Vendée Globe - Clément Giraud : « je suis presque content d’être encore en mer ! »

Clément espère atteindre son but des 100 jours en mer

Le marin originaire des Antilles devrait arriver mardi prochain aux Sables d’Olonne. A quelques jours de l’arrivée Clément se confie, nous livre ses états d’âme et surtout il devient sage, sa priorité est de ramener le bateau à bon port et ne prendre aucun risques si proche du but.

"Rien ne sert de courir il faut partir à point". Cette formule d’une célèbre fable de La Fontaine pourrait aller comme un gant pour raconter l’aventure de Clément Giraud. On pourrait rajouter aussi peu importe le flacon de la place pourvu qu’on ait l’ivresse de l’arrivée. Actuellement en 22ème position au large des Canaries dans une lutte à trois avec Manuel Cousin (Groupe Setin) et Miranda Merron (Campagne de France), le skipper de l’Imoca la Compagnie du Lit / Jiliti avance et remonte l’Atlantique. Il a effectué 92 % du parcours il ne lui reste plus que 1800 milles nautiques à parcourir, soit environ 3000 kilomètres. Nous l’avons joint hier, alors qu’il nous avait envoyé une vidéo en créole (à regarder à la fin de l'article). Son cœur reste antillais, mais sa raison l’emporte car la fin de course est la dernière marche à bien négocier avant de pouvoir profiter des retrouvailles avec les siens.

Outre-mer la 1ère : Clément, où en êtes-vous dans votre fin de tour du monde ?

Clément Giraud : Je suis encore dans un ciel tropical mais tout va changer car on va entrer dans les dépressions du nord et ça va être tendu. J’ai deux options. Un, je fonce, je fais ça en six jours et je me mets dans des conditions pas raisonnables du tout pour une fin du tour du monde dans des creux de 8 mètres et avec 50 nœuds de vent.
Deux, on va faire ça en bon marin, je vais revêtir ma cape de bon marin et j’enlève celle du régatier, il vaut mieux éviter de tirer trop fort sur le bateau. C’est plus raisonnable.

Outre-mer la 1ère : Et donc vous avez fait votre choix stratégique pour cette fin de course ?

Clément Giraud : Je vais sécuriser et rester en bordure de la dépression, je ne vais pas me mettre dedans, quitte à perdre une place. Je vais avoir beaucoup de manœuvres à bord mais ce n’est pas grave. Ça fait trois jours que je pèse le pour et le contre dans ma tête je ne vois pas ce que j’ai à y gagner de gagner un jour de plus.
Le Golfe de Gascogne est dans 5 jours, ça va se terminer au près (vent de face) dans beaucoup d’air mais c’est surtout l’état de la mer qui est important aux Acores, c’est un de pires endroits du monde. Si je fais comme Yannick Bestaven plein nord, les fichiers annoncent des vagues de dix mètres de haut et je n’ai pas envie de m’y mettre. Je dois ramener le bateau à Eric (Nigon), il me fait confiance et c’est le plus important.

 

Le calme avant toutes les tempêtes de l'arrivée

 

En évitant la dépression, je vais peut-être mettre plus de 100 jours ça ne marquera pas les annales. Ça va être compliqué comme route, c’est moins linéaire mais c’est le prix à payer pour la tranquillité d’esprit

Clément Giraud, skipper Compagnie du Lit / Jiliti

 

Outre-mer la 1ère : Vous êtes dans quel état physique ?

Clément Giraud : Je commence à fatiguer, je dors énormément, c’est un signe je pense, il va falloir que j’arrive. Je manœuvre, toutes les 40 minutes je vais régler mon bateau. Je reste longtemps à la bannette, avec le temps qu’on a et peu de changements de voile, cela a permis ça .
Mais il n’y a pas de stratégie fondamentale à observer. Je fais le plein d’énergie pour affronter la dernière semaine en dormant 7 heures fractionnés par jour. Au final ça revient au même. Ce sont des sommeils dans lesquels je reprends le cours de mes rêves, il n’y a qu’en mer que ça me fait ça, c’est comme si je regardais un film qui dure 8 heures. Je me crois en équipage, avec plein de gens autour de moi et j’en ai fait une vidéo d’ailleurs.

Franchement je suis nickel, rien de cassé, rien qui empêche de vivre. J’ai de l’eau, j’ai réparé mon moteur il y a deux jours suite à un problème électrique. J’ai la gomme après 92 jours de mer et je suis content d’être là, si ce n’est ma position de 21è mais bon ça c’est la vie, on en a déjà parlé. Il faudrait un nouveau départ pour changer cette place.

Outre-mer la 1ère : Vous repartiriez tout de suite ?

Clément Giraud : Il faut voir comment la vie en décidera mais moi oui, c’est sûr. J'ai appris énormément de choses qu’il va falloir mettre à profit. Le Vendée Globe c’est beaucoup de temps, d’argent, d’énergie, de sacrifices familiaux, j’ai fait mon égoïste pendant trois ans et je ne sais pas si je dois continuer à être égoïste.
Je suis à plus de 92 % de finir mon rêve. Il a été puissant et fort, c’est top, je suis hyper content, je suis aux anges, et je suis presque content d’être encore en mer. Même si quatorze marins sont arrivés, je me bats contre les autres, contre Miranda et Manu.

Outre-mer la 1ère : Donc vous n’avez pas envie de rentrer à terre ?

Clément Giraud : Oh que si, ma famille me manque mais je ne me fais aucun film pour l’arrivée, je m’interdis totalement de savoir comment cela va se passer. Je pense que mon équipe autour de Julie (Rocher) est en train de me préparer une super arrivée et je leur fait confiance comme pour tout, je m’appuie sur eux. Il y aura peut-être du zouk à l'arrivée, Jeremy, Quentin et Eric vont monter sur le bateau. Ca va etre chouette car on est une petite équipe. 

Petit confort du bord, le rideau, ou comment ne rien négliger


 

Je veux profiter de tout et faire la fête et ce n’est pas que pour moi, c’est pour tous ceux qui m’attendent, ma femme et mes deux enfants, mes préparateurs, ma famille, mes amis. Des retrouvailles ça se fête !

Clément Giraud, skipper Compagnie du Lit / Jiliti

 

Outre-mer la 1ère : Question classique pour tout futur arrivant, avez-vous envie de manger quelque chose de précis ?

Clément Giraud : Je vais faire mon difficile, une grosse entrecôte avec un peu de foie gras frais dessus, une grosse salade en entrée et en dessert une salade de fruit. Et puis sans doute boire quelques bières fraiches. Là je me suis fait des pâtes car j’ai un aussi un fournisseur de parmesan italien (Ambrosi), donc pâtes, parmesan avec du maquereau à la sauce créoline Dame Besson, le poisson c’est plein d’oméga 3 c’est top.  

Outre-mer la 1ère : Est-ce que quelque chose a changé en vous

Clément Giraud : Je ne saurai pas trop dire quoi, aujourd’hui je pense que j’ai plus confiance en moi, et j’en avais besoin. Je suis devenu un marin, je ne suis plus juste un régatier et ce milieu me plait, il m’a conquis et adopté. J’avais déjà navigué beaucoup, mais là dans ma vie je deviens marin qui aime la mer et le bateau.

Outre-mer la 1ère : Vous êtes resté dans votre bulle de matin pendant ces trois mois ?

Clément Giraud : Non pas du tout, le monde continue à tourner alors que j’ai tourné autour du monde. Et même si je suis cloitré dans peu d’espace, j’ai beaucoup suivi l’actualité je n’ai jamais coupé, j’ai des idées et des réflexions au niveau société et politique. Ce qui est top c’est que j’y ai réfléchi en mer. On a été chanceux d’être épargnés, nous les marins.

Surtout ce qui me fait mal c’est ce tournant climatique qu’on ne prend pas, pour protéger les océans, nos enfants, nos forêts. Les virus c’est un révélateur de tout ça. On refuse de voir certaines choses naturelles. il faut qu’on voit les choses dans leur globalité, avec un enjeu économique. L’écologie prend un tournant. Ça demande des sacrifices. Ceux qui galèrent ce n’est pas leur priorité le changement climatique, c’est plutôt d’avoir de quoi manger et que leurs enfant partent le ventre plein à l’école. Les vrais changements permettraient de nourrir tout le monde, mais je suis peut-être utopiste.

Un petit bonheur plein d'ocytocine : du fromage de brebis, de la confiture de cerise et du champagne au passage de l'Equateur

 

On muselle nos enfant depuis un an, les adultes aussi, sous couvert des mesures sanitaires. Aujourd’hui il y a des gens qui ont tellement besoin de l’ocytocine, l’hormone du bonheur et ça on nous en prive. Un sourire dans la rue ? On n’en a plus ! Le mal du confinement va être plus important que le virus lui-même.

Clément Giraud, skipper Compagnie du Lit / Jiliti

 

Outre-mer la 1ère : Un petit mot de cette vidéo en créole, pourquoi l’avoir fait ?

Clément Giraud : Je viens de passer à la latitude des Antilles. Forcément j’ai eu une grosse pensée pour mes îles. Et que le carnaval n’ait pas lieu, c’est triste ! Il y a tellement de communes qui vivent ça tout au long de l’année, avec des répétitions musicales, les couturières qui travaillent, le carnaval est amputé par le Covid. Symboliquement j’ai voulu faire ça, c’est spontané, je suis comme ça.
Je n’ai pas fait partie de troupes de carnaval, mais les vidé j’en ai fait quelques-uns….en Guadeloupe surtout. En Martinique c’était à l’école et j’étais plus petit. Mais dès la maternelle tu es déguisé donc après tu continues.

 

Vidéo en créole de Clément sur le Carnaval