Il y a 40 ans, le chlordécone était interdit aux Etats-Unis. Cet insecticide utilisé pendant plus de 20 ans de 1972 à 1993 aux Antilles dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique a empoisonné durablement les sols, les rivières, la mer. La1ère.fr fait le point sur ce dossier. Premier volet.
#1 Le chlordécone, qu’est-ce que c’est ?
Le chlordécone aux Antilles, c’est l’équivalent des essais nucléaires en Polynésie ou de l'affaire de l’amiante dans l’Hexagone. Ce pesticide a été utilisé aux Antilles pour lutter contre un insecte, le charançon, dans les bananeraies de 1972 à 1993. Or cet insecticide comme la plupart des pesticides organochlorés est "difficilement biodégradable et fortement persistant dans l’environnement" comme l’écrit Pierre-Benoit Joly de l'INRA dans son document publié en 2010 sur la saga chlordécone."Trois kilos de chlordécone épandus par hectare et par an ne s'éliminent totalement des sols qu'au bout de sept siècles" précise l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques dans un rapport paru en 2009. Or selon ce même rapport, 300 tonnes de chlordécone ont été déversés en Martinique et en Guadeloupe pendant 20 ans.
#2 Importance de la banane aux Antilles
En Martinique et en Guadeloupe, la banane est devenue le fruit le plus cultivé. L’économie antillaise dépend grandement de cette filière banane qui emploie environ 10 000 personnes. C’est une culture principalement tournée vers l’exportation. La banane est le deuxième fruit le plus consommé en France. Mais comme toute monoculture, la filière banane est fragile. Des insectes comme le charançon, des champignons s’attaquent aux bananeraies. Dans les années 70, la réponse était avant tout chimique.Par ailleurs, sans la banane, le coût des importations grimperait fortement. Ce fruit est l'un des rares produits d'exportation, il permet donc de remplir les porte-conteneurs au départ de la Martinique et de la Guadeloupe. La filière banane est un maillon essentiel du fonctionnement de l'économie antillaise. Sans elle, il faudrait tout remettre à plat et revoir à la hausse le coût d'approche des importations.
#3 Le chlordécone : une saga
Dans les années 50, raconte Pierre-Benoit Joly, directeur de recherche à l'INRA, "le charançon était considéré comme l’ennemi n°1 du bananier". "Les larves se nourrissent des racines de la plante, entravant son développement et fragilisant la plante toute entière, en particulier en cas de cyclone", peut-on lire dans le rapport de l'office parlementaire des choix scientifiques.En 1964, le chlordécone a été utilisé au Cameroun où il s’est avéré efficace. Après de nombreux va-et-vient au sein de l’administration, l’insecticide est finalement autorisé par le ministère de l’Agriculture à partir de 1972 aux Antilles.
Et pourtant, dès 1975, le chlordécone fait parler de lui, en mal. Dans l’usine d’Hopewell en Virginie aux Etats-Unis, la molécule est synthétisée et vendue sous le nom de Képone. La moitié des employés sont contaminés par le képone. A cela s’ajoute la pollution de la rivière située à proximité. L’usine est donc fermée en 1975 et les Etats-Unis interdisent en 1976 le chlordécone. Quarante ans plus tard, le chlordécone pollue durablement les sols de la Martinique et des Antilles.
#4 Dérogations et plainte
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais malgré la catastrophe d’Hopewell, le chlordécone continue à être utilisé dans les bananeraies des Antilles. Pourtant, deux rapports, Snégaroff en 1975 et Kermarrec en 1980 soulèvent plusieurs questions sur les conséquences de l’utilisation de l’insecticide.Au début des années 80, les planteurs qui ont subi deux cyclones voient leurs bananeraies envahies de charançons. Le chlordécone commercialisé sous le nom de curlone reste pour eux l’arme fatale numéro 1. Pendant ce temps à Paris, l’insecticide soulève de plus en plus de questions : pollution des sols, risques pour les hommes. La commission des toxiques décide d’interdire le chlordécone en 1989 en France.
Malgré l’interdiction, les planteurs des Antilles obtiennent à plusieurs reprises des dérogations. Un rapport d'information de l'Assemblée nationale de 2005 explique précisément comment cela s'est passé au niveau du gouvernement (pages 24 et 25). A le demande d'élus locaux, les ministres Henri Nallet en 1990, Louis Mermaz en 1992 et Jean-Pierre Soisson en 1993 ont accordé des dérogations. Le chlordécone continue donc à être utilisé jusqu’en 1993 en Martinique et en Guadeloupe.
#5 Médiatisation du chlordécone
Des associations comme l’Assaupamar en Martinique dénoncent l’emploi massif de pesticides et le risque que cela implique sur la qualité de l’eau. En Guadeloupe, le docteur Multigner, épidémiologiste s’intéresse au dossier.En 2002, à Dunkerque, la douane saisit une cargaison de patates douces en provenance de Martinique contaminées par le chlordécone. Elle a été alertée par la Direction des affaires sanitaires et sociales de la Martinique. Le journal Libération rend l’affaire publique et titre "En Martinique, patates douces et toxiques durs". Suite à cette affaire, sous l’impulsion du député Philippe Edmond-Mariette, une mission d’enquête parlementaire est créée.
En 2007, L’écrivain Raphaël Confiant et Louis Boutrin publient "Chronique d’un empoisonnement annoncé", un livre qui trouve localement un certain écho. Ils dénoncent la complicité des services de l’Etat, des préfets, des "latifundistes békés" et des grands planteurs qui ont contribué avec le chlordécone à polluer les sols, l’eau, les légumes, les poissons.
La même année, Le Parisien s’empare de l’affaire et livre un dossier complet sous le titre : "pesticides : le scandale qui empoisonne les Antilles". Le quotidien donne la parole dans ses colonnes au docteur Belpomme. Ce cancérologue affirme que l’affaire du chlordécone s’apparente à l’affaire du sang contaminé. Le docteur Belpomme fait l’objet de nombreuses critiques sur le sérieux de ses propos et de son rapport, mais il contribue grandement à la mise en lumière de l’affaire.
>>Découvrez la suite de notre dossier : le chlordécone, et maintenant ?