Sur son monocoque Groupe Apicil, Damien Seguin arrivera à la latitude du Cap Vert lundi. La bascule vers le Sud ne va pas tarder à arriver. Dans le paquet de tête depuis le départ, le skipper handisport mène son bateau de main de maitre. Une performance remarquable pour un débutant. Rencontre.
Outre Mer 1ère : On va revenir rapidement sur ton départ canon, raconte-nous à nouveau, était-ce prémédité ou pas ?
Damien Seguin : C’est dans mes habitudes, en voile olympique j’aime bien prendre les départs devant et taquiner un peu la ligne. Ça m’a surtout fait plaisir qu’au moment du coup de canon je me retourne pour voir tous les autres bateaux derrière moi. Alors oui j’avais un peu prémédité ça mais je le fais à chaque fois. Au Défi Azimut à Lorient en Septembre (ndlr dernière course préparatoire avant le Vendée Globe) j’avais fait pareil et en général c’est un exercice que j’apprécie et que je sais bien faire.
Sur un Vendée Globe c’est symbolique, mais pourtant 24 heures après tu étais en tête de la course, comment as-tu vécu cela ?
C’était génial, pour mes partenaires, ma famille, mon équipe, mes proches mais il faut relativiser, c’était l’option qui voulait ça aussi. Comme j’ai été le premier à la prendre, c’était clair dans ma tête et je voulais aller dans cet endroit-là pour anticiper la suite des évènements. Passer le plus près du cap Finisterre m’a mis en tête et mon positionnement vers le sud m’a donné raison.
De manière générale je suis satisfait de ma première semaine de course, j’ai bien navigué, je n’ai pas fait beaucoup d’erreurs, j’ai réussi à aller vite tout en maintenant le bateau dans le groupe de tête, sans prendre trop de risques. Cette nuit j’étais encore dans le top 5, alors ok les foilers vont nous passer un à un, Louis Burton vient de le faire il est juste sous mon vent, mais jusque-là c’est top.
Un mot sur la course de Jean Le Cam avec qui tu as préparé ton bateau pendant deux ans au même endroit et qui est devenu un peu ton mentor …
Surtout pour les mers du sud, je lui demandais surtout des infos sur la suite et des endroits que je ne connaissais pas. Le début de course peut être variable en fonction des conditions. Le départ d’il y a quatre ans n’a rien voir avec celui-ci beaucoup plus compliqué. Il faut savoir s’adapter à tout et Jean nous montre que lui sait exactement s’adapter.
Tu n’as pas beaucoup mangé, tu n’as pas ouvert tes sacs journaliers d’alimentation pendant plus de quatre jours, était-ce dû au stress ? Une autre raison ?
Je n’ai pas mangé je me suis nourri, ça été sporadique mais c’était surtout quand je pouvais. Des fruits, des bananes, des boissons, des compléments de repas, des trucs qui me nourrissaient plus qu’autre chose car c’était compliqué d’aller se faire chauffer des pâtes. Mais je me connais de plus en plus et c’est comme ça que je fonctionne en transats sur les cinq premiers jours de course. J’ai adapté ça au départ d’un Vendée et ça s’est plutôt bien passé. Depuis je me suis rattrapé.
Qu’y-a-t-il donc au menu de Damien Seguin depuis deux jours ?
Je me suis préparé un hachis Parmentier lyophilisé, puis un riz au lait et un morceau de Beaufort car j’ai une petite classe de Savoie qui me suit et qui m’a envoyé du fromage. Ça donne du goût.
Ce soir il y aura un dessert qu’Arnaud Boissières m’a conseillé pour un rituel du dimanche soir, une fondue aux fruits et au chocolat. Alors oui c’est du lyophilisé, mais c’est un dessert amélioré. Et ce soir je vais donc le goûter pour la première fois.
Les conditions ont changé aussi, vous avez quitté la tempête, beaucoup de choses deviennent différentes à bord ?
Il fait 28 degrés à l’extérieur, il fait chaud dans le bateau, il n y a pas beaucoup de vent et le bateau est gité juste comme il faut. Il y a quelques passages de grains de temps en temps mais ça tranche vraiment avec ce qu’on a vécu pendant une semaine. Là je suis sous grand-voile haute avec grand gennaker. Donc l’idéal pour la nuit prochaine.
En vitesse je suis presqu’à 14 nœuds. Les deux derniers classements je n’étais pas très rapide car j’ai dû me faufiler entre des zones de calme et de grains pour retrouver quelque chose de stable. Même si Louis Burton vient de me passer, il est juste sous mon vent à 5 miles de moi. Avant-hier j’avais Maxime Sorel à côté de moi dans la dépression, j’ai vu Jean près de moi les premiers jours, mais Louis aujourd’hui c’est peut être le dernier bateau que je vois à côté de moi avant pas mal de temps
C’est peut-être un signe que le Vendée commence, tu vis cela comment dans ta tête en te disant que la vraie solitude va arriver ?
C’est compliqué de se dire ça, on se dit qu’on est parti pour un long voyage. Avant-hier je parlais d’euphorie quand on se promène tout seul sur le bateau car ça fait longtemps qu’on prépare ce moment. Je suis content d’être là, surtout au regard des conditions sanitaires que l’on a quitté. On est des privilégiés, il faut en avoir conscience.
Mais je parlais aussi d’angoisse parce que la transition entre marin et terrien n’est pas si simple que cela .On est rentré dans le vif du sujet avec des conditions météo délicates et naviguer en solitaire est un exercice difficile. J’aime cet effort en solitaire sur les bateaux mais sur un tour du monde très honnêtement on prend des risques. J’aimerai bien militer pour un tour du monde en double, pour avoir plus de sécurité et à deux c’est mieux.
Ce que je crains c’est la solitude dans sa longueur mais on en reparlera dans un mois, où là je serai loin de tout le monde.
On parle classement un peu classement des bateaux a dérive droite, tu as plus de 100 nautiques d’avance sur Maxime Sorel et près de 200 sur Clarisse Crémer ? Comment vois-tu la suite ?
Le bon passage de la dépression m’a permis d’être bien placé (ndlr Damien Seguin est 8è au pointage de 17 heures) maintenant il faut que j’arrive à rattraper un petit peu Benjamin Dutreux à 57 nautique devant moi, il fait un début de course remarquable. Ça part un peu par devant à chaque fois, j’espère qu’il va rester a portée de fusil. Apres ce sont les circonstances de course qui feront que je reviendrai sur lui, et peut-être sur Jean.
On est à 8 jours de course du Vendée Globe, ça veut dire qu’en temps normal tu commencerais à sentir les effluves de l’arrivée de la Route du Rhum ?
J’ai réétudié le lexique de fonctionnement du Pot au Noir mais on apprend toujours de ses échecs, donc on va essayer de ne pas rééditer deux fois les mêmes erreurs. On va l’atteindre d’ici 48 heures, je vais regarder peut être un peu plus ce que font les copains aussi et être un peu moins centré sur moi-même.
On va arriver demain à la latitude du cap vert, je vais essayer de faire un beau passage de Pot au Noir pour me venger d’il y a deux ans.
Découvrez cet extrait du quotidien de Damien Seguin à bord de son bateau :