Chlordécone: de nouvelles questions sans réponse [Synthèse]

Mercredi 21 février, les députés de la délégation outre-mer de l’Assemblée nationale ont  interrogé Agnès Buzyn, la ministre de la santé. L’audition était consacrée à la pollution des Antilles par le chlordécone. Elle laisse beaucoup de questions sans réponse.
LMR, contrôle des denrées alimentaires... Lors de l’audition de la ministre de la santé Agnès Buzyn, les parlementaires ont soulevé plusieurs questions liées au dossier chlordécone. Quarante-huit heures après, le flou persiste.


Les limites maximales de résidus (LMR) de chlordécone

A-t-on assisté mercredi 21 février à un rétro-pédalage du gouvernement sur les limites maximales de résidus (LMR) de chlordécone autorisées dans les viandes et la volaille? Dans un communiqué publié quelques heures plus tôt, le gouvernement indique que les contrôles effectués sur les denrées agricoles et alimentaires n’ont pas été modifiés après les “modifications réglementaires européennes intervenues en 2013 sur les limites maximales de résidus”. Alors que les limites maximales de résidus ont été modifiées, “l’Etat n’a pas changé son dispositif de contrôle (basé sur les LMR fixées en 2005).”

Que veut dire le gouvernement?

Avec ce communiqué, le gouvernement veut rassurer les parlementaires. Ces derniers se sont émus de l’augmentation de la dose légale de chlordécone autorisée dans certaines denrées. Les seuils ont été multipliés par cinq pour les viandes et par dix pour la volaille. Selon le règlement européen actuellement en vigueur, les LMR appliquées au chlordécone sont les suivantes:  100 mg/kg pour les viandes bovine, caprine, ovine et porcine et 200 mg/kg pour la volaille. Des députés, dont Serge Letchimy, élu en Martinique, demandaient donc un retour aux LMR fixées en 2008, soit 20 mg/kg pour les viandes et la volaille.

La réponse du gouvernement a de quoi surprendre. D’un côté, les ministres indiquent que les services de l’Etat chargés de contrôler les LMR dans les denrées alimentaires ont été invités à ne pas tenir compte de l’actuelle réglementation européenne. Ce qui serait de nature à rassurer les députés. Mais de l’autre, ils précisent que “le dispositif de contrôle” était jusqu’ici “basé sur les LMR fixées en 2005”. Or les Limites Maximales de Résidus définies en 2005 sont supérieures à celles de 2008: 50 mg/kg pour la volaille et 200 mg/kg pour les viandes d’origine animale.
En se référant aux normes de 2005, le gouvernement ne répond pas à la demande des députés.

Le communiqué soulève au moins deux autres questions: pourquoi le ministère de l’agriculture attend l’année 2017 pour évaluer l’impact sanitaire de la hausse des LMR sur les populations de la Martinique et de la Guadeloupe alors qu’elle daterait de 2013? L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a été saisi au printemps 2017 pour effectuer cette étude. Pourquoi demander une évaluation alors que la réglementation européenne ne serait pas appliquée?

Les LMR: qu’est-ce que c’est?

Les Limites Maximales de Résidus sont des valeurs réglementaires fixées à l’échelle européenne. L’ensemble des Etats-membres de l’UE doivent les appliquer. Les LMR concernent toute substance chimique (un pesticide par exemple) présente dans une denrée alimentaire vendue dans le commerce. Elles sont fixées afin de protéger la population d’une contamination. Pour faire un parallèle, elles correspondent à des panneaux de circulation. Si un automobiliste atteint 55 km/h sur une route limitée à 50 km/h, il doit payer une amende. Même principe pour les LMR. Si une viande de boeuf dépasse un seuil de pesticide, elle est détruite pour échapper à toute commercialisation.

Pourquoi les LMR ont-elles changé ?

Il est difficile de répondre à cette question. A priori, il n’y a pas de volonté de nuire de la part de la commission européenne. Régulièrement, celle-ci révise la liste des pesticides autorisés et les limites maximales de résidus associées à chaque aliment pour toute l’union européenne. En 2013, la commission européenne procède à une modification technique qui précise les méthodes de contrôle que les Etats doivent mettre en oeuvre (cf. le règlement n°212/2013). 
Les services de l’Etat y font référence pour évoquer la hausse des LMR liée au chlordécone. Pourquoi l’Etat réagit-il cinq ans plus tard? Voici une autre question sans réponse à cette date.


Que dit la commission européenne?

Contactée par La1ère, la commission européenne dément toute hausse des limites maximales de résidus en 2013. “Pour le chlordécone, rien n’a changé, ni la manière de mesurer, ni le taux.”

Les LMR actuellement en vigueur pour le chlordécone protègeraient-elles suffisamment les populations guadeloupéenne et martiniquaise d’une contamination?
Selon l’ANSES, la hausse des LMR de chlordécone admissible dans les viandes et la volaille est un mauvais signal envoyé aux populations. Cependant, selon l’avis de l’ANSES rendu publique en décembre 2017, il serait inutile de les revoir à la baisse car les viandes et les volailles contrôlés concentrent des taux de chlordécone inférieurs respectivement à 100 mg/kg et 200 mg/kg. Il n’y aurait donc aucun impact pour la santé des consommateurs. Selon l’Anses, la priorité est de limiter la consommation de produits issus de “circuits non contrôlés”. Autrement dit, les produits cultivés dans les jardins familiaux ou achetés “sur les bords de route”.

Lors de son audition, Agnès Buzyn a identifié deux priorités: “développer les jardins familiaux après évaluation de la contamination des sols chez les particuliers” et “mieux identifier les sols contaminés” en Martinique et en Guadeloupe.

Selon le professeur Luc Multignier, directeur de recherches à l’INSERM, relever les LMR est une aberration. “En tenant compte de la dangerosité du chlordécone, comment voulez-vous qu’on accepte d’augmenter l’exposition des populations?”  “Si on augmente les LMR dans les circuits commerciaux, rien n’empêchera d’avoir des taux de chlordécone cinq fois plus élevé dans la viande et dix fois plus élevé dans la volaille”. En d’autres termes, les éleveurs de boeufs et de volailles seraient autorisés à vendre leurs produits avec des taux de chlordécone plus importants."

Si un homme de 70 kg consomme 200 grammes de poulet contenant 200 mg/kg de chlordécone, son apport de pesticide sera de 40 mg/kg. Il dépasserait ainsi la dose journalière communément admise pour un humain, soit 0,5 µg/kg de poids corporel et par jour. C'est la valeur toxicologique de référence (VTR) admise par l'Anses.