Un peu plus de 3 000 habitants, des zones résidentielles, une école, un collège et... un nom qui fait débat. Depuis 2019, l'association Mémoires et Partages, qui mène un travail de mémoire sur l'esclavage et la colonisation, se bat pour renommer le quartier de "la Négresse", à Biarritz.
Peut-on imposer à la ville une modification ? Mémoires et Partages, qui aimerait revenir au nom basque d'origine de la zone, "Harausta", a déposé un recours auprès du tribunal administratif en ce sens. L'audience s'est tenue ce jeudi 7 décembre à Pau. La décision du tribunal, mise en délibéré, sera rendue d'ici quinze jours.
Origine du nom
Le quartier "Harausta" a été renommé au XIXe siècle "la Négresse". Mais d'où vient ce nom? L'Académie gasconne y voyait un dérivé du gascon, "lana gresa" -qui se prononce "lana grèse"- signifiant "lande argileuse". L'hypothèse a depuis été réfutée. L'origine est à chercher dans l'histoire coloniale de la ville. Le nom ferait référence à une esclave, "ramenée des Amériques" selon certaines sources, qui y aurait vécu aux alentours de 1810. Cette femme tenait une auberge fréquentée par des soldats. L'usage de ces derniers -"on va chez la négresse"- donna son nom à l'établissement, puis, au quartier.
Plusieurs commerces, le péage qui dessert la zone et une rue font référence au terme "négresse". La gare, anciennement Biarritz-la Négresse, a été renommée. Des particuliers ont aussi choisi de se débarrasser du nom. En 2021, les nouveaux propriétaires de "la pharmacie de la négresse" ont opté pour un simple "pharmacie". En réponse aux quelques commentaires d'internautes, qui demandent à changer le nom d'un magasin de tissus qui s'appelle lui aussi "de la négresse", les équipes assurent "y réfléchir".
Échec du dialogue
Selon Mémoires et Partages, la démarche auprès du tribunal administratif est un dernier recours. "Nous avons tenté de nous rapprocher des élus de la ville, mais malheureusement, toutes les tentatives de médiations que nous avons mises en place depuis 2019 se sont révélées vaines, explique l'essayiste Karfa Diallo, fondateur de l'association. C’est face à l’échec de cette proposition de dialogue que nous avons déposé ce recours."
Nous sommes bien conscients que les biarrots et les Basques d’aujourd’hui sont les héritiers involontaires de tout ceci, si aujourd’hui on devait renommer ce quartier, je suis certain qu’aucun des habitants n’aurait voulu l’appeler 'la Négresse'.
Karfa Diallo, président de l'association Mémoires et Partages.
La procédure vise à faire annuler deux délibérations municipales. La première, qui a donné son nom au quartier, date des années 1860. La seconde est beaucoup plus récente et remonte à 1986. "Il faut imaginer ! En 1986, il y a une délibération municipale à Biarritz qui a donné à une rue le nom 'la négresse'", s'indigne Karfa Diallo.
Un "hommage" ?
En France, les villes sont libres de choisir les noms des rues et des espaces publics. Mais la jurisprudence leur impose de ne pas opter pour des noms susceptibles de troubler l'ordre public ou de heurter la sensibilité des personnes. C'est cet argument qu'espère faire entendre l'association Mémoires et Partages. "Nos villes sont devenues des métropoles et cohabitent des gens qui ont des mémoires différentes. Les héros des uns peuvent être des bourreaux pour les autres", résume son président.
Pour certains, appeler un quartier "la Négresse" n'est pas problématique. En 2013, une consultation des habitants avait tranché pour conserver le nom. "Il n'a jamais été question d'humilier mais plutôt, même, de rendre hommage à cette femme, une personnalité qui a donné son nom à un quartier identitaire de Biarritz", a expliqué l'avocat de la commune lors de l'audience, selon l'AFP. En 2020, la maire de la ville, Maider Arosteguy, expliquait au journal Sud Ouest qu'elle trouvait "très bien qu’un tel symbole perdure jusqu’à nous grâce au nom du quartier", dans la mesure où il faisait référence à "une femme chef d’entreprise". Un argument "effarant", selon Karfa Diallo : "L’argument principal c’est que ce nom est un hommage à cette femme. Soit cela procède d’une forme d’ignorance incroyable, de ce que porte ce nom, ce qu’il transporte avec lui de violence, d’humiliation; ou bien d’une certaine mauvaise foi."
La rapporteure publique, une magistrate chargée d'exposer aux juges son interprétation des faits et de proposer une solution juridique, tout en reconnaissant le caractère "péjoratif" du terme, a recommandé de rejeter la requête de l'association. Si les juges suivent cet avis, Mémoires et Partages portera l'affaire devant le Conseil d'État.