Tour de France 2024 : où sont les coureurs ultramarins ?

Yohann Gène et Kévin Reza sur les Champs-Elysées dimanche 21 juillet 2015.
Le Tour de France 2024 s’est élancé depuis Florence en Italie le 29 juin, encore une fois sans coureurs ultramarins. Depuis 2020 et la dernière participation du Guadeloupéen Kévin Réza, la présence des cyclistes originaire des départements d’Outre-mer se fait rare. Nous avons investigué dans le peloton de la 111ᵉ édition de la Grande Boucle pour comprendre.

Depuis la dernière participation de Kévin Réza en 2020, les coureurs ultramarins ont disparu des pelotons du Tour de France. "C’est un peu dommage que je sois le dernier", glisse le Guadeloupéen, retraité des pelotons depuis 2021. Aujourd’hui, seuls les Réunionnais Donavan Grondin, chez Arkéa Samsic, et Lorenzo Manzin, chez TotalEnergies, peuvent prétendre participer au Tour de France. Mais ils n’ont pas été retenus par leur équipe pour cette 111e édition. En 2010, Yohann Gène, un autre Guadeloupéen, avait ouvert la brèche en devenant le premier coureur ultramarin à participer à la Grande Boucle. Il en fera sept consécutives. Dans son sillage, on pensait que d’autres coureurs allaient suivre et s’installer. Kévin Réza s’est engouffré en 2013 dans la porte ouverte par son compatriote guadeloupéen. Mais depuis ces deux champions, c’est le néant. Pourquoi ? "C’est peut-être une question de volonté, lâche l’ancien cycliste martiniquais Hervé Arcade. C’est vrai que c’est difficile de franchir le pas, il faut s’adapter à plein de choses, dont la culture, le climat et les tactiques de courses. Il faut avoir la volonté."

Le Guadeloupéen Kévin Réza est le dernier ultramarin à ce jour à avoir participé au Tour de France en 2020.

Au départ de la douzième étape entre Aurillac et Villeneuve-Sur-Lot, nous avons promené notre micro et l’argument du climat est revenu à de nombreuses reprises. Même si cette problématique s’entend, l’ancien vainqueur de l’épreuve en 1975 et 1977, Bernard Thévenet, pense qu’un cycliste doit pouvoir se surpasser quand il a des ambitions. "Il n’y a aucune raison pour qu’un Ultramarin ne réussisse pas ici, estime-t-il. L’Érythrée a réussi, donc pourquoi pas eux ? Après, pour avoir de bons coureurs, il faut des bases solides. Mais quand on est cycliste, il faut savoir faire des sacrifices et ça en vaut le coup". Des sacrifices qu’était prêt à réaliser Hervé Arcarde. Mais il n’a pas eu la "chance" de taper dans l’œil d’une formation professionnelle. "Pour moi, c'était un rêve de participer au Tour de France quand j’étais coureur. Mais le niveau était très élevé, il m’a manqué un brin de chance", relate l’ancien coureur passé par le Team Vendée U.

Un exil compliqué...

Présent sur le Tour en tant que pilote d’une des voitures de l’organisation, le Martiniquais Hervé Arcade estime qu’aujourd’hui le champ des possibles est ouvert. "À notre époque, la conjoncture était plus difficile. Aujourd’hui, c’est plus facile. Il y a des équipes de Division nationale 1, continental, continental pro, World Tour, donc ça crée plus d’étages à la fusée. Mais après, c'est la volonté, car il y a des moyens de prospérer". Des propos qu’a tenu à réfréner légèrement l’ancien vainqueur du Tour Bernard Thevenet : "en France, c’est difficile de passer professionnel, il faut être dans un grand club amateur pour se faire remarquer".

Bernard Thévenet vainqueur du Tour de France en 1975 et 1977, estime que les coureurs ultramarins peuvent performer à un très haut niveau dans l'Hexagone.

Mais la pluralité des divisions annexes avant le monde professionnel peut servir de tremplin aux jeunes générations. "Il faut donner aux juniors de ces territoires la possibilité de se confronter à des coureurs extérieurs sur des parcours en Europe, note Vincent Lavenu, manager général de l’équipe Decathlon-AG2R La Mondiale. Pour moi, c'est la seule solution pour monter en puissance et que les coureurs s’aguerrissent aux rythmes des courses européennes".

Un avis partagé par le coureur professionnel Axel Zingle, engagé sur le Tour de France 2024 et ancien participant et maillot jaune du Tour de la Guadeloupe en 2021. "Je pense que toutes les meilleures équipes devraient s’entendre et envoyer leurs meilleurs coureurs ici, ce serait intéressant. Mais après, c'est toujours la question de la logistique, une équipe ça demande du personnel. Ça coûte beaucoup pour eux de venir dans l’Hexagone, mais ça leur apporterait beaucoup", appuie-t-il. 

Axel Zingle (maillot rose) emmène un groupe de coureurs lors de la 6e étape du Tour cycliste de Guadeloupe au sommet des Deux Mamelles (octobre 2021).

Partir pour aller vivre leur rêve et espérer courir le Tour de France, c’est un choix fort et difficile à faire. En moyenne, les coureurs sont éloignés de leur famille un long moment, "six à huit mois, ce n’est pas évident", lâche Vincent Lavenu. "Puis il faut aussi accepter le fait de venir courir en Europe et devenir un coureur lambda", poursuit Hervé Arcade.

…et un anonymat difficile

Car oui, disons-le, après l’argument climatique, le second point mis en avant par nos différents interlocuteurs est celui de la starification. Car en prenant du recul, dans d’autres sports, les Ultramarins excellent tout en étant soumis à des conditions météorologiques éprouvantes. Hervé Arcade a vite balayé ce point et s’est penché sur celui de mise en lumière rapide des jeunes talents. "Aux Antilles, on a tendance à vite mettre sur un piédestal les jeunes coureurs qui performent dans une épreuve. Alors que je pense que ces derniers ont besoin de partir à l’extérieur pour apprendre et se confronter à une autre culture vélo".

Le Martiniquais Hervé Arcade est confiant. Il pense que dans les prochaines années des coureurs ultramarins seront alignés sur la Grande Boucle.

L’aspect économique joue aussi un rôle majeur. En moyenne, un coureur professionnel gagne 38 115 euros bruts par an, soit environ 2 600 euros net par mois hors prime. Un frein sans doute qui rebute certains à passer le cap et quitter leur territoire, où ils sont parfois mieux lotis. "C’est dommage, car les coureurs ultramarins sont très bons, constate Bernard Thévenet. Je me souviens d’Alain Pauline (vainqueur du tour de la Guadeloupe 1966 et 1967) que j’ai côtoyé lors de mon service militaire, il marchait très bien. Puis, il y avait aussi Christian Merlot champion de France junior en 1977, donc je pense qu’il y avait de la place pour qu’ils fassent de grandes choses dans l’Hexagone".

Il y a de bons coureurs là-bas, quand j’y étais j’ai eu mal aux jambes. C’est vrai que tactiquement, ils ne sont pas encore au point, mais je pense qu’ils apporteraient un peu de folie aux courses ici.

Axel Zingle

Les trois victoires d’étapes de l’Érythréen Biniam Girmay pourraient servir d’élément déclencheur pour les cyclistes ultramarins à l’avenir. "Je n’ai pas réussi à lever les bras sur une course World Tour, mais Biniam Girmay montre le chemin depuis pas mal d’années, c’est un exemple à suivre". Un modèle qui renvoie les idées reçues en queue de peloton et montre que, quelles que soient les origines ethniques, un cycliste peut performer. Le train 2024 du Tour de France est lancé, mais, dans les années à venir, ses wagons pourraient bien embarquer un Ultramarin. Un forçat de la route prêt à prendre le relais de Yohann Gène, Kévin Réza... voire le Martiniquais d’adoption Thomas Voeckler.