Chlordécone : un procédé inédit de biodégradation pour chasser le poison des sols antillais

Selon l'étude, la chlordécone se dégrade bien dans les sols antillais, mais conduit à la libération progressive de quantités importantes de produits de transformation dans l'environnement
L'étude menée par une dizaine de chercheurs du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) a permis d'identifier une vingtaine de "produits de dégradation" de la chlordécone dans les sols antillais, confirmant leur capacité à induire la dégradation de la molécule en quelques semaines.

Et si, finalement, la chlordécone était biodégradable ?
C’est l’étude que mènent, depuis dix ans, des chercheurs de l’UMR Génomique Métabolique au Génoscope du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et, bonne nouvelle : leur travail a permis d’identifier un procédé de dégradation naturelle de ce pesticide toxique réputé non-biodégradable dans l’environnement, et dont les durées de contamination ont été prédites par les scientifiques à plusieurs dizaines voire centaines d’années.

Ainsi, il a été demandé à Denis Le Paslier, directeur au CNRS et membre de l'équipe de chercheurs à l'origine de cette étude, de trouver le moyen de dégrader la molécule du pesticide. "La molécule de la chlordécone a une structure chimique très particulière qui, a priori, est totalement inattaquable par des bactéries" explique-t-il au micro d'Alex Léveillé. "Notre rôle était donc de trouver des bactéries qui enlèvent des chlores de la chlordécone (la molécule est composée d'atomes de carbone étroitement encagés par des atomes de chlore, NDLR)."

Au fil de cette étude de longue haleine, une vingtaine de produits de transformation de la chlordécone, obtenus en présence de diverses bactéries (dont Citrobacter), ont été identifiés en laboratoire. Synthétisés chimiquement pour faciliter leur identification, ils ont été utilisés comme standards afin de les rechercher dans l’environnement antillais.

En 2016 déjà, la possibilité de la dégradation de la chlordécone avait déjà été démontrée en conditions de laboratoire. Mais cette transformation est-elle possible en conditions réelles ? Les tests réalisés depuis sur les sols antillais ont prouvé que oui.
 

Tests probants en Martinique

Lors de la première étude de terrain, réalisée en Martinique, tous les échantillons analysés, de sols, eaux de rivière, mangrove et sédiments de mangrove contaminés par le pesticide, ont montré la présence systématique de produits de transformation de la chlordécone.
"On s'est rendu compte dans quasiment tous les échantillons que l'on retrouvait plusieurs produits de transformation que l'on avait déjà identifiés en laboratoire" explique Oriane Della-Negra, doctorante deuxième année, chercheuse et ingénieure.

Au total, 17 produits de transformation ont été identifiés, la plupart présentant même des concentrations comparables à celles mesurées pour la chlordécone.

L'hypothèse d'une transformation naturelle de la chlordécone aux Antilles est donc bien réelle, et la molécule pourrait donc ne pas rester intacte dans les sols pendant des décennies. En effet, des expériences microbiologiques, effectuées en laboratoire, ont par la suite confirmé la capacité de chaque type de sols antillais à induire la dégradation du pesticide en quelques semaines.
 

"Nous mettons en évidence une dégradation de la molécule qui, logiquement, réduirait probablement la durée de contamination actuellement prédite." confirme Pierre-Loïc Saaidi.

Biodégradation de la chlordécone : le reportage d'Alex Léveillé

De gauche à droite : Pierre-Loïc Saaidi, Denis Le Paslier et Oriane Della-Negra.
 Pesticide organochloré classé dans la catégorie des "polluants organiques persistants", la chlordécone a été massivement utilisée aux Antilles de 1972 à 1993, notamment pour lutter contre le charançon du bananier.
Son utilisation extensive et sa persistance dans l’environnement a contribué à polluer de manière massive les sols, les ressources en eau, mais aussi le littoral antillais, contaminant par la même occasion denrées animales et végétales.

Véritable scandale sanitaire, la contamination des sols à la chlordécone, reconnu comme perturbateur endocrinien, a conduit à l’imprégnation d’une part importante de la population des Antilles. Un lien entre la recrudescence de risque de survenue du cancer de la prostate et un retard de développement chez les jeunes enfants avec l’exposition à la chlordécone a par la suite été établi.
 

Nouvelles études sur la toxicité

L’étude menée par les chimistes du CEA laisse entrevoir la possibilité, à défaut de faire marche arrière, de réparer des erreurs dont les conséquences étaient considérées comme irréversibles. En effet, les résultats de leur travail vont à l’encontre de toutes les connaissances acquises jusque-là sur la chlordécone : la molécule se dégrade bel et bien dans les sols antillais. La vision de la pollution et de sa prise en charge s’en trouve ainsi changée.

Prudence, cependant : des études supplémentaires pour évaluer la toxicité de ces produits devront être menées afin d’éviter, si toutefois toxicité il y avait, tout transfert vers l’alimentation, le processus de dégradation conduisant à la libération progressive, dans l’environnement, de quantités importantes de produits de transformation.

"On connaît aujourd'hui des bactéries qui dégradent la chlordécone et la transforment en d'autres molécules de toxicité inconnue et pour lesquelles on n'a pas d'informations quant à leur présence dans la chaîne alimentaire, ou l'exposition de la population." prévient Pierre-Loïc Saaidi, qui précise que ceci devra être l'objet de la prochaine étude.

"Même à ce stade on ne peut pas dire si c'est une transformation qui est une bonne chose, ou si cette transformation va amener de nouveaux problèmes. "


Ce n'est qu'une fois que cette étude de toxicité aura montré des effets encourageants - si elle en montre-, que le procédé pourra être appliqué. "On pourra alors s'inspirer de la nature pour essayer de trouver des moyens sur le terrain pour accélérer la dégradation naturelle" espère le chimiste.

Les explications de Pierre-Loïc Saaidi


Mais cette étude de toxicité nécessite de nouveaux moyens financiers. Pour cela, une nouvelle demande de financement national a été effectuée par les chercheurs. Il s'agit de la cinquième, les quatre précédentes ayant toutes été refusées par l'agence nationale de la recherche.