Abrogation de la réforme des retraites : l’énorme enjeu du groupe LIOT

Le président du groupe LIOT Bertrand Pancher lors d'un point presse à l'Assemblée nationale vendredi 17 mars pour annoncer la motion de censure. À ses côtés, la députée réunionnaise Nathalie Bassire, vice-présidente du groupe.
La commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale n'a pas voté mercredi 31 mai l'abrogation du recul de l'âge légal de la retraite portée par le groupe LIOT. Une défaite pour les élus du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires. Mais ils n'ont pas dit leur dernier mot. Leur texte sera présenté le 8 juin prochain dans l'hémicycle et pourrait leur permettre de s'imposer dans le paysage politique français comme une force d'opposition.

Après l'examen en commission des affaires sociales, le 8 juin s'annonce d’ores et déjà comme une date clé pour le groupe parlementaire LIOT. Si vote il y a, le groupe qui mentionne expressément en son sein les Outre-mer pourrait véritablement justifier sa politique autoproclamée "centriste" par le député Guadeloupéen Olivier Serva.

Visant à annuler le recul de l'âge légal de 62 à 64 ans, leur dernière proposition de loi est soutenue par la gauche, le Rassemblement national (RN) et certains membres du groupe Les Républicains. Le texte a ainsi des chances d'être adopté en première lecture, si l'Assemblée nationale parvient jusqu'au vote.

Les députés ultramarins au cœur des préoccupations nationales

Parmi les 21 membres du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), cinq sont ultramarins : les députés Nathalie Bassire (La Réunion)  Max Mathiasin et Olivier Serva (Guadeloupe), Estelle Yousssouffa (Mayotte) et Stéphane Lenormand (Saint-Pierre et Miquelon).

L'idée d'un groupe transpartisan regroupant des députés d'Outre-mer avait déjà été évoquée en 2017. Mais, faute de participants, cette entité hétérogène n'avait pas vu le jour et a attendu 2022 pour se former. Une "obsession" pour Olivier Serva, qui s'est concrétisée avec l’aide de Bertrand Pancher, député de la Meuse et actuel président du groupe.


Pour le politologue Martial Foucault, professeur d’économie politique et titulaire de la Chaire Outre-mer à Sciences Po Paris, "le groupe va perdurer". Il s'attend néanmoins à ce que cette popularité grimpante soit bloquée "lors des questions purement ultramarines". Au-delà, il ajoute une autre réserve à son analyse sur le groupe politique : "Ce groupe LIOT, même s'il a une très forte tonalité ultramarine, a des députés sur lesquels on peut s’interroger sur l’alignement politique".

La position d’Olivier Serva ou d’Estelle Youssouffa ? Je ne vois pas d’alignement politique. Aujourd’hui, malgré sa genèse, il n’a pas encore réussi à mettre en avant des questions ultramarines. Pourtant, elles sont nombreuses. Tous les députés ultramarins souffrent que les députés de l’Hexagone ne se saisissent pas de sujets qui leur semblent uniquement ultramarins. Or, c’est le contraire. Il y a plein de sujets communs : le littoral, la gestion de l’eau, les services publics ou le logement social. Pour le moment, ce groupe a beaucoup de difficultés à se singulariser par une thématique Outre-mer.

Martial Foucault, politologue, professeur à Sciences Po Paris

L'article 40, un frein démocratique ?

Concernant la question des retraites, pour la majorité présidentielle comme pour une partie de l'opposition à l'Assemblée Nationale, les positions sont claires : faire confiance à l'article 40 de la Constitution encadrant les charges financières en lien avec les propositions de lois. Le Guadeloupéen Olivier Serva reste malgré tout confiant. Il ajoute qu'il "compte bien aller jusqu'au vote" mais que " l’article 40, c’est du cinéma de la majorité pour faire preuve de mauvaise foi et ne pas aller au vote. Ce sont des pratiques anti-démocratiques qui ne serviront pas l’intérêt général".

À l'inverse, pour Nicolas Metzdorf, député Renaissance de Nouvelle-Calédonie, la proposition de loi est "inconstitutionnelle". Pour lui, "15 milliards d'euros, on est complètement hors constitution".

On a proposé plusieurs fois des amendements pour nos territoires de quelques millions d’euros et ils se font shooter par l’article 40. Donc, on pense bien que 15 milliards d’euros, on est complètement hors Constitution. C’est un acte politique, voire politicien du groupe LIOT mais aujourd’hui le droit doit s’appliquer.

Nicolas Metzdorf, député de la Nouvelle-Calédonie (Renaissance)

Pour le conseiller de Bertrand Pancher, président du groupe LIOT, même son de cloche que son homologue guadeloupéen : "s'il y a un vote, on peut le gagner". À l'initiative de cette proposition de loi, il aurait tort de ne pas y croire. Il ajoute que "ça ne s'est jamais fait que le gouvernement empêche une loi proposée par un parti d'opposition".

Ils sont dans de l’intoxication, ils dépassent les limites de la démocratie. Ce sont les dernières cartouches de la Première ministre qui essaie de sauver son poste au mépris de la démocratie (...). Ils ont changé de position cette dernière semaine. Nous, ce qu’on pense, c'est qu’ils sont paniqués.

Christophe Rossignol, conseiller de Bertrand PLancher (LIOT)

Cependant, le texte, dans l'hypothèse d'une adoption au Palais Bourbon, ferait face à l'obstacle du Sénat. La proposition de loi ayant effectivement de très fortes chances d'être rejetée par les sénateurs qui ont voté la réforme des retraites.

Mais une chose est sûre pour le professeur titulaire de la Chaire de recherche sur les Outre-mer à Sciences Po, deux scénarios sont à prévoir pour le groupe LIOT. L'un avec et l'autre, sans l'utilisation de l'article 40 de la Constitution. Pour lui, "c'est un enjeu politique très fort".

Deux scénarios sont à prévoir. Soit l’article 40 est utilisé pour rejeter la proposition de loi. Cela risquerait d’entacher la capacité du groupe LIOT à peser dans les prochains débats. Soit, s’il y a un accord de la présidente, c'est une très bonne nouvelle, ce groupe quasiment invisible deviendrait le groupe le plus efficace parmi les oppositions. C’est un enjeu politique très fort.

Martial Foucault, politologue et professeur à Sciences Po Paris

Un groupe capable de rassembler le 8 juin prochain ?

Mais que pensent les députés lorsqu'on leur évoque le groupe LIOT et la proposition sur les retraites qui le met sous les feux de la rampe ? La question que se pose le monde politique se concentre autour de la force d'unité du groupe. Quels groupes vont réellement suivre LIOT et par quels moyens ? 

Pour la gauche, il semblerait que cela soit acquis. Sandrine Rousseau, députée Écologiste de l'alliance NUPES, confirme son soutien au groupe LIOT en insistant sur le "respect des institutions", qu'elle place à la même importance que le fond du problème : "il faut une sortie de crise".

Ce que je trouve intéressant dans la démarche qu’a Charles De Courson au sein du groupe LIOT, c’est qu'il ne se positionne pas sur le fond de la réforme. Lui, il se positionne sur le respect de nos institutions, de notre démocratie, du débat démocratique et de l'esprit de notre République. Sur le fond, ce n’est pas le sujet pour le sujet, c’est comment on respecte nos institutions. Notre République française est toute aussi importante que la question des 64 ans. Si on est capable de tordre le bras à notre démocratie dès qu’on a un projet de loi que l’on veut imposer, on fragilise à chaque fois beaucoup nos institutions et c’est cela que dénonce LIOT, c’est intéressant.

Sandrine Rousseau, députée Ecologiste (NUPES)

Du côté de la majorité présidentielle, deux positions sont affichées. L'une plus réservée, à l'image d'Émilie Chandler, qui, malgré son opposition, ne sait si ce vote aboutira ou non à un passage au Sénat. Néanmoins, elle estime n'avoir "ni un avis positif, ni négatif, puisque c’est un engagement personnel d’avoir des combats sur tels et tels sujets". En revanche, pour le député Nicolas Metzdorf, LIOT est "un drôle de groupe". Il considère notamment la proposition de loi et la position de Charles de Courson (ex-UDI) ambiguës. Pour rappel, Charles de Courson, actuel député de la 5ᵉ circonscription de la Marne (LIOT), militait pour un départ à la retraite à 62 ans plutôt qu'à 60 en 2016 après l'annonce du déficit de la Sécurité Sociale pour 2017.

Ça pose la question du positionnement du groupe LIOT. (...) On pense qu’il y a une stratégie volontaire de déstabilisation de l’Assemblée Nationale portée par le groupe LIOT et soutenue par la NUPES et le Front National. C’est un peu le jeu du "pompier-pyromane" que joue LIOT et notamment De Courson qui est à la manœuvre sur le sujet et c’est très regrettable.

Nicolas Metzdorf, député Renaissance

En ce qui concerne les autres groupes, le président de Debout La France, Nicolas Dupont-Aignan, LIOT représente l'opposition "la plus consensuelle". Le député de la 8ᵉ circonscription de l'Essonne résume le groupe parlementaire à l'origine de la proposition de loi en "une sorte de point d'équilibre des oppositions".

Le groupe LIOT est capable de rassembler des voix à la fois de Debout La France, du Rassemblement National, de LFI sans que chacun s’accuse de soutenir l’autre. C’est une sorte de point d’équilibre des oppositions qui ont l’intelligence d’avoir des positions claires. Je trouve qu’ils font un très bon travail, je les soutiens de toutes mes forces.

Nicolas Dupont-Aignan, député de l'Essonne (Debout La France)

Pour rappel, le groupe LIOT était déjà à l'origine de la motion de censure transpartisane déposée après l'application du 49.3 pour faire adopter le recul de l'âge légal du départ en retraite. Cette motion avait failli renverser le gouvernement, à neuf voix près. Avec ce nouveau texte, LIOT espère se positionner durablement en force d'opposition. L'avenir dira si le pari est gagné.