Marie-Jeanne Manuellan a travaillé au Centre neuropsychiatrique de l’hôpital de Tunis sous la direction de Frantz Fanon à la fin des années cinquante. C’est à elle qu’il dicte notamment « Les Damnés de la terre ». Elle raconte aujourd’hui son expérience dans un livre.
A 89 ans, Marie-Jeanne Manuellan vient de publier son premier livre. Et pas n’importe lequel. C’est le témoignage fort et unique d’une personne qui a côtoyé Frantz Fanon au quotidien entre 1958 et 1961, année de son décès. A l’époque, Marie-Jeanne Manuellan est assistante sociale et a été affectée au Centre neuropsychiatrique de l’hôpital de Tunis, dirigé par Fanon. Le médecin psychiatre membre du Front de libération nationale (FLN) a été expulsé d’Algérie en 1956 et a rejoint la Tunisie indépendante d’où il continue à travailler pour les nationalistes algériens.
Marie-Jeanne Manuellan arrive dans le service du médecin chef Frantz Fanon au milieu de l’année 1958. Elle ne sait encore rien de lui. « Ce fut Si Aissa, le surveillant, qui m’accueillit », écrit-elle, « puis me présenta dans l’entrée du pavillon à Fanon, glacial, me serrant à peine la main, le regard au-delà de ma personne, comme si j’eusse été une sorte d’objet transparent et importun ». Elle se renseigne. « Pour l’instant vous le détestez, mais après vous l’adorerez », lui dit-on.
Dans son livre, Marie-Jeanne Manuellan détaille le travail de Fanon au jour le jour. Elle le suit dans ses visites des malades, prend note de toutes ses observations comme il lui a demandé, assiste à ses réunions de travail. « En l’écoutant, c’était comme si on devenait plus intelligent. Des situations s’éclairaient soudain, des tableaux cliniques qui étaient restés jusque-là dans une obscure incompréhension », relate-t-elle. « Bien sûr, pour certains, Fanon était un type imbuvable. Parce qu’il ne tolérait pas, quand c’était primordial, la moindre défaillance, la moindre négligence quand celle-ci était évitable. Il n’était pas un “persécuteur” tatillon. Il était exigeant, à commencer envers lui-même. »
Au contact de Fanon durant ces moments cruciaux et privilégiés, au plus près également de sa pratique novatrice de la psychiatrie, le témoignage de Marie-Jeanne Manuellan est exceptionnel. Il révèle toutes les facettes, parfois contradictoires, d’un personnage hors du commun, figure emblématique de la Martinique et des peuples déterminés à changer le cours de l'histoire.
Marie-Jeanne Manuellan, « Sous la dictée de Fanon » - L'Amourier Editions (2017), 190 pages, 17 euros.
Marie-Jeanne Manuellan arrive dans le service du médecin chef Frantz Fanon au milieu de l’année 1958. Elle ne sait encore rien de lui. « Ce fut Si Aissa, le surveillant, qui m’accueillit », écrit-elle, « puis me présenta dans l’entrée du pavillon à Fanon, glacial, me serrant à peine la main, le regard au-delà de ma personne, comme si j’eusse été une sorte d’objet transparent et importun ». Elle se renseigne. « Pour l’instant vous le détestez, mais après vous l’adorerez », lui dit-on.
"J’ai des responsabilités au FLN et je ne fréquente pas les Français !"
Effectivement, les relations entre les deux personnes vont s’améliorer, Fanon raccompagnant même sa collaboratrice sur une partie de son trajet, presque tous les jours, et en dépit des remarques parfois blessantes du psychiatre martiniquais. « Vous ne savez peut-être pas que j’ai des responsabilités au FLN et que je ne fréquente pas les Français ! », lui lance-t-il un jour. « Je suis tombée sur un prétentieux sadique », se plaint alors Marie-Jeanne Manuellan à son époux. « Votre mari doit être quelqu’un de bien parce que vous êtes une fille bien », dit cependant quelques semaines plus tard Fanon à son assistante stupéfaite.Dans son livre, Marie-Jeanne Manuellan détaille le travail de Fanon au jour le jour. Elle le suit dans ses visites des malades, prend note de toutes ses observations comme il lui a demandé, assiste à ses réunions de travail. « En l’écoutant, c’était comme si on devenait plus intelligent. Des situations s’éclairaient soudain, des tableaux cliniques qui étaient restés jusque-là dans une obscure incompréhension », relate-t-elle. « Bien sûr, pour certains, Fanon était un type imbuvable. Parce qu’il ne tolérait pas, quand c’était primordial, la moindre défaillance, la moindre négligence quand celle-ci était évitable. Il n’était pas un “persécuteur” tatillon. Il était exigeant, à commencer envers lui-même. »
Figure emblématique
Durant des semaines, entre sept et neuf heures du matin, le psychiatre martiniquais dictera « L’An V de la révolution algérienne » (publié en 1959) à son assistante. Sans aucune note. En marchant, « parlant » son livre, « comme si de ses pas, du rythme de son corps en marche, jaillissait sa pensée, sans à-coups, avec très rarement des interruptions, des retours en arrière, des reprises ». Il fera de même pour les « Damnés de la terre », son dernier essai avant sa mort en 1961, à l’âge de 36 ans.Au contact de Fanon durant ces moments cruciaux et privilégiés, au plus près également de sa pratique novatrice de la psychiatrie, le témoignage de Marie-Jeanne Manuellan est exceptionnel. Il révèle toutes les facettes, parfois contradictoires, d’un personnage hors du commun, figure emblématique de la Martinique et des peuples déterminés à changer le cours de l'histoire.
Marie-Jeanne Manuellan, « Sous la dictée de Fanon » - L'Amourier Editions (2017), 190 pages, 17 euros.