220 cas pour 100.000 habitants aux Antilles, contre 90 cas dans l’Hexagone : le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes qui vivent en Guadeloupe et en Martinique. Une maladie liée à des facteurs génétiques mais aussi à l'exposition au chlordécone, utilisé dans les bananeraies entre 1973 et 1993.
C'est d'ailleurs pour cette raison que cette forme de cancer a été reconnue en 2021 comme maladie professionnelle chez les travailleurs agricoles qui peuvent désormais faire des demandes d'indemnisation auprès du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).
Ce fonds "garantit la réparation forfaitaire des dommages subis lors d’une exposition professionnelle", est-il indiqué dans la présentation du site. En résumé, les personnes affectées par une maladie déposent une demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. Si cette demande est validée et si elles ne sont pas guéries, elles bénéficient d'une indemnisation calculée en fonction de leur "taux d'incapacité".
Sont également concernés les enfants exposés in utero du fait de l'activité professionnelle d'un des parents.
Zéro dossier en 2020
En 2020, année de la création du FIVP, aucune demande n'émanait des Outre-mer sur les 226 dossiers de demande d'indemnisation. C'est également ce qui avait marqué Phyto-Victimes, une association nationale créée en 2011 qui accompagne notamment les professionnels victimes des pesticides dans leurs démarches administratives et judiciaires. "On entendait parler de cancer de la prostate aux Antilles mais on ne voyait aucun dossier, retrace Claire Bourasseau, responsable du service victimes de l'association. Or il faut que tous les Français soient accompagnés de la même façon."
L'association s'est donc implantée en Martinique en janvier 2022 et en Guadeloupe en janvier 2024. Financée par le gouvernement dans le cadre du plan chlordécone, elle accompagne gratuitement les professionnels aux Antilles pour la reconnaissance de leur situation, le respect de leurs droits et une juste indemnisation.
"Il y a un vrai besoin, souligne Claire Barousseau. D'avoir mis en place un accompagnement gratuit, il y a un effet boule de neige. C'est un cercle plutôt vertueux." L'association Phyto-Victimes traitait en effet en 2023 une grande partie des 53 dossiers martiniquais déposés au FIVP, un chiffre en constante augmentation depuis 2021 comme le montre ce graphique.
Avec ses 53 demandes, la Martinique est même le territoire qui a déposé le plus de demandes d'indemnisation, devant le Maine-et-Loire (48) et... la Guadeloupe (40). À noter cependant que le découpage réalisé par le FIVP ne correspond ni aux départements ni aux régions mais aux implantations géographiques des caisses de la MSA, la sécurité sociale agricole.
Indemnisations améliorées mais insuffisantes
Au-delà de l'accompagnement par l'association, l'augmentation du nombre de demandes "peut s’expliquer par les actions de communication mais également par la création de deux nouveaux tableaux de maladie professionnelle pour le cancer de la prostate", liste le FIVP dans son rapport d'activités de 2023.
Le président du conseil de gestion du fonds, Laurent Habert, reconnaît cependant dans ce même document que "dans les Antilles précisément, malgré une évolution récente, le nombre de demandes demeure encore limité et la chaîne des actions qui va de la demande à l’instruction, puis le cas échéant à l’indemnisation, doit être rendue plus fluide pour que le plein accès à l’indemnisation soit effectif pour les personnes exposées au chlordécone et aux autres pesticides".
Du côté de l'association Phyto-Victimes aussi on reconnaît un "bilan positif car on partait de zéro". Sur les dossiers qu'elle a gérés et gère en Martinique depuis 2022, 70 ont obtenu un accord du FIVP, 10 sont en cours d'instruction et un devrait être contesté devant la justice. Au-delà de la reconnaissance de la maladie professionnelle, "les indemnisations ont été améliorées mais sont encore bien loin d'être suffisantes", souffle Claire Barousseau.
En 2023, le montant total d'indemnisation versé par le fonds s'élevait à 13.182.157 €, contre 2.293.043 € en 2021.