Trafic de cocaïne : comment condamner les mules ?

Le parquet de Créteil préconise des peines d’incarcération pour les mules en provenance des Antilles et de la Guyane, y compris dans les procédures de "plaider-coupable". Les avocats refusent d'y participer. Explications.

"L’audience correctionnelle c’est l’essence du jugement" , affirment maître Anne-Hélène Ricaud et maître Laura Temin, toutes deux avocates au barreau du Val-de-Marne. Elles sont régulièrement amenées à défendre des transporteurs de cocaïne interpellés à l’aéroport d’Orly. Ils arrivent principalement de Cayenne, de Point-à-Pître ou de Fort-de-France et transportent entre quelques centaines de grammes ou plusieurs kilos de cocaïne. En 2022, 307 personnes ont été interpellées par les douanes d’Orly.

Un engorgement des audiences  

Ces prévenus sont déférés de manière quasi quotidienne devant le tribunal de Créteil, la juridiction associée à Orly. "Forcément, ça surcharge beaucoup les comparutions immédiates (environ 20% des temps d’audience, selon le parquet), et le fait d’avoir recours à la CRPC est évidemment une voie intéressante", explique Stéphane Hardouin, le procureur de la République du tribunal. La CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité)  ou "plaider-coupable" est une procédure accélérée qui permet de juger l’auteur d’une infraction sans le faire comparaître devant le tribunal correctionnel.

 Comment se passe un “plaider-coupable" ?

Une peine est proposée au prévenu par le procureur. Si le prévenu l’accepte, la peine est homologuée par un juge et la condamnation validée. S’il refuse, il comparaît alors devant le tribunal, avec le risque d’être plus lourdement condamné.

La CRPC semble particulièrement adaptée aux transporteurs de cocaïne, puisqu’ils reconnaissent la plupart du temps leur culpabilité lorsqu’ils sont interpellés à Orly. Condition nécessaire pour être jugé en "plaider-coupable".

Cette procédure nécessite la présence d’un avocat au côté du prévenu.

L’opposition des avocats au “plaider-coupable”

Mais de nombreux avocats du Val-de-Marne refusent d’assister ces personnes qui, la plupart du temps, sont condamnées à des peines de prison et envoyées directement en détention.

Depuis décembre 2022, le conseil de l’ordre du département a décidé que les avocats de permanence n’interviendraient plus quand ce cas se présenterait. Ce qui oblige les prévenus à comparaître devant le tribunal correctionnel.

 

Nous, forcément on défend l’idée qu’on puisse parler de la personnalité du prévenu, qu’on puisse expliquer pourquoi il a fait ça, qu’on puisse le défendre. En fait, une personne en CRPC, elle ne peut pas se défendre ! On lui propose une peine et c’est à prendre ou à laisser.

Anne-Hélène Ricaud, avocate

 Le procureur de la République défend un autre point de vue :  "la CRPC n’est pas du tout incompatible avec une approche plus qualitative, bien au contraire, parce que c’est un temps d'échanges qui va être décorrélée de l’audience de comparution immédiate et qui va être entièrement consacré à cette affaire".

 Du temps pour la défense

Cette affaire pose avant tout la question du délai dont les avocats disposent pour rassembler des documents qui peuvent aider leur client (certificat d'hébergement, certificat médical, d'emploi…). Or le décalage horaire entre Paris et les Antilles/Guyane est un obstacle supplémentaire pour obtenir ces papiers. "L’avocat de permanence arrive à 9h30, l’audience de comparution immédiate commence à 13h, mais si on sait qu’on va obtenir des documents, on peut passer que vers 16/17h. Alors que la CRPC c’est vers 11h ou midi", développe maître Laura Temin.

Mais pour Stéphane Hardouin "un avocat peut être prévenu très à l'avance, la veille d’une CRPC, et peut recueillir des éléments de personnalité qu’il pourra produire lors de la discussion et amener le parquet à revoir peut-être sa proposition (de peine) initiale".

L’autre difficulté, pour les avocats du barreau du Val-de-Marne, c’est le temps accordé à une audience de "plaider-coupable" : "ça peut être du 10 minutes montre en main", assure maître Temin.

 

Cayenne - Créteil : des peines différentes  

Et le parquet de Créteil, qui insiste sur l’exemplarité des peines en matière de trafic de cocaïne, préconise des peines d’incarcération, y compris en procédure de “plaider-coupable”

Ce qui donne de la valeur à la cocaïne c'est le transport. La cocaïne qui arrive à Orly a plus de valeur que la cocaïne à Cayenne. C’est logique d’une certaine façon que la répression soit accrue à l’arrivée.

Stéphane Hardouin, procureur de la République

"Ce qui est important, rajoute le procureur de la République du tribunal de Créteil, c’est que nous ayons une politique des peines cohérente, notamment entre Bobigny (où sont jugées les personnes interpellées à Roissy) et Créteil (Orly). L’Amérique du sud et l’arc antillais arrivant globalement sur ces deux aéroports".

D’autant qu’une nouvelle filière de trafic de cocaïne a vu le jour, avec des candidats au transport qui partent de Roissy en direction de Fort-de-France et qui reviennent avec la drogue par l’aéroport d’Orly.

Status quo au tribunal de Créteil

 Depuis mi-septembre 2022, 47 dossiers de mules ont été traités sous forme de "plaider-coupable" au tribunal de Créteil. L’ordre des avocats du Val-de-Marne maintient sa décision de ne pas assister les prévenus dont les condamnations sont assorties d’une peine de prison. 

"Il arrive qu’une personne (jugée en plaider-coupable) soit choquée de cette carence", assure Stéphane Hardouin. A cela maître Laura Temin répond : "Obliger quasiment un individu à consentir à sa propre incarcération, c’est très compliqué. On oublie que la peine de prison, c’est une peine de souffrance".

→Le reportage radio d'Outre-mer la 1ere ci-dessous :