La bévue administrative d’un visa refusé puis finalement accordé ne devrait pas occulter le phénomène littéraire Ali Zamir.
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Cet auteur comorien qui publie un premier roman déjà remarqué Anguille sous roche aux éditions Le Tripode le 1er septembre s’était vu opposer un refus de visa pour un transit par le département de La Réunion. Son voyage vers Paris était prévu début septembre pour la présentation de son livre lors de la rentrée littéraire. Au bout de 24 heures, après pétition et articles de presse, le visa lui a finalement été accordé. Il pourra participer aux multiples rencontres déjà prévues, avec ses lecteurs et avec la presse, ainsi que répondre présent aux nombreux prix littéraires qui ont déjà sélectionné son livre. Pour un voyage en absurdie bureaucratique, lire le témoignage de l’auteur recueilli par Valérie Marin La Meslée, du Point.
Non, ce qui fait de ce roman, Anguille sous roche, un objet singulier est qu’il a d’emblée un style à lui. Anguille… est un roman ambitieux à la glose précieuse mais coulante comme une houle, travaillée à l’ombre des badamiers, mi-jactance intérieure mi-pages des dictionnaires les plus fins. Un roman à l’unique phrase de 318 pages à la langue singulière, aérienne et captivante. Pour Frédéric Martin, l’éditeur d’Ali Zamir, ce qui fait sa singularité est « la très grande liberté que l’auteur s’est donnée ».
Pourquoi 130 lecteurs ont lu Anguille sous roche avant sa sortie en librairie ? La réponse tient en une belle trouvaille de l’éditeur qui a organisé « Le Grand Trip », une opération destinée à faire connaître deux de ses livres de la rentrée avant le rush attendu qui risque de jouer comme rouleur compresseur même pour de bons livres (plus de cinq cents sont annoncés). Les avis de ces lecteurs en avant-premières sont consultables sur le groupe Facebook « Lecteurs du Grand Trip ».
Anguille aime la digression et les aphorismes de son cru : « la vie est une espèce de chemin à la fois long et court qui ne prend sens que dans le rêve collectif ». Elle décrit cette vie comme un « théâtre » et « cette scène à multiples pièces qu’on appelle monde ». Notez cette perle : « l’âme c’est une sorte de lampe invisible qu’on nous prête pour un laps de temps dans cette scène obscure qu’on appelle monde. »
« C’est dans la mer que se passe les plus belles histoires du monde », nous dit l’héroïne. La mer, « sœur jumelle de la terre », métaphore de la connaissance, celle du pêcheur, de l’anguille évidemment, un infini la mer, d’où tout vient à commencer par la pêche quotidienne et où tout va et retourne… « je suis un monde à part entière », conclut Anguille vers la fin de ce roman bâti comme un destin littéraire hors norme.
Extrait pp. 80-81, la rencontre entre Anguille et Vorace :
«… c’est à partir de ce jour que j’avais compris que les yeux ont leur propre manière de dénuder le cœur, ils disent directement et exactement ce que cache et amasse un ciel brumeux, pourquoi je dis ça, j’ai été vaincue sans le savoir car je m’étais laissée aller par leur gourmandise, lorsque Vorace m’avait adressé une espèce de sourire qui était plein de je-ne-sais-quoi, j’étais hors de moi, j’avais fait involontairement un geste stupide, au lieu de prendre des rames qu’il me tendait, j’avais tenu longuement ses poignets et le regardais comme une folle, oui, une malade, j’avais alors insisté pour sentir la fraîcheur de sa peau, je le touchais par la main par contre je sentais sa fraîcheur dans les yeux et sa chaleur dans le coeur, à vrai dire j’ai été paralysée par ce sourire merveilleusement séduisant, j’ai même vu ses dents, elles étaient très fines et brillaient d’un éclat de perle… »
Florilège : « Je suis un chauffeur de mots », confie Anguille au lecteur épaté. On veut bien la croire, au vu de ce petit florilège langagier relevé dans Anguille sous roche, fait de mots rares empruntés à des registres divers : hétaïre, nocher, empyrée, émerillonné, mazette, démérite, maussaderie, s’embarbouiller, se piéter, marmotter, misandre, protée, zeuzère ; de mots endémiques : chigoma, zifafa, tam-tam de bœuf ; d’expressions insolites : devenir ivre comme toute la Pologne, je voulais leur chanter pouilles, une gueule d’empeigne, des amandes sauvages comme pneus, devenir un pourceau d’Épicure, une voix hideusement saturnienne. Sans oublier cette allusion goguenarde à une figure de style insolite : « une espèce d’apsiopèse primesautière ».
Regardez le reportage de France Ô / Outre-mer 1ère
Le reportage a été réalisé mercredi 17 août 2016Un auteur inconnu et prometteur
C’est l’occasion de s’intéresser au plus important : la révélation littéraire nommée Ali Zamir. Il y a au moins trois bonnes raisons de rencontrer Ali Zamir que vous soyez éditeur, lecteur ou journaliste.Primo, ce n’est pas l’intrigue qui suscitera la curiosité : une jeune Comorienne de 17 ans, de l’île d’Anjouan est plaquée par son amant et s’enfuit pour Mayotte, l’île voisine. Lors de ce trajet, elle se remémore sa vie.
Non, ce qui fait de ce roman, Anguille sous roche, un objet singulier est qu’il a d’emblée un style à lui. Anguille… est un roman ambitieux à la glose précieuse mais coulante comme une houle, travaillée à l’ombre des badamiers, mi-jactance intérieure mi-pages des dictionnaires les plus fins. Un roman à l’unique phrase de 318 pages à la langue singulière, aérienne et captivante. Pour Frédéric Martin, l’éditeur d’Ali Zamir, ce qui fait sa singularité est « la très grande liberté que l’auteur s’est donnée ».
Qui est Ali Zamir ?
Deuxio, le peu que l’on connait de la biographie de son auteur le rend attachant. Avant que d’être responsable de la culture à la mairie de Mutsamudu, capitale d'Anjouan, Ali Zamir avait étudié la littérature française à l’université du Caire (Egypte). Un professeur se souvient de la qualité de ses textes, « à part ». C’est dans cette période égyptienne qu’il aurait écrit en partie Anguille…"Littérature, arts, ovnis"
Ali Zamir a transmis son manuscrit aux éditions Le Tripode, dont la devise n’est rien moins que « Littératures, Arts, Ovnis ». Un ovni littéraire est un livre atypique qui, en raison de son originalité, n’entre pas dans une collection. C’est le cas pour Anguille… Quant à savoir si Ali Zamir qui vient des Comores est un Martien dans la rentrée littéraire, il suffit de consulter le site de référence, Île en île, spécialisé sur les littératures insulaires francophones, pour constater que les Comores sont un poids plume dans le domaine.Des éloges prometteurs
Tertio, Anguille sous roche qui ne sera en librairie que le 1er septembre est pourtant accompagné par un flot de compliments d’écrivains patentés (Véronique Ovaldé ou Sylvain Prudhomme par exemple), d’éloges de libraires, de dithyrambes de lecteurs tests et de sélection pour plusieurs finales de prix littéraires. A lire : les satisfécits sur le site de son éditeur Le Tripode.Pourquoi 130 lecteurs ont lu Anguille sous roche avant sa sortie en librairie ? La réponse tient en une belle trouvaille de l’éditeur qui a organisé « Le Grand Trip », une opération destinée à faire connaître deux de ses livres de la rentrée avant le rush attendu qui risque de jouer comme rouleur compresseur même pour de bons livres (plus de cinq cents sont annoncés). Les avis de ces lecteurs en avant-premières sont consultables sur le groupe Facebook « Lecteurs du Grand Trip ».
Connaît-Tout, Crotale, Tranquille et Voilà
Dans Anguille… tous les personnages ont pour nom un surnom. Le père s’appelle Connaît-Tout. Il lit la presse et répète : « je suis marin et un marin n’a rien à perdre ». Il aime que ses filles aillent à l’école : « l’école, vous dis-je, est l’habit moral du corps humain ». La sœur jumelle d’Anguille est Crotale, sa tante Tranquille, son amant Vorace, « bâti à chaud et à sable », « le pêcheur le plus beau du quartier », « un mignon de couchette ». L’ami de l’amant s’appelle Voilà, un ami pêcheur Garanti. Les pilotes de kwassa-kwassa portent les noms forcément prédestinés de Miraculé et Rescapé, etc."Le pays des questions"
Dans l’île d’Anjouan, « le pays des questions », Anguille vit dans une modeste maison, de la terrasse de laquelle elle contemple la mer, assiste aux débats et bagarres des pêcheurs. Elle observe la ville et les hommes qui discutent sous le badamier, le quartier de Mpouzini, la plage de Mjihari.Anguille aime la digression et les aphorismes de son cru : « la vie est une espèce de chemin à la fois long et court qui ne prend sens que dans le rêve collectif ». Elle décrit cette vie comme un « théâtre » et « cette scène à multiples pièces qu’on appelle monde ». Notez cette perle : « l’âme c’est une sorte de lampe invisible qu’on nous prête pour un laps de temps dans cette scène obscure qu’on appelle monde. »
« C’est dans la mer que se passe les plus belles histoires du monde », nous dit l’héroïne. La mer, « sœur jumelle de la terre », métaphore de la connaissance, celle du pêcheur, de l’anguille évidemment, un infini la mer, d’où tout vient à commencer par la pêche quotidienne et où tout va et retourne… « je suis un monde à part entière », conclut Anguille vers la fin de ce roman bâti comme un destin littéraire hors norme.
Extrait pp. 80-81, la rencontre entre Anguille et Vorace :
«… c’est à partir de ce jour que j’avais compris que les yeux ont leur propre manière de dénuder le cœur, ils disent directement et exactement ce que cache et amasse un ciel brumeux, pourquoi je dis ça, j’ai été vaincue sans le savoir car je m’étais laissée aller par leur gourmandise, lorsque Vorace m’avait adressé une espèce de sourire qui était plein de je-ne-sais-quoi, j’étais hors de moi, j’avais fait involontairement un geste stupide, au lieu de prendre des rames qu’il me tendait, j’avais tenu longuement ses poignets et le regardais comme une folle, oui, une malade, j’avais alors insisté pour sentir la fraîcheur de sa peau, je le touchais par la main par contre je sentais sa fraîcheur dans les yeux et sa chaleur dans le coeur, à vrai dire j’ai été paralysée par ce sourire merveilleusement séduisant, j’ai même vu ses dents, elles étaient très fines et brillaient d’un éclat de perle… »
Florilège : « Je suis un chauffeur de mots », confie Anguille au lecteur épaté. On veut bien la croire, au vu de ce petit florilège langagier relevé dans Anguille sous roche, fait de mots rares empruntés à des registres divers : hétaïre, nocher, empyrée, émerillonné, mazette, démérite, maussaderie, s’embarbouiller, se piéter, marmotter, misandre, protée, zeuzère ; de mots endémiques : chigoma, zifafa, tam-tam de bœuf ; d’expressions insolites : devenir ivre comme toute la Pologne, je voulais leur chanter pouilles, une gueule d’empeigne, des amandes sauvages comme pneus, devenir un pourceau d’Épicure, une voix hideusement saturnienne. Sans oublier cette allusion goguenarde à une figure de style insolite : « une espèce d’apsiopèse primesautière ».