"Cette affaire de date, ce n'est pas un camp contre un autre !" : entretien avec le ministre des Outre-mer sur le 3e référendum en Nouvelle-Calédonie

Le ministre des Outre-mer a répondu à nos questions mercredi 2 juin.

Sébastien Lecornu a accordé, mercredi, un entretien à Outre-mer la 1ère. Le ministre des Outre-mer est revenu sur l'annonce officielle quelques heures plus tôt de la date du troisième référendum en Nouvelle-Calédonie. Le 12 décembre 2021 ne fait pas consensus.

​​​​​​Après l'annonce officielle de la date du troisième référendum en Nouvelle-Calédonie, le ministre des Outre-mer a répondu à nos questions. Sébastien Lecornu s'explique sur la date du 12 décembre 2021, la période de transition de deux ans qui suivra et, plus généralement, le calendrier de sortie de l'Accord de Nouméa. Il évoque également les dessous de la séquence parisienne de discussions entre l'État, les loyalistes et les indépendantistes ces derniers jours autour des implications du Oui et du Non à la prochaine consultation référendaire. 


Nathalie Nouzières, journaliste à Outre-mer la 1ère : Vous avez annoncé la date du 3e référendum en Conseil des ministres ce mercredi. Ce sera le 12 décembre 2021. Les indépendantistes souhaitent plutôt qu’il ait lieu fin 2022. Pourquoi avez-vous choisi cette date ?

Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer : "On a choisi un calendrier global de fin d'accord de Nouméa d'une part, et d'une période post Accord de Nouméa d'autre part. Et si on n'explique pas ça, on ne comprend pas pourquoi il y a la date en 2021. Je vous le dis tout de suite, cette affaire de date, ce n'est pas un camp contre un autre. J'ai entendu des gens dire que si on prend telle date, c'est qu'on choisit tel ou tel camp et c'est tout le contraire de la méthode depuis le deuxième référendum et ma venue sur le Caillou en octobre dernier.

Cette affaire de date, ce n'est pas un camp contre un autre.

Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer


Au lendemain de l'Accord de Nouméa, c'était le grand flou. Le flou en cas de Oui beaucoup. Un peu aussi le flou, malgré tout, en cas de Non. Et si on veut éviter le caractère un peu ultime de ce troisième référendum, si on veut sécuriser l'Accord de Nouméa – une période de sécurisation politique et juridique – il fallait envisager le jour d'après. Le jour d'après, c'est cette période de transition, de stabilité jusqu'au 30 juin 2023. À partir de cela, il fallait caler un rétro planning qui nous amenait à la date de décembre 2021.

Et puis ce référendum a été demandé par les indépendantistes. Il n'a pas été demandé par le gouvernement de la République. C'est d'ailleurs bien légitime qu'ils l'aient demandé et ils l'ont demandé vite parce qu'ils étaient dans un moment de l'Accord, entre le deuxième et le troisième référendum, pendant lequel ils voulaient marquer cette étape du processus de décolonisation."

Q : L’UNI n’a pas participé à ces discussions. La délégation de l’Union Calédonienne dit qu’elle ne valide pas la décision prise par l’État. Cette date ne fait donc pas consensus. Vous dites que vous l’assumez. Est-ce que ce n’est pas prendre un risque ?

L'État respecte l'Accord de Nouméa, on tient parole, on l'organise, on organise un référendum dans un délai qui est légal et on le fait sur la base des compétences du gouvernement de la République.

Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer


R : "C'est normal que l'État l'assume, c'est sa décision. Ce qui est curieux, c'est que si l'État se mêlait d'aspects qui correspondent à des compétences des institutions calédoniennes, on dirait que l'État ne respecte pas l'Accord. La fixation de la date du référendum, ce n'est pas une décision du Comité des Signataires, c'est une décision du gouvernement de la République. Ce sont trois décrets qui sont signés par le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur et moi-même.

Q : Vous ne craignez pas cette absence de consensus?

Il n'y a pas de consensus, mais le principe du troisième référendum, lui, est consensuel.

Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer


R : "C'est la responsabilité du gouvernement de la République de savoir quand est-ce que nous pouvons l'organiser. Personne n'en parle, mais nous nous avons une visibilité globale sur comment la République peut organiser les choses, sur le terrain de la sécurité publique, de l'ordre public. Ce sont des critères évidemment qui entrent en ligne de compte.

Et puis, pardon, on en a déjà fait deux. Qu'est ce qui manquait au fond ? Ce que veut dire le Oui, ce que veut dire le Non. Ce que demande l'UNI (Union Nationale pour l'Indépendance, NDLR) depuis de nombreuses années. Ce que demande l'UC (Union Calédonienne, NDLR) aussi depuis maintenant plusieurs temps. Nous l'avons fait. La derrière chose qui manquait - ce qu'on nous a suffisamment reproché par ailleurs pour ce processus référendaire - c'est donner des éléments sur les réponses. Nous venons de le faire ! Quels sont les arguments  pour encore perdre du temps ? On arrive à la fin de l'Accord. Celles et ceux qui habitent le Caillou ont le droit de connaître leur avenir.

Q : Pouvez-vous nous expliquer cette période de transition de deux ans et la période de sortie de cet Accord de Nouméa ? 

R : "C'est assez clair. Cette période de transition vient s'adosser à la fin de l'Accord. On sait très bien que ce troisième référendum marque la fin de l'Accord politiquement. Juridiquement, nous préciserons les choses, les institutions de NC, un certain nombre de transferts de compétences."

Q : Il n'y a pas de vide à la fin de l'Accord?

R : "En cas de Oui ou en cas de Non? En cas de Non, il n'y a pas de vide. En cas de Oui, il y aurait pu y en avoir, et l'Union Calédonienne est venue avec cette revendication d'avoir une période de stabilité et de transition. Le Gouvernement de la République s'est engagé devant l'UC, représentée par la plupart de ses chefs qui étaient présents ici à Paris, à cette période de transition. Et c'est du bon sens parce que même en cas de Non, nous avions besoin d'une période de transition pour traiter un certain nombre de sujets.

On ne parle jamais d'économie dans ce dossier. On aime bien parler de politique. Moi, je ne sais pas expliquer à des investisseurs, à des banquiers, à des gens qui veulent investir en Nouvelle-Calédonie, créer de l'emploi, créer de la richesse, qu'au fond, l'avenir on n'en sait rien. Le Oui et le Non, c'est déjà deux champs qui sont parfois flous. On a levé beaucoup d'incertitudes et d'ambigüités grâce à ce document (de 44 pages, rédigé par l'État, sur les implications du Oui et du Non, NDLR), on se doit d'avoir une période qui permet de fixer et de sécuriser la vie économique, financière, monétaire, bancaire calédonienne."

Q : Quoi qu’il arrive, il y aura un nouveau référendum, à l’issue de cette période de transition ?

R : "Un état indépendant devra bien passer par une étape constituante, donc aller devant la population avec un corps électoral qui sera défini en cas de Oui, se doter d'une constitution. Quel est le lien que ce territoire veut avoir avec la République ? Indépendance, association… Donc on a besoin de cette période de transition pour planifier cela. En cas de Non, c'est pareil."

Q : Pendant près d’une semaine, avec les délégations calédoniennes, vous avez  aussi discuté du document dense élaboré par le gouvernement, qui détaille les conséquences du Oui et du Non. Qu'en retenez-vous ? 

Il y a beaucoup plus de choses sur lesquelles on est d'accord qu'on ne le croit.

Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer

 

R : "Personne ne veut que les gens s'appauvrissent. Personne ne dit 'on veut moins d'éducation, on veut moins de protection de l'environnement'. Il y avait aussi des vraies divergences. Celles qu'on connait et celles qu'on découvre. Parfois, il y a des divergences avec l'État. J'ai pris ma responsabilité : en cas de Oui, est-ce que l'ensemble des habitants de Kanaky indépendante vont accéder à la double nationalité avec la citoyenneté française? La réponse est non. Quel état indépendant aurait l'intégralité de sa population dont elle partagerait la citoyenneté avec un autre état souverain? Ça n'existe pas. Il faut lever ces non-dits et ces tabous.

Les indépendantistes ont obtenu une avancée importante, c'est de marquer dans le temps nos engagements onusiens avec le refus d'une demande de retrait unilatéral par la France de la Nouvelle-Calédonie des pays qui sont inscrits au C-24 (le Comité spécial des Vingt-Quatre ou Comité spécial de la décolonisation, NDLR). Ce sont des choses très concrètes pour les familles indépendantistes, et il faut aussi avoir le respect de comprendre ce combat."

Q : À travers les décisions que vous avez annoncées, voulez-vous affirmer que l’État est de retour dans le dossier calédonien ?

R : "Je n'ai pas le sentiment qu'il était parti. C'est un moment de l'Histoire dans lequel l'État reste neutre - on ne transigera pas avec ça - et dans lequel le gouvernement de la République, peut-être comme en 88 et en 98, doit commencer à éclairer le chemin pour la suite. C'est aussi notre rôle. Donc ce n'est pas le retour de l'État, il a toujours été là. En revanche, l'État va réaffirmer son rôle de partenaire, de troisième partenaire, dans le cadre de l'Accord de Nouméa, c'est une certitude.
 

Écoutez ici l'intégralité de l'entretien du ministre des Outre-mer réalisé par Nathalie Nouzières, François Brauge et Emmenuel Morel : 

Avenir de la Nouvelle-Calédonie : l'intégralité de l'entretien avec Sébastien Lecornu