Alpinisme : de Saint-Pierre et Miquelon au Mont Blanc, l’incroyable défi d’Elsa et Victor

Victor et Elsa dans leur adaptation sur la Pointe Lachenal, sous la face est du Mont-Blanc du Tacul
Les Saint-Pierrais Victor Schmitt, malvoyant, et Elsa Knosp se sont lancés le défi de grimper le célèbre Mont Blanc, dans les Alpes, à la frontière franco-italienne. Depuis Chamonix, accompagnés de leur guide Laurent, ils ont pris la route vers le plus haut sommet d'Europe. Seulement voilà : la météo capricieuse et une chute malheureuse les ont forcés à changer leurs plans.

C’est parti un peu comme un défi autour d’une bonne table : "Et si on tentait l’ascension du Mont Blanc !?". Ils en parlaient depuis des mois et les voilà jeudi au pied du toit de l’Europe. Elsa Knosp est certes installée à Annecy, mais ses liens avec le caillou sont forts. Quant à Victor Schmitt, il a pris l’avion mercredi soir de Montréal pour atterrir à Genève jeudi matin. Tout est allé très vite ensuite. Laurent Simoni, leur guide, les attendait à Chamonix. Nous aussi.

Il faut d’abord finir de s’équiper. Laurent connait les bons endroits. Lunettes, chaussures, accessoires... Tout est "ok" en moins d’une demi-heure. Le duo peut grimper dans le téléphérique du pic de l’Aiguille du Midi pour monter à 3 841 mètres. Là où toutes les cordées partent vers leur quête.

L’expérience de Laurent le guide

Dans le couloir qui précède l’accès à la grotte vers l’arête, Elsa et Victor s’équipent. Laurent les rassure, il vérifie les crampons et la cordée. Ce Provençal de 53 ans exerce ce métier depuis vingt ans et a gravi plus de 100 fois le Mont Blanc. Donc respect, et surtout des bonnes paroles à entendre :

"Le but, c'est d’aller en montage et ils ont peu ou pas d'expérience en montagne, donc mon objectif est d’avoir une sécurité maximale, qu’il ne leur arrive rien et qu’ils prennent du plaisir avec l’objectif du Mont Blanc. On va y arriver ou pas, mais c’est lié à la forme de gens, aux conditions météo et à la montagne, qui décide d’abord", explique-t-il.

 

Laurent Simoni donne ses derniers conseils avant de partir sur l'arête de l'Aiguille du Midi, à 3 841 mètres d'altitude.

Le maitre mot, c’est l’adaptation. À chaque instant, il faut être capable de changer d’avis, ne pas s’enfermer dans une solution, en trouver une autre, toujours avec le leitmotiv de la sécurité. On ne maîtrise pas les chutes de pierres ou les avalanches. Il faut savoir être à l’écoute, savoir renoncer, être conscient de ses limites et ne pas forcer le jeu.

Laurent Simoni, guide de haute montagne

L’enthousiasme d’Elsa

Elsa a planté son piolet dans la glace de la grotte qui les sépare de l’arête de l’aiguille du Midi. Elle boit les paroles de Laurent. Elle est prête, impatiente même, contente d’être arrivée jusqu’ici et pense à ses élèves du lycée Letournel à Saint-Pierre, quand elle était professeur d’EPS. "Si ça peut leur donner envie, ça peut être cool de les encourager à se lancer des défis, de s’ouvrir au monde."

Elsa Knosp ouvre la cordée au col du midi

Elle a un rapport proche avec la nature et le sport. Après trois ans à Saint-Pierre et Miquelon, elle s’est installée à Annecy où elle continue d’être kinésithérapeute. L’an dernier, elle avait effectué le CCC Courmayeur Combloux Chamonix, une course d’ultra trail avec 6 128 mètres de dénivelé qu’elle a terminé en 23 heures 7 minutes et 37 secondes. Ce qui lui changeait du profil des 25 km de Miquelon qu'elle avait remporté l’an dernier.

La haute montagne m’évoque le peu de neige qu’il nous reste dans ce bas monde et j’aimerais pouvoir en profiter dans ces dernières années avant que le dérèglement climatique condamne toute cette nature.

Elsa Knosp, kinésithérapeute

Le défi de Victor, un malvoyant en haute montagne

Victor est confiant, il a hâte de partir, de découvrir de nouvelles sensations. "Je n’ai jamais fait d’alpinisme et je suis assez excité. Le découvrir avec Laurent et Elsa... La montagne m’évoque l’humilité, le respect de la nature et le dépassement de soi. Je pense à tous mes patients qui sont à Saint-Pierre et Miquelon et je leur dis que tout est possible, qu'il ne faut rien lâcher."

Victor Schmitt est prêt a découvrir de nouvelles sensations

Victor, atteint d’une maladie dégénérative de la rétine, va petit à petit voir sa vue baisser. Dans ce contexte, c‘est dangereux pour lui, car il ne voit pas en face directement, mais sur le côté. C’est aussi un sacré pari pour marcher sur une arête et aller en haute montagne.

Je dis aux déficients visuels comme moi qu’il faut sortir de sa zone de confort. C’est un défi personnel que je me lance aussi. Je veux faire cette ascension tant qu’il est possible avant que ma vue ne baisse trop et prendre du plaisir.

Victor Schmitt, kinésithérapeute à Saint-Pierre et Miquelon

La météo les envoie en Italie

Mais la montagne dicte sa loi. Ce samedi matin la météo est exécrable sur les Alpes avec une visibilité quasi nulle. Elle avait provoqué la mort le 10 septembre dernier de quatre alpinistes, deux Coréens et deux Italiens qui avaient tenté l’ascension du Mont Blanc. Ils ont été retrouvés morts d’épuisement.

Laurent Simoni savait que le rêve d’Elsa et de Victor était dépendant de cela, la météo, la sécurité et leur niveau d’adaptation. D’autant que Victor était tombé dans une crevasse de dix mètres vendredi matin. Pas de casse, mais une peur rétrospective et surtout beaucoup de temps pour le sortir de là.

En homme sage, il décide donc de les emmener en Italie, de l’autre côté du versant des Alpes, pour grimper sur le Grand Paradis, une autre montagne de la chaîne. Un nom prédestiné pour nos deux débutants. Un mont surtout beaucoup plus accessible.

Victor, Elsa et Laurent heureux d'aller en Italie

Samedi matin, Elsa était claire dans ses propos : "On reste motivés pour faire cette ascension, car on avait anticipé une possibilité de renoncer au Mont Blanc. Avec Victor, on voulait faire de la montagne, le faire bien. Donc, on préfère aller au Grand Paradis, même si on ne ferme aucune porte pour faire le Mont Blanc, un jour."

Culminant à 4 061 mètres, le Grand Paradis sert souvent de première ascension aux alpinistes débutants. Et c’est donc dimanche qu’Elsa et Victor vont tenter d’effectuer une partie de leur aventure avec leur guide Laurent, faire un 4 000 comme on dit dans le jargon et garder, quoi qu’il arrive, des étoiles plein les yeux.

Retrouvez le reportage d'Eric Cintas et de Thomas Chevaleyrias sur les premiers pas des deux Saint-Pierrais vers le Mont Blanc  :