœur joie dans cette confrontation au dénouement à la fois prévisible et inattendu… Les deux comédiens sont tantôt drôles tantôt sentencieux, n’hésitant pas à en faire parfois des tonnes pour mieux marquer la rupture et la subtilité de certains moments plus graves. Les répliques fusent par leur voix, donnant tout leur sens et leur mordant aux répliques de l’Inspecteur et de Choffroy, jusqu’à leur gestuelle : chaque acte est ponctué ou débute par une danse façon ladja (danse de combat de Martinique et de Guadeloupe) sur fond de bouladjèl  (sorte de chant polyrythmique de Guadeloupe), ce qui renforce encore la plongée, l’ancrage, dans cet univers créole. La mise en scène de l’ensemble signée José Exélis est également très réussie, permettant aux deux acteurs de… circuler judicieusement selon que l’on passe de l’interrogatoire aux évocations des circonstances de l’accident.
Beaucoup de choses à voir, donc, dans « Circulez ! »… Du vrai théâtre populaire avec toutes ses vertus, y compris celle de faire passer quelques réflexions profondes sur ce qui constitue, ce qui dessine et fonde une société.  

 
« Circulez ! » infos pratiques jusqu’au 28 juillet à 19h40 , à la Chapelle du Verbe Incarné (relâche les 19 et 26 )
Jusqu’au 28 juillet à 19h40 , à la Chapelle du Verbe Incarné (relâche les 19 et 26). Découvrez la pièce par ici, sur le site de la du Chapelle du verbe incarné.