Vendée Globe : "Il peut se passer un peu tout et n’importe quoi", selon Damien Seguin [Interview]

Les jours qui viennent vont être décifis pour Damien

La flotte regroupée emmenée par Charlie Dalin au large du Brésil progresse doucement. Rien n’est joué. Damien Seguin est toujours dans le paquet de tête. Le marin guadeloupéen à bord de son Groupe Apicil est prêt pour le sprint final. Nous l’avons joint ce midi par téléphone.  

Outre-mer la 1ère : Damien vous êtes deuxième ce matin, troisième cet après-midi, bref vous êtes devant.


Damien Seguin : Oui c’est un truc de dingues. Si on m’avait dit au départ qu’après 65 jours de mer je serai si bien placé, mais cette place je ne suis pas en train de la voler. C’est top même si en ce moment il n'y a pas beaucoup de vent. J’arrive un peu à me dépêtrer de ce petit enfer au large de Rio.
Il peut se passer un peu tout et n’importe quoi et il faut être vigilant. Là j’ai dû prendre un ris dans ma grande voile car il y a un grain qui arrive (NDLR il a réduit la voilure). La mer est relativement calme et en plus on va arriver au pot au noir, la zone de convergence intertropicale juste au-dessus de l’Equateur. Le truc positif, c'est que l'on va vers le beau et ça fait plaisir, la température n’est pas loin de 20 degrés et je suis en Tshirt.

Psychologiquement vous arrivez à maitriser la situation ?

Je tiens la distance et Charlie (Dalin) n’est pas loin. Des fois, être devant c’est bien, d’autres fois, c’est plus compliqué. Cette remontée de l’Atlantique sud est un peu complexe. Un coup tu gagnes, un coup tu perds. Il faut surtout ne pas s’énerver dans cette situation et il faut croire en sa bonne étoile. Je prends les choses comme elles viennent. Je le répète, je suis super content de la place que j'occupe. Mais là, je vais retourner faire une petite sieste d’une heure. Je suis beaucoup sollicité, mais c'est le jeu. Demain sera un autre jour a-t-on l’habitude de dire.

 

Ça va être le jeu du chat et de la souris dans les jours à venir, et ça peut bouger en tête du classement. Je ne vole pas ma place, c’est fou ce qui se passe cette année.

Damien Seguin, skipper Groupe Apicil

 

Justement dans quel état physique êtes-vous au moment d’aborder ce sprint final ?

J’essaie de dormir de temps en temps, une heure par ci par là. Pour au final essayer de trouver cinq à six heures de sommeil toutes les 24 heures. C’est du sommeil récupérateur, c‘est un sommeil profond et immédiat. Ce n’est pas un sommeil paradoxal, je ne rêve pas de la maison, de pizza ou d’autre chose. La fatigue est bien présente car on est sur le pont matin, midi, soir et nuit. Façon de parler car un marin du Vendée Globe est souvent à l’intérieur du bateau pour effectuer toutes ses manœuvres.

Rien de tel qu'un thé pour remonter le moral

 

Avez–vous assez de nourriture à bord pour ces trois dernières semaine ?
 

Oui sans problèmes, je suis parti avec 90 jours de nourriture. Pas de soucis là-dessus. J’avais varié les plats, mais il y a certains trucs qui commencent à me lasser. Là j’ai envie de manger des légumes, mais ça n’est pas possible. Mais ça va, je ne suis pas à plaindre. J’ai des petites choses pour compenser tels les M&M’S et il y a encore du Beaufort à bord grâce à un enseignant de le classe de CM2 de l'école de la Bathie en Savoie.
Il était venu voir le bateau à Douarnenez, on avait sympathisé et il m’avait promis qu’il m’enverrait du fromage de sa région. Et il a tenu parole, il m’en a envoyé deux kilos et toutes les semaines, j’en ai un petit peu, car je l’ai coupé en morceaux et emballé sous vide. C’est sacrément bon le Beaufort !

 

On n’a pas de vrai temps de repos, mais c’est une telle joie d’être sur le chemin du retour qu’on est prêt à faire des efforts supplémentaires. C’est ça aussi le Vendée Globe.

Damien Seguin, skipper Groupe Apicil

 

Ça vous arrive de ne pas avoir le moral ?
 

Quelque fois j’ai des coups de mou, ça arrive plusieurs fois par jour. C'est normal quand on passe autant de temps sur le bateau. Les journées étaient longues dans l’Indien et dans le Pacifique. Mais on est très bien sur notre bateau et puis la situation sanitaire ne fait pas rêver, on vit une parenthèse très enviable et on en profite.

Vous avez toujours votre combat en tête : prôner l’inclusion où que l’on soit dans le monde ?

Je suis dans une compétition où  je donne le meilleur de moi-même. Sur ce Vendée Globe, je vais au bout de mon rêve et je sais que ça parle à beaucoup de gens, de parents, d'enfants valides ou handicapés.
Mon Vendée Globe quoi qu’il arrive est déjà réussi. Gommer la différence, c’est le challenge que je me suis lancé en voulant d'abord être un marin comme les autres et je fais partie désormais de cette grande famille. La question ne se pose plus depuis que j'ai passé le Cap Horn.

Réaction de Tony Estanguet,
Président du comité d’organisation des jeux de Paris 2024

Tony Estanguet et Damien Seguin ont en commun d'avoIr été champion et porte drapeau olympique.

Ca fait tellement plaisir de voir Damien réussir. Je savais qu’il ne lâcherait rien, c’est un guerrier. Quelle belle image il nous envoie. Lui, le double médaillé d’or paralympique en voile, est en train de faire un Vendée Globe de malade avec les valides. A Paris 2024 on est tous à bloc derrière lui.
Les échanges avec Damien sont nombreux car il compte énormément pour la reconnaissance paralympique. C’est grâce à des champions comme lui qu’on est là et qu’on va offrir une superbe scène dans les jeux de Paris 2024 car ils seront uniques. Valides et paralympiques seront réunis cette fois.