Alain Foix consacre une biographie à l’athlète afro-américain Jesse Owens, l’homme qui a défié le régime nazi. Entretien.

La biographie de Jesse Owens par Alain Foix
L’écrivain guadeloupéen retrace le parcours du quadruple médaillé d’or aux JO de Berlin. Il dresse le portrait contrasté d'un citoyen ordinaire au destin hors du commun.

Jesse Owens, athlète noir américain, est né en 1913 dans l’Alabama. En 1936, il rafle quatre médailles d’or au JO de Berlin. L’exploit est réalisé devant les dirigeants nazis qui voulaient célébrer la supériorité de la race aryenne. L’écrivain guadeloupéen Alain Foix retrace l’histoire de cet athlète hors norme, transformé en symbole dans une Amérique elle-même encore profondément raciste.

 

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Jesse Owens ?

C’est un personnage intéressant. Il va être témoin, entre 1936 (les JO de Berlin) et 1980 (année de sa mort), de toute une période historique. En fait, je m’en sers aussi comme un catalyseur qui permet de comprendre la période qu'il traverse.

L’autre chose, c’est que c’est un héros mais il est aussi bousculé par les événements, malgré lui. Contrairement à d’autres personnages dont j’ai fait la biographie, comme Toussaint Louverture, Martin Luther King, Che Guevara, c’est un homme ordinaire.

Et puis j’ai été athlète, et il y avait une empathie naturelle. J’entrais dans les stades, je courrais avec lui.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour faire ce livre ?

Deux ans. La plus grosse partie, c’est la recherche. Lire des biographies [..]. Il y aussi toute une recherche autour notamment du Front populaire, de l’Allemagne hitlérienne […], et tout ce qui touche à l’esprit olympique. Une masse d’information qu’il faut ensuite ressaisir à l’intérieur d’une écriture. Mais, finalement, c’est ce qui prend le moins le temps.

Vous évoquez le climat antisémite et xénophobe qui régnait en Allemagne lors des JO, mais aussi le racisme anti noir qui sévissait en même temps aux États-Unis.

Oui, c’est le paradoxe : quand Jesse Owens arrive à Berlin, il est ovationné par les spectateurs […] c’est la star universelle absolue. Mais quand il rentre aux États-Unis, il ne peut même pas aller dans un restaurant, il ne peut même pas entrer par la porte principale des lieux où il y a des événements organisés en son honneur. Il doit passer par la porte de service.

Aux JO, la stratégie d’Hitler était de montrer la supériorité de la race aryenne à la face du monde, et cela s’est retournée contre lui...

Jesse Owens a remporté 4 médailles d’or. Mais il y a également d’autres Noirs qui ont remporté des médailles. On en parle moins, mais il y en a eu beaucoup d’autres.

Mais, très vite, les nazis ont réagi en disant que ces athlètes étaient des animaux, et que donc ce n’était pas juste de courir dans la même catégorie qu’eux. Ils retournent la chose parce que leur premier projet ne fonctionne pas

Vous dites que Jesse Owens est un personnage à la fois extraordinaire et banal. Pourquoi ?

Il a eu la chance d’avoir des qualités physiques exceptionnelles. Il est arrivé à devenir le champion que l’on connait, mais il devait aussi travailler, puisqu’il n’y avait pas de sport professionnel. Donc il a dû vivre la vie d’un Américain de base. Pour faire vivre sa famille, il a fait tout un tas d’activités. Y compris des choses dont il a eu honte, comme participer à une course contre un cheval. Quand on lui demandait : "pourquoi fais-tu une chose pareil ?", il répondait : "une médaille d’or, ça ne se mange pas".

Quelle a été l’attitude de Jesse Owens face au racisme dans la société américaine ?

Il est né dans le sud des États-Unis sous les lois Jim Crow (ndlr : système de ségrégation raciale mis en place à la fin du 19è siècle dans le sud des États-Unis ). Petit-fils d’esclave, il est né sous le règne d’un écrasement des Noirs par les Blancs et il en veut beaucoup aux Démocrates car ce sont eux qui ont donné la possibilité de créer ces lois Jim Crow. Alors que les Républicains étaient contre. Donc il était du côté Républicains.

Et puis Jesse Owens n’est pas Martin Luther King, c’est-à-dire qu’il n’a pas cette formation intellectuelle qui lui aurait permis de comprendre que ce qu’il vivait en tant que personne était un fait social. Lui, en tant que libéral, il pense que l’on peut s’en sortir avec sa propre volonté.

Quelle a été la réaction de Jesse Owens face aux poings levés de Smith et Carlos aux JO de 1968 au Mexique ?

Martin Luther King venait d’être assassiné. Le poing noir levé sur le podium de Smith et Carlos, c’est le poing des Black panthers. Ils vont lever le poing et baisser la tête sous l’hymne américain. Jesse Owens, lui, dit tout le temps "je suis d’abord américain et noir en second". Il ne peut pas comprendre ce geste-là, parce que Smith et Carlos montrent qu’ils sont noirs en premier et américains en second. Jesse Owens est d’un autre temps. Mais, beaucoup plus tard, il va s’excuser, parce qu’il va finir par comprendre pourquoi ces deux garçons ont fait ça.

Pour ce livre, vous vous êtes documentés sur l’histoire et les contextes historique des jeux olympiques contemporains. Que vous inspire le climat actuel et les JO de Paris 2024 ?

On est dans un contexte géopolitique tout à fait particulier aujourd’hui. Il fait penser à celui des JO de Munich, en 1972, où il y a eu un attentat terroriste, en raison du conflit israélo-palestinien. Jesse Owens a vécu cet événement, le fait que les Jeux Olympiques soient devenus une plateforme politique internationale où les minorités agissent pour faire valoir leurs revendications. Y compris par des actes terroristes. Ce qui est fort inquiétant dans le monde actuel.

Et la question du racisme anti-Noirs dans les compétitions sportives, c’est du passé ?

Non. Aux Etats-Unis, il y a eu le geste des athlètes noirs qui mettent un genou à terre pendant l’hymne américain. Il est très difficile de séparer la question olympique de la question raciale globale.  

Jesse Owens a ouvert un chemin. Et, quelque part, on pourrait dire que l’exemple d’un Jesse Owens acclamé par l’Olympiastadion de Berlin, par des gens qui font le salut nazi, ça signifie aussi que, au-delà de toute idéologie, le champion sort de sa couleur et devient universel.