Parmi tous les corps de métier qui composent une équipe cycliste, les assistants sportifs sont aussi discrets, qu’essentiels. On les croise au départ, sur le bord des routes, durant l’étape avec un bidon tendu à la main et à l’arrivée pour accueillir les coureurs et les guider vers le bus ou l’hôtel. Véritables couteaux suisses, ces hommes et femmes construisent le succès dans l’ombre. Ce rôle, c’est celui que joue Fabrice Benard chez TotalEnergies sur le Tour de France. "J’en suis à mon quatrième Tour et je prends toujours autant de plaisir. C’est un métier de passion, en plus on voyage beaucoup", glisse-t-il.
Sourire jovial, le Réunionnais vit sa passion. Ancien cycliste au niveau amateur sur son île, il est arrivé dans l’équipe dirigée par Jean-René Bernaudeau en 2018. Au début, il ne savait pas trop ce qui l’attendait en tant qu’assistant sportif. "C’est David Rivière qui était à la Vendée U qui m’avait expliqué que c’était pour faire les massages et passer les bidons. C’était plus simple que de dire assistant sportif (rires)". Fabrice Bernard a appris et s’est aguerri, notamment au côté de l’ancien cycliste professionnel, le Guadeloupéen Rony Mathias.
Ravitailleurs et ambianceur la journée…
Jeudi 11 juillet, nous le retrouvons à Aurillac (Région Auvergne-Rhône-Alpes) au départ de la 12ᵉ étape. 203,6 kilomètres au programme. Le lâcher des fauves est prévu à 12 h 50. Fabrice Benard, tee-shirt bleu et petite veste sans manche de son équipe sur le dos, prépare les équipements des coureurs : "Là avant le départ, on installe le paddock, on ramène les sacs avec les maillots, puis on y va pour notre premier point de ravitaillement". Deux points de coupe sont au programme du jour pour le Réunionnais, toujours accompagné d’un des kinés de l’équipe, avec qui il forme un binôme jusqu’à la fin du Tour.
"Un binôme de qualité, c’est à souligner (rires)", souffle François Avril [le kinésithérapeute de l’équipe qui vit là son deuxième Tour de France, NDLR]. Les deux hommes se dirigent alors vers leur zone de ravitaillement déjà réfléchie en avance avec le reste du staff. Arrivés sur place, ils préparent les bidons, les poches de glace et les gels à transmettre aux coureurs. Tout est huilé entre les deux compères. "Moi, je suis là pour donner un coup de main aux assistants sportifs lors des tâches itinérantes, détaille François Avril. Le soir, en rentrant à l’hôtel, je m’occupe des soins des coureurs". Fabrice lui va approvisionner les coureurs en glucide et en gel énergétique, tandis que François va lui passer les gourdes d’eau.
L’excitation monte. Quelques badauds s’affairent autour de la voiture, dans l’espoir d’obtenir un petit souvenir. Puis vient le temps des premiers coureurs. François s’éloigne un peu de Fabrice, pour se placer 50 mètres plus haut. Écouteurs aux oreilles, notre assistant réunionnais donne les indications précises de sa position aux cyclistes de son équipe. "Fabrice avec François, 500 m du grimpeur, avec bidon et bas de glace" glisse-t-il via sa radio. Ces derniers, bien informés, récupèrent leurs provisions au pas de course et repartent à l’assaut des derniers kilomètres de cette douzième étape. Sans un mot, ni un regard, les forçats ont traversé ce point.
Le ravitaillement terminé, la pression retombe. Dans la voiture en direction de l’arrivée, le binôme Fabrice et François réfléchit à un parcours pour arriver avant les coureurs sur la ligne. Un quidam curieux de voir les deux hommes, arrêtés sur le bas-côté de la route, le nez penché sur le journal de bord de la course, vient leur donner quelques indications sur la route à suivre pour arriver avant les coureurs. En fin connaisseur du terrain, l’homme leur donne de bonnes indications et notre binôme se lance à corps perdu dans la vallée dans l’espoir d’arriver avant le peloton.
Il n’y a pas de pression quand on donne les bidons, mais c’est plus après quand on veut repasser devant le peloton et qu’on emprunte l’itinéraire hors course que ça remonte. On craint toujours de tomber derrière les coureurs et de ne pas pouvoir aller à notre prochain point ravito.
Fabrice Benard, assistant chez TotalEnergies pour le Tour de France
Une fois sur les bons rails, François se charge de l’ambiance dans la voiture. Musique et blagues à la chaîne, tout en restant concentré sur la route.
… Masseur et confident la nuit
Arrivés quelques minutes avant les coureurs sur la ligne d’arrivée, Fabrice et François sont coincés dans le ballet incessant des voitures composant la caravane du tour. C’est donc dans leur véhicule sous une chaleur de plomb qu’ils assistent à la troisième victoire sur l’épreuve de l’Erythréen Binian Girmay [coureur cycliste chez Intermaché-Wanty, NDLR]. À peine le temps de débriefer cette performance que le Réunionnais s’empresse déjà de charger les huit vélos de course sur le toit de sa voiture pour les emmener vers l’hôtel de l’équipe. "Je dois les ramener le plus vite possible, pour que les mécaniciens puissent les réviser et nettoyer pour l’étape de demain", indique-t-il. Dans l’équipe de mécaniciens de TotalEnergies, on retrouve un deuxième Réunionnais : Olivier Boyer. Ce dernier n’est autre que le cousin de Fabrice.
Les vélos déposés aux mécaniciens, Fabrice Benard enfile sa nouvelle casquette et dernière de la journée : celle de masseur. Pour ce Tour de France 2024, le coureur attitré du réunionnais pour le massage est Sandy Dujardin. "Il faut savoir que chaque assistant à un coureur attitré pour toute l’épreuve généralement, révèle l’assistant réunionnais. C’est une question d’affinité". "C’est le meilleur," glisse en lui coupant la parole Sandy Dujardin. Ce dernier, tombé lors de la 8ᵉ étape de l’épreuve, souffre d’une contusion osseuse du poignet gauche. Entre les mains de Fabrice, il se lâche et discute en toute intimité.
Fafa (Fabrice Benard) c’est un peu la seule personne que je vois pendant une bonne heure. On fait la course et on n’est jamais trop posé. C’est juste ici où on peut se relâcher et parler, relate Sandy Dujardin. Il masse bien et en plus, il est super sympa. On peut parler de tout, on se déconnecte du vélo.
Sandy Dujardin, coureur du Tour de France
"J’essaie de lui remonter le moral, on ne parle pas de choses tristes. Je lui parle de la Réunion, je lui raconte des histoires drôles de l’île, je mets de la musique, du zouk, des musiques réunionnaises, pour qu’il puisse connaître un peu la culture locale", raconte Fabrice Benard. Un moment de partage et surtout des jambes toutes neuves pour la suite des étapes.
Pendant plus d’une heure, Sandy Dujardin restera entre les mains de Fabrice. Au bout d’un quart d’heure, nous avons laissé les deux hommes dans ce moment de vie entre un assistant sportif et son coureur. Ainsi va la vie de ces hommes et femmes, héros de l’ombre, ô combien essentiels aux bons résultats des coureurs.