Trois questions à Silyane Larcher, co-organisatrice du colloque international "Des féminismes noirs en contexte (post)impérial français ?"

Silyane Larcher, chargée de recherche en sciences politiques au CNRS
Un colloque international sur les féminismes noirs se déroulera du 3 au 5 mars au Campus Condorcet à Paris-Aubervilliers. Chargée de recherche en sciences politiques au CNRS et co-organisatrice de l’événement, la Martiniquaise Silyane Larcher nous en livre les grandes lignes.
Silyane Larcher est chargée de recherche en sciences politiques au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) sur le Campus Condorcet de Paris-Aubervilliers. Ses travaux portent principalement sur l’historique du politique, l’histoire juridique et institutionnelle des colonies françaises (Antilles, XIXe et XXe siècles), et sur les études coloniales et postcoloniales. Elle a publié en 2014 "L’autre citoyen. L’idéal républicain et les Antilles après l’esclavage" (éditions Armand Colin) et a codirigé "Black French Women and the Struggle for Equality" (University of Nebraska Press) qui est sorti en 2018 aux Etats-Unis (en anglais). 

Le colloque international dont elle est co-organisatrice, intitulé « Des féminismes noirs en contexte (post)impérial français ? Histoires, expériences et théories », rassemblera une cinquantaine de chercheuses, chercheurs et universitaires venus d’Afrique, d’Amérique du nord, de Guyane et d’Europe, mais également des militantes associatives ainsi que la chanteuse martiniquaise Jocelyne Béroard qui participera à une table ronde sur les « formes de l’engagement politique et production de savoirs ». L’accès à cet événement est libre et gratuit (♦ voir le programme ici). Silyane Larcher nous en présente les principaux axes.

Vous êtes co-organisatrice du colloque « Des féminismes noirs en contexte (post)impérial français ? » De quoi allez-vous débattre ?  
Silyane Larcher :
D’abord, il me paraît important de dire que ce colloque répond à un besoin d’interroger les angles morts des domaines de recherche que sont en France l’histoire des femmes et la sociologie des féminismes. Par conséquent il s’agit moins de projeter une catégorie préexistante de « féminisme » sur des « mondes noirs », que de bousculer un récit eurocentriste des luttes féminines et féministes en partant des expériences des sujets féminins anciennement colonisés de l’empire français en Afrique, dans l’Océan Indien et dans les Amériques.

Pourquoi un point d’interrogation dans l'intitulé du colloque ? 
L’usage de la notion de « féminismes noirs » en forme d’interrogation dans l’intitulé du colloque vise à prendre de la distance avec un engouement grandissant pour le Black Feminism aux Etats-Unis, tant du côté de la recherche que du côté d’une forme de demande sociale ou éditoriale, pour remettre de l’historicité dans le débat. Nous ne dénions pas l’intérêt et l’importance de la production théorique africaine-américaine puisque plusieurs des communications présentées invitent à réfléchir à la circulation de ces idées et à ses effets sur les pratiques politiques de femmes noires en Europe et en Afrique. Toutefois nous devons interroger l’hétérogénéité des sujets féminins noirs et en l’occurrence poser la question suivante :
 

Qu’est-ce que les luttes féministes des femmes des territoires anciennement colonisés par la France obligent à penser de l’émancipation féminine pour elles d’abord, mais aussi en retour dans une société impériale ?


Si l’on considère aussi que les termes d’« Outre-mer » ou d’« Ultramarins » dans des discours ordinaires convoquent dans la société française sa dimension toujours impériale… En ce sens, le colloque se propose d’ouvrir une réflexion sur le sens, la portée et les limites de la notion de féminisme pour des femmes noires d’histoires et d’expériences sociales et politiques hétérogènes.

Quelles seront les principales thématiques abordées ?
Une part importante des communications du colloque interrogent les conditions de possibilité d’une histoire des féminismes en France qui fasse pièce au passé colonial et à ses effets de rupture et de continuité, en insistant tant sur les contestations que sur les réinventions de la notion dans des discours, des représentations esthétiques ou des pratiques. Que celles-ci prennent la forme de luttes organisées dans des collectifs, des associations, voire des partis ou encore celle de la production littéraire ou audiovisuelle par exemple. Enfin, parce que les identités sociales et politiques des femmes afrodescendantes de l’ex-empire français ne se résument pas au rapport colonial, il nous a semblé important d’accorder une attention particulière à la variété des outils et des savoirs pratiques qu’elles ont mis en œuvre et continuent de forger pour contester les visages multiples de la domination sociale dans leur société d’origine. Mais aussi dans la société française quand elles sont par exemple filles d’immigrés subsahariens. Ainsi, le colloque invite autant à réfléchir aux effets de l’agenda développementaliste international sur certains mouvements féministes africains qu’à interroger les enjeux culturels et ethnoraciaux, par exemple au sujet de l’excision, qui ont pu fracturer l’histoire de la cause des femmes en France.