Une loi "bien vieillir" pour prendre soin d'une France de plus en plus vieillissante

Un déjeuner festif pour les résidents de l'Ehpad de Palais Royal, aux Abymes.
Le Sénat examine une proposition de loi déjà votée par l'Assemblée au mois de novembre dont le principal objectif est de prévenir la perte d'autonomie des personnes âgées et de lutter contre leur exclusion. Le texte prévoit d'améliorer la situation des aides à domicile, primordiales en Outre-mer, où le recours aux Ehpad est plus rare que dans l'Hexagone.

La France s'apprête à compter de plus en plus de têtes grisonnantes. Au 1er janvier 2024, près de 28 % de la population était âgée de 60 ans ou plus. C'était 24 % il y a dix ans. Et seulement 20 % en 2000. "Nous continuerons à bâtir une société où chacun peut vieillir dignement et comme il l’entend en facilitant le maintien à domicile de ceux qui le souhaitent et en améliorant le quotidien en Ehpad", a promis le Premier ministre Gabriel Attal lors de son discours de politique générale devant l'Assemblée mardi 30 janvier. Car dans une France toujours plus vieillissante, bien prendre en charge les anciens, alors que le scandale des maisons de retraite Orpéa a largement choqué l'opinion publique, est désormais un enjeu de taille.

C'est ici qu'intervient la proposition de loi "bâtir la société du bien-vieillir", adoptée par les députés en novembre dernier, et désormais examinée au Sénat. Ficelée autour de trois axes principaux – prévenir la perte d'autonomie, lutter contre la maltraitance et mieux accompagner les aides à domicile –, la loi a d'abord une visée nationale. Elle prévoit ainsi la création d'une conférence nationale de l'autonomie, la reconnaissance du droit à recevoir la visite des proches, la mise en place d'une instance départementale de recueil et de traitement des alertes en cas de maltraitance, des aides financières pour les professionnels...

Très peu d'Ehpad en Outre-mer

Comme l'Hexagone, les Outre-mer aussi sont confrontés au vieillissement rapide de la population. En Guadeloupe, par exemple, qui voit, comme la Martinique, son nombre d'habitants décroître avec l'accélération du départ des jeunes, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus pourrait augmenter de 28 % entre 2020 et 2030, selon une projection de l'Insee. À La Réunion, en 2050, le nombre d'anciens pourraient être aussi élevé que le nombre de jeunes. Seules la Guyane et Mayotte, où les taux de fécondité et d'immigration sont élevés, voient leur population rester relativement plus jeune que tous les autres départements français. 

Mais, dans les territoires ultramarins, la place des anciens dans la société n'est pas la même que ceux dans l'Hexagone. Très souvent, ils vivent proches de leur famille, si ce n'est avec elle, et recourent que très peu aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Irenise Moulonguet, née le 6 novembre 1900 à Basse-Pointe, photographiée le 19 octobre 2012 au Morne Rouge, en Martinique.

Lors de l'examen de la loi "bien vieillir" au Sénat, l'élue guadeloupéenne Solanges Nadille (RDPI, Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants, majorité présidentielle), a tenu à souligner cette spécificité ultramarine.

"Il y a une nécessité d'amorcer ce virage domiciliaire, explique-t-elle à Outre-mer la 1ère elle qui est membre de la commission des affaires sociales et de la délégation sénatoriale aux Outre-mer. Parce que nous avons très peu de structures adaptées."

Dans un rapport sur le grand âge dans les Outre-mer remis en 2020, les députés Ericka Bareigts (La Réunion) et Stéphanie Atger (Essonne) soulignaient la faiblesse de l'offre d'Ehpad dans les départements ultramarins comparés à l'Hexagone : la France métropolitaine comptait 122,6 places en Ehpad pour 1000 personnes de 75 ans et plus en 2015, contre 35,6 pour la Guadeloupe, 47 pour La Réunion, 48,7 pour la Martinique et 74,1 pour la Guyane. Sans compter les tarifs : les Ehpad en Outre-mer sont parmi les plus chers de France. 

Améliorer les conditions de travail des aides à domicile

Mais dans la proposition de loi, il n'est pas question de construction de structures spécialisées dans les Outre-mer. En revanche, plusieurs mesures visent à améliorer les conditions de travail des aides à domicile, primordiales pour bien accompagner les personnes âgées restées chez elle, ou chez leurs proches.

Si elle est votée, la loi actera la création d'une carte professionnelle pour ces personnels de santé, mais aussi des aides financières pour les déplacements et l'expérimentation d'une tarification globale, en lieu et place de la tarification horaire, actuellement en vigueur.

Ursule Rocrou travaille comme aide à domicile à Saint-Pierre.

La sénatrice Solanges Nadille a par ailleurs profité des débats pour déposer un amendement reconnaissant la spécificité géographique des territoires insulaires et ultramarins, qui, comme la Guadeloupe avec les Saintes, la Désirade et Marie-Galante, sont des archipels. "Il y a aussi une population vieillissante dans ces îles", soutient-elle. Or, ces personnes âgées-là peuvent vite se retrouver encore plus isolées car elles sont obligées de rester à domicile tandis que leurs enfants travaillent sur l'île principale, où se concentre l'activité économique.

Ainsi, mieux connaître la situation des îles permet de prendre en compte la difficulté des aides à domicile, qui peuvent avoir des difficultés à rallier ces îles. L'amendement de Solanges Nadille a été adopté par les sénateurs. Elle devrait aussi prochainement interpeller le gouvernement sur la continuité territoriale des territoires ultramarins, qui ne concerne pas que les liaisons entre l'Hexagone et les Outre-mer, mais également les connections intra-départementales.

Vers une loi de programmation ?

"Cette proposition de loi est seulement une brique", reconnaît la sénatrice guadeloupéenne, alors qu'Elisabeth Borne, alors encore Première ministre, avait annoncé qu'elle présenterait une loi de programmation pluriannuelle à la fin de l'année 2024, avec une ambition encore plus grande sur le grand âge. Cette semaine, au Sénat, la nouvelle ministre de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, a assuré qu'une loi serait bel et bien présentée d'ici à la fin de l'année. Mais elle a cependant indiqué que la dimension "pluriannuelle" d'un texte portant sur le secteur médico-social n'était a priori pas inscrit dans la Constitution, ce qui pourrait réviser à la baisse les ambitions de cette future loi. Elle s'en remettra donc à un avis du Conseil d'État, qui doit se prononcer le 8 février sur le sujet, selon le journal Le Monde.

En attendant, le Sénat doit se prononcer sur la proposition de loi "bien vieillir" le 6 février, avant un retour à l'Assemblée nationale. Dans un avis publié le 30 janvier, la Défenseure des Droits a salué l'examen de ce texte législatif par le Parlement, appelant néanmoins le gouvernement à "donner des moyens humains et financiers" à ses politiques publiques "pour permettre un accompagnement de qualité", et aussi à soutenir les aidants familiaux non professionnels en créant un statut d'aidant.

Solanges Nadille assure qu'elle continuera de travailler sur le sujet : elle a été nommée pour faire partie d'une mission de contrôle sénatoriale sur les Ehpad et devrait donc visiter plusieurs structures dans toute la France, y compris dans les Outre-mer.