Trois questions à Raphaël Confiant, co-auteur d’un ouvrage en préparation sur l’histoire du Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créole (GEREC)

Quelques membres fondateurs du GEREC dans les années 70. De gauche à droite, Donald Colat-Jolivière, Raphaël Confiant et Danik Zandronis. Photo de droite, le professeur Jean Bernabé (1942-2017).
Cinq chercheurs antillais et guyanais mettent la dernière main à un livre consacré à l’histoire du Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créole (GEREC). Le romancier Raphaël Confiant, ancien directeur adjoint du GEREC, est l’un des contributeurs de l’étude. Interview.
En 1975, un jeune agrégé de grammaire et docteur d’Etat en linguistique, le Martiniquais Jean Bernabé (1942-2017), fonde sur ce qu’était alors le Centre Universitaire des Antilles et de la Guyane le GEREC, le Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créole. Une petite révolution pour l’époque. L’objectif du GEREC était d’étudier la langue et la culture créole de façon la plus scientifique possible, avec les outils entre autres de la linguistique, de la sociolinguistique, de l’anthropologie, de l’histoire, des études littéraires et de la traductologie. Un pari réussi. On doit notamment au GEREC, depuis son existence, des centaines de publications scientifiques, la participation de ses chercheurs à des colloques internationaux, la création d’un cursus académique (licence et maîtrise de créole, doctorat en Langues et Cultures Régionales - option créole) et le CAPES de créole.

Dans un ouvrage à paraître prochainement ("L’histoire du GEREC"), cinq chercheurs antillais et guyanais, Monique Blérald (professeur des universités, Guyane), Raphaël Confiant (écrivain et universitaire, Martinique), Robert Fontès (professeur retraité de lettres, Guadeloupe), Gerry L'Etang (maître de conférences en anthropologie, Martinique) et Serge Mam-Lam-Fouck (professeur des universités, Guyane), reviennent sur les origines et l’histoire de ce groupe. Très documenté, le livre étudie l’évolution du GEREC aux Antilles-Guyane, territoire par territoire, et se penche sur le parcours et la vision théorique de son fondateur, le professeur Jean Bernabé. "L’histoire du GEREC" sera publiée (avec une partie en créole) durant le mois de novembre 2019 par Montray Kréyol éditions.  

Pourquoi avoir entrepris d’écrire un livre sur l’histoire du GEREC ?
Raphaël Confiant : Le GEREC a été l'un des groupes de recherches les plus importants de l'ex-Université des Antilles et de la Guyane, puis de l'Université des Antilles, abattant un travail considérable durant trois décennies. Une centaine de livres publiés, plusieurs centaines d'articles, des séminaires, colloques etc..., cela dans des disciplines aussi diverses que la linguistique, la sociolinguistique, les études littéraires, l'anthropologie, l'histoire des sociétés créoles ou encore la traductologie. Tout cela sous la houlette du professeur Jean Bernabé aujourd'hui décédé et dont nous avons demandé en vain que la Faculté des Lettres et Sciences humaines porte le nom. Il n'y a d'ailleurs eu aucun communiqué officiel émanant de l'Université des Antilles lors de son décès alors même qu'il fut l'un des pères fondateurs de l'établissement. Face à tant d'ignominie et de mesquinerie, la réponse est de rappeler dans un ouvrage tout ce que le GEREC a accompli.  Un dicton de chez nous, n'affirme-t-il pas que "Neg pa ni mémwè" ? (le Nègre a la mémoire courte, ndlr).
 

"Nous nous sentions investis d'une responsabilité socio-historique, à savoir travailler de concert avec tous ceux qui, hors de l'université, se battaient pour la revalorisation et la promotion non pas seulement de la langue créole mais aussi et surtout de la culture créole


Pouvez-vous rappeler les circonstances de la naissance de ce groupe ?
En 1975, Jean Bernabé, alors maître de conférences en lettres sur le campus de Fouillole en Guadeloupe, fonde le GEREC et instaure le tout premier cours de linguistique créole au sein de la Licence de Lettres modernes, cela à une époque où le créole n'existait quasiment pas pour nos élites. Puis, les politiques guadeloupéens ayant exigé que les Sciences qui se trouvaient sur le campus de Schoelcher en Martinique, soient transférées sur le campus de Fouillole, et que les Lettres le soient sur le premier, Jean Bernabé fonde un deuxième GEREC en Martinique sans pour autant abandonner celui de la Guadeloupe. Puis, dans un troisième temps, il favorise la création d'un GEREC-Guyane. A l'époque, il n'y avait aucun souci pour que Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais et "Métros" travaillent ensemble.* (voir plus bas). Comme tout groupe humain, le GEREC a connu au cours de sa longue histoire des conflits internes, mais aucun ne fut lié à l'appartenance territoriale ou ethnique des uns et des autres. Aucun !  

Quels étaient les objectifs principaux du GEREC ?  
Il s'est agi de créer de toutes pièces une nouvelle discipline, les Etudes créoles. Nos collègues d'anglais, d'espagnol, de français, d'histoire et géographie, de Sciences de l'Information et de la communication, de mathématiques, de physique, de droit et d'économie etc., avaient la chance d'évoluer au sein de disciplines déjà constituées, parfois depuis des siècles, alors que nous, nous avons dû bâtir la nôtre de toutes pièces et cela dans une relative hostilité, surtout au tout début. Notre premier objectif fut donc d'instaurer cette nouvelle discipline dans le cursus académique, mais dans le même temps, nous nous sentions investis d'une responsabilité socio-historique, à savoir travailler de concert avec tous ceux qui, hors de l'université, se battaient pour la revalorisation et la promotion non pas seulement de la langue créole mais aussi et surtout de la culture créole. Nous avons donc établi une graphie pour le créole, nous avons publié des grammaires et des dictionnaires, des œuvres littéraires aussi. Nous avons étudié le magico-religieux créole (dit "quimbois"), le culte hindou, les pratiques agricoles comme le "koudmen", le conte créole et les "titim", le gwo-ka et le bèlè et bien d'autres choses. Nous avons surtout scruté de près le phénomène de décréolisation à la fois linguistique et culturel afin de proposer les voies et moyens de le contrer. Evidemment, hors de l'université, de nombreuses personnes étaient engagées dans le même combat et le GEREC a pu travailler à maintes reprises avec elles. Certains de nos objectifs ont été atteints comme la création du CAPES de créole ; d'autres non, comme la création d'un Office de la langue créole que nous n'avons cessé de proposé sans succès à nos différents politiques. La lutte continue... La recherche et les publications aussi.

* Il est impossible de citer les noms de tous ceux qui ont travaillé au sein du GEREC pendant ces trois décennies ou qui ont collaboré avec lui, précise Raphaël Confiant, mais les plus marquants furent : Donald Colat-Jolivière, Hector Deglas, Robert Fontès et Danik Zandronis pour la Guadeloupe ; Jean Bernabé, Lambert-Félix Prudent, Raphaël Confiant, Jacques Coursil, Michel Dispagne, Gerry L'Etang, Raymond Relouzat, Marijosé Saint-Louis, Marie-Cécile Clairis-Gauthier et Yona Jérôme pour la Martinique ; Serge Mam-Lam-Fouck et Monique Blérald pour la Guyane ; Robert Damoiseau, Jean-Luc Bonniol, Bernadette Cervinka, Jean-Charles Hilaire, Pierre Pinalie, Elisabeth Vilaylek pour les "Métros".