Il est 8 h 45 ce dimanche 22 septembre quand Victor Schmitt regarde sa montre, les deux complices ont atteint le sommet du Grand Paradis du côté du versant Italien des Alpes. Elsa Knosp peut sortir le drapeau de l'Archipel qu'elle avait emmené dans son sac. Et Laurent Simoni leur guide, immortalise ce moment.
Petite victoire personnelle pour les trois alpinistes : de toutes les cordées du jour, ils sont arrivés les premiers en haut près de la Madone car l'arête menant au sommet ne comprend qu'un passage, et il y a souvent la queue. Ici nous sommes à 4058 mètres, le vrai sommet est à 4061 mètres par une arête plus nord, peu importe.
Une adaptation ultrarapide
Elsa et Victor n'avaient jamais pratiqué l’alpinisme. Mais ils étaient prêts. Leur adaptation fut étonnante. En deux petites journées en haut de l’Aiguille du Midi, ils ont su trouver leurs repères. À la grande surprise de leur guide Laurent Simoni. Les conditions météo étaient mauvaises au Mont Blanc, la décision fut rapide de tenter un autre sommet, plus abordable. Laurent les a regardés évoluer." Victor malgré le fait qu'il soit déficient visuel, est plus à l’aise que beaucoup de gens qui ne le sont pas. Il a apprécié, il est enthousiaste par rapport à cette expérience, car on a fait de la belle montagne, raconte le guide. C’est un jeune en forme physiquement, plutôt doué, le pied habile, tout va pour lui."
Personnellement ça me conforte dans mes choix : c’est plus intéressant d’aller faire un sommet et kiffer, plutôt que de tenter une ascension au Mont Blanc qui ne le fait pas, avec de gens mécontents. Il n’y avait aucun intérêt en termes de satisfaction et de sécurité de les emmener dans le mauvais temps. Je n’étais pas dans le doute non plus
Laurent Simoni, guide de haute montagne
En fait, Victor s’était préparé sur les étangs gelés de Saint-Pierre-et-Miquelon, s’entraînant pour avoir une condition optimale et adaptée. "L’hiver dernier, j’ai mis les patins à Saint-Pierre-et-Miquelon car il faisait moins cinq jusqu’à moins vingt, informe-t-il. Je partais à cinq heures du matin pour le Trépied, et je patinais sur l’étang du télégraphe en bas du Trépied, car Savoyard n’était pas gelé. Ça m’a permis d’apprendre à gérer mon effort, ne pas trop transpirer pour éviter d’avoir trop froid lors d’un arrêt, savoir bien se couvrir au niveau des mains et des pieds".
Elsa est plus habituée à ce milieu montagnard. Même si c’était son premier 4000 m d'altitude."Ça n'a rien à voir avec les courses d'ultra-trail qui sont de la montagne à vache. Là, les sensations de manque d’oxygène, le souffle court et les jambes lourdes, c’est propre à la haute montagne".
Une confiance mutuelle face au risque
Elsa et Victor sont allés en haut avec cette certitude de confiance absolue en leur guide. Ce qui explique leur réussite dans le défi. Après la descente, de retour vers la France, Elsa se confie." On ne regrette pas d’avoir pris un professionnel de la montagne, nous, on n’est rien, tout peut arriver d’un instant à l’autre, il y avait vraiment quelqu'un capable de réagir dans ces conditions délicates. Là, il nous conseille et nous emmène sur une superbe montagne".
Elsa a surtout eu une peur rétrospective quand Victor a disparu dans une crevasse en montant aux Têtes Rousses le premier jour de l’entraînement, côté Mont Blanc. "Quand Victor est tombé, j’ai flippé un peu, confesse-t-elle. J’étais en 3ᵉ positions dans la cordée, j'ai vu le sol se dérober sous ses pieds et c’est impressionnant. Mais on a senti que la cordée était efficace car on a pu le garder en suspension, amener une autre corde pour le sortir de la crevasse. Laurent a vraiment bien géré la situation"
Cet incident n'est pas un accident, la nuance est importante. L’accident se produit typiquement avec une cordée de débutants ou d’amateurs, tout peut vite partir en vrille. Les guides apprennent à gérer ce type de situation à l’ENSA -l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme - Leur guide Laurent en est issu. Cela dit, Victor a ressenti une grande solitude à ce moment.
La crevasse était profonde de quarante mètres environ.. Les cinq premières secondes sont angoissantes, mais dès que j’ai senti que j’étais bien accroché et que je n’avais rien de cassé, je savais qu'ils allaient me sortir de là. Ils se sont plus inquiétés pour moi que je me suis inquiété pour ma vie.
Victor Schmitt, kinésithérapeute à Saint-Pierre et Miquelon
Un dimanche à la montagne
L'ascension du Grand Paradis fut presque tranquille en dehors de ces péripéties. Les trois alpinistes sont partis à cinq heures du matin depuis le refuge Victor Emmanuel II, avec les lampes frontales. Une heure et demie de marche, puis les crampons et l’attaque du glacier. Ils sont arrivés au sommet dégagé, sans la brume, devant des cordées de Polonais, Italiens, Belges. Ça frôlait l’embouteillage, car beaucoup avaient fui le Mont Banc pour venir en Italie. Puis, ils sont redescendus en trois heures. À chaud, Elsa raconte l'aventure. "L’ascension était superbe, j’adore partir à la frontale, voir le jour se lever, les montagnes se dessiner, la lune était brillante, c’était juste trop beau avec la mer de nuage qui se formait derrière nous. On avait la sensation d’être au paradis, au-dessus des nuages dans le ciel ".
Rappelons aussi que Victor est malvoyant, il est atteint de la maladie de Stargardt, qui associe une baisse d'acuité visuelle bilatérale à des lésions rétiniennes particulières." Sur la neige, je ne vois pas du tout les reliefs, s'il y a des bosses par exemple, je ne le sais pas " précise-t-il. La performance n'en est que plus belle.
Des images plein la tête, des rencontres avec d’autres débutants, les échanges dans le refuge, et surtout l’idée de s’être fait plaisir. Elsa, la plus loquace du trio, en parlerait encore des heures. "Laurent était content aussi, il nous a même dit que quatre fois l’an dernier, il n’avait pas pu faire ce sommet. Ça avait une saveur particulière pour nous et pour lui aussi.
J’ai vraiment envie d’y retourner, tout est possible pour nous maintenant ".
Rendez-vous est pris, le Mont Blanc les attend l’an prochain.