A Mayotte, la notation des épreuves du baccalauréat divise certains membres du corps enseignant et le vice-rectorat: les premiers dénoncent des résultats "surévalués", le second parle d'une "bienveillance" similaire à la celle qui s'exerce dans l'hexagone.
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"Si la notation se faisait de manière réelle, on serait très en dessous des résultats affichés", estime Didier Tabaraud Le Fer, inspecteur de l'Education nationale. Pourtant, ces résultats sont déjà inférieurs à ceux enregistrés au national : en 2016, le taux de réussite toutes filières confondues était de 74% à Mayotte contre 91% en moyenne en France.
Des établissements surchargés
Département depuis 2011 seulement, Mayotte est en pleine construction et doit faire face à une démographie importante - plus de la moitié de la population a moins de 18 ans - ainsi qu'à une forte pression migratoire des îles voisines de l'Union des Comores. C'est pourquoi les établissements demeurent surchargés (chaque collège accueille en moyenne 1.300 élèves) malgré le rythme rapide des constructions scolaires (un collège ou un lycée tous les 18 mois). En outre, les besoins en enseignants contraignent l'académie à recruter davantage de contractuels - qui représenteront plus de 40% des effectifs totaux du second degré en 2017, selon le vice-rectorat - pour pallier les carences en titulaires.
Enfin, les élèves - dont la langue maternelle n'est que marginalement le français - vivent souvent dans des conditions de pauvreté ne favorisant pas l'apprentissage. Par exemple, la collation scolaire constitue pour certains élèves le seul repas
du jour.
"Maintenir un niveau flatteur"
Interrogé par l'AFP, un professeur titulaire corrigeant le baccalauréat à Mayotte confie sous couvert d'anonymat que "le principe est de maintenir artificiellement un niveau de notes flatteur". Pour ce faire, il explique qu'un seuil maximal de pénalisation existe pour les fautes de français, et que la saisie définitive des résultats ne se fait qu'après l'accord du chef de centre d'examen. Cette indulgence commencerait dès le brevet : un autre professeur contacté, déclare lui aussi anonymement, "qu'on ajoute des points d'office pour la présentation et l'écriture, quand bien même il y aurait une copie avec écrit absolument n'importe quoi".
Mais pour l'inspecteur régional Nicolas Turquet, cette "bienveillance" à l'égard des élèves fait partie "de la même dynamique" préconisée au niveau national, affirme-t-il au nom du vice-rectorat.
"Un crible métropolitain"
Si le professeur interrogé par l'AFP reconnaît que ces pratiques existent également en métropole, elles sont, pour lui, "poussées dans leur fonctionnement à l'extrême" à Mayotte et connaissent quelques spécificités, comme la correction des copies qui se fait obligatoirement au sein des centres d'examen et non au domicile des professeurs, "ce qui induit une surveillance continue des professeurs" par le vice-rectorat. Autre particularité selon ce même fonctionnaire : la correction du baccalauréat par des professeurs de collège puisque les enseignants titulaires en lycée viennent à manquer. "Il y a un crible métropolitain qu'on doit quitter", juge Nicolas Turquet, prenant l'exemple d'un sujet de 2017 basé sur des poèmes évoquant le train: "Il n'y a pas de train ici. La connaissance du train n'est donc pas ce qui est important dans la copie, c'est la façon dont l'élève va appréhender ce sujet". Pour cet inspecteur régional, "ce sont les compétences propres de l'élève qui doivent être prises en compte".
D'après le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (CESEM), 85% des Mahorais échouent en première année d'études supérieures contre 54% en national. Un taux que Nicolas Turquet explique par "un changement de cadre" important puisque la majorité des étudiants se rendent alors en métropole. Pour l'enseignant interrogé par l'AFP, qui préconise un plus grand recours au redoublement, c'est le résultat "d'un écrasement vers la moyenne (...) contre-productif et presque condescendant".