Centenaire de la naissance du poète guadeloupéen Guy Tirolien

Le poète guadeloupéen Guy Tirolien (1917-1988).
Le poète guadeloupéen Guy Tirolien aurait eu cent ans aujourd’hui. Né le 13 février 1917 à Pointe-à-Pitre, il fut l’un des compagnons du mouvement de la négritude et fit l’essentiel de sa carrière professionnelle en Afrique subsaharienne. In Memoriam. 
Guy Tirolien fut un écrivain plutôt avare de mots, mais ses textes ont eu une portée internationale. Né le 13 février 1917 à Pointe-à-Pitre, le jeune homme, qui passa son enfance à Marie-Galante, débarque à Paris en 1936. Il entre à l’École nationale de la France d’Outre-mer. Prisonnier durant la Seconde guerre mondiale, il fera la connaissance du poète sénégalais Léopold Sédar Senghor dans un camp de travail, et les deux hommes se lieront d’amitié. C’est ainsi que Tirolien accompagnera le mouvement de la négritude porté par Senghor, mais aussi par le Martiniquais Aimé Césaire et le Guyanais Léon-Gontran Damas.
 
Entre 1944 et 1960, Guy Tirolien fait une carrière d’administrateur de la France d’Outre-mer dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Guinée, Mali et Niger. La découverte du continent est déterminante pour le futur écrivain. En dépit de ses fonctions officielles, il participe aux réunions du Rassemblement démocratique africain (RDA), qui prône l’indépendance.
 

Administrateur de la France d'Outre-mer 

Tirolien publie son premier recueil de poèmes, « Balles d’or », aux éditions Présence africaine à Paris en 1961. Après l’émancipation des pays africains de la tutelle coloniale française, il choisit de servir encore sur le continent. Il sera successivement commissaire à l’information culturelle au Niger (1961-1965), représentant des Nations unies au Mali (1965-1970) et au Gabon (1970-1973), puis conseiller culturel du deuxième Festival mondial des Arts nègres au Nigéria (1975-1976). « Feuilles vivantes au matin », son deuxième livre de poésies et de nouvelles, paraît en 1977, toujours chez Présence africaine.
 
La même année, l’écrivain s’installe en Guadeloupe où il se présentera, sans succès, aux élections législatives de mars 1978. Il s’éteint dix ans plus tard à Marie-Galante, l’île tant aimée de son enfance, dont sa mère était originaire.
 

« Prière d'un petit enfant nègre », par Guy Tirolien

(publié dans « Balles d’or », éditions Présence africaine, Paris, 1961)
 
« Seigneur, je suis très fatigué.
Je suis né fatigué.
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.
 
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
 
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l'aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers,
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
Et que l'usine
Sur l'océan des cannes
Comme un bateau ancré
Vomit dans la campagne son équipage nègre...
 
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus. 
 
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
Pour qu'il devienne pareil
Aux messieurs de la ville
Aux messieurs comme il faut.
Mais moi, je ne veux pas
Devenir, comme ils disent,
Un monsieur de la ville,
Un monsieur comme il faut.
 
Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les sacs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune.
Je préfère, vers l'heure où la lune amoureuse
Parle bas à l'oreille des cocotiers penchés,
Ecouter ce que dit dans la nuit
La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba et de compère Lapin,
Et bien d'autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.
 
Les nègres, vous le savez, n'ont que trop travaillé.
Pourquoi faut-il de plus apprendre dans des livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d'ici ?
 
Et puis elle est vraiment trop triste leur école,
Triste comme
Ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.
 
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école ! »