Habituellement, quand on parle d’un sport avec un athlète, on lui donne rendez-vous dans un gymnase, une salle d’entraînement ou lors d’une compétition. Pas pour le chessboxing. En France, il n’existe pour l’instant qu’une poignée de clubs, à Paris, Montbéliard ou Toulouse, consacrés à cette discipline.
C’est donc logiquement à son domicile, à La Rochelle, que Wilfried Hoareau, 44 ans, nous reçoit. Sur la table du salon, un échiquier. À l’origine pourtant, ce Réunionnais par sa grand-mère et Malgache par son père est plus porté sur les coups de poing que sur les coups de pions. Cet ancien boxeur a en effet pratiqué pendant une vingtaine d’années les boxes française, anglaise et thaï, en compétition et lors de championnats nationaux.
Au moment où il a mis fin à sa carrière, difficile de raccrocher les gants, surtout qu’il a entendu parler d’un nouveau sport qui suscite sa curiosité : le chessboxing.
Victoire par KO ou échec et mat
De l’anglais chess qui veut dire échecs, boxing qui signifie boxer, cette discipline se déroule sur un ring où s’affrontent deux adversaires lors d’un match de plusieurs rounds, 11 au maximum. Ils commencent toujours par les échecs pendant trois minutes, puis mettent les gants pour se battre selon les règles de la boxe anglaise pendant trois minutes. Puis ils s’assoient à nouveau devant l’échiquier pendant trois minutes, et ainsi de suite.
Le combat se gagne soit par KO, soit par échec et mat, soit à la pendule c’est-à-dire lorsqu’un compétiteur a utilisé tout le temps imparti avant la fin du match, comme le montre cette vidéo de Tout Le Sport réalisée en novembre 2018 lors d'une soirée événement à Paris :
"Quand j’avais vu ça, j’avais trouvé ça super comme idée, s’exclame Wilfried. C’est vrai que quelque part, les deux sont un peu liés, parce que les échecs, c‘est un peu un jeu de guerre sur un plateau carré, une sorte de ring… Et la boxe, on se mesure physiquement. On se mesure physiquement et intellectuellement."
"Froid Équateur"
Une idée sortie tout droit... d’une BD ! Le chessboxing a en effet été inventé par l’auteur de bande dessinée et réalisateur Enki Bilal, dans son album Froid Équateur, paru en 1992. Voici comment il imaginait alors ce sport dans ses planches :
Quelques années plus tard, un artiste néerlandais, Iepe Rubingh, a fait de cette fiction une pratique bien réelle, quoique beaucoup moins violente, et a même créé une organisation internationale régissant ce sport, la World Chess Boxing Organisation (WCBO).
En France aussi il existe une instance, avec laquelle Wilfried Hoareau a pris contact pour découvrir le chessboxing. Il se prend alors de passion pour la discipline.
"Évidemment mon point fort, c’est mon expérience en tant que boxeur, analyse-t-il. Mes points faibles, ce sont les échecs. Il a fallu que je réapprenne tout sur le tard…Parce que je pensais que je savais jouer mais en fait, je me suis rendu compte que [...] ce n'était pas du tout ça !", sourit-il.
Un combat déséquilibré
C’est pourtant grâce à un coup tactique aux échecs qu’il a remporté le titre de champion du monde amateur des plus de 95 kg le 16 novembre dernier, lors des 4ᵉˢ championnats organisés à Antalya, en Turquie. Comme l’indique cette publication Facebook de la fédération française de chessboxing, il y avait en tout quatre Français en finale selon les catégories :
Dans celle des poids lourds, ils n’étaient que deux compétiteurs : Wilfried Hoareau et un Turc, Sait Sönmez. Le Réunionnais s’est donc retrouvé directement en finale face à son adversaire "qui venait du kick-boxing et qui pesait 20 kg de plus". Autant dire 20 kg d’avantage pour le Turc.
"Lui était très vite rentré dans le vif, se souvient le quadragénaire. Physiquement très présent, il m’a un peu bousculé", lors du premier round de boxe. Dominé, Wilfried réussit malgré tout avec l’expérience à gérer et terminer cette manche. Mais après trois minutes de combat intense, "c’était compliqué de se mettre dans les échecs", avoue-t-il.
La tête et les jambes
Car c’est là toute la particularité de ce sport : garder toute sa lucidité et sa concentration mentale après avoir pris ou paré des coups de poing dans une confrontation physique.
Même sans réel enjeu, "quand on monte sur le ring, il y a toujours une certaine pression, rappelle le Réunionnais. Donc déjà ça peut faire faire des erreurs en soi aux échecs. Mais en plus, quand on sort d’un round de boxe, ça devient beaucoup plus compliqué."
Perturbé donc par le round de boxe comme le montre la vidéo ci-dessus (match entre 3h21’00 et 3h35’05), Wilfried se rappelle d’ailleurs avoir très mal commencé le round d’échecs suivant et avoir été "proche de la disqualification" pour des coups illégaux sur l’échiquier. Et il n’était pas le seul à manquer de clairvoyance : "En regardant la partie à froid après, je me suis rendu compte que c’était un peu n’importe quoi pendant deux-trois coups, on avait nos reines en vis-à-vis donc chacun pouvait prendre la reine de l’autre."
Le Réunionnais finit cependant par se ressaisir. "En train de fuir" avec son roi, il réalise que "l’aile est complètement ouverte" : "J’ai réussi à lui mettre un mat du couloir et j’ai gagné comme ça ! Comme quoi, c’est un sport plein de rebondissements, la partie peut très vite basculer."
Du chessboxing à La Réunion ?
Aujourd’hui, Wilfried aimerait bien développer sa passion à son échelle à La Rochelle, où il s’est installé récemment. "Avant, j’étais à la Roche-sur-Yon où je faisais partie du club de boxe et où je m’étais rapproché du club d’échecs. Mais oui, c'est compliqué de s’entraîner, explique-t-il avant de nuancer. Il y a des entités qui commencent à se monter. À terme, j’aimerais bien également faire ça à La Rochelle."
En Charente-Maritime, mais aussi pourquoi pas... à La Réunion ! "Je sais qu’il y a une certaine passion pour les sports de combat là-bas", reconnaît-il. S’il a toujours de la famille sur l’île, il regrette de n’avoir jamais pu s’y rendre et s’imagine déjà y aller avec ses enfants... Ou bien pour une compétition : "Peut-être, on ne sait jamais, que c’est le chessboxing qui me ramènera avant vers mes origines."