Il y a les bonnes et les mauvaises nouvelles. Si le chlordécone se dégrade bien plus vite dans les sols qu'on ne le pensait il y a une quinzaine d'années, les conséquences sur la santé humaine d'une exposition au pesticide sont toujours mal connues, et on ne sait encore presque rien de l'impact de la molécule sur la biodiversité. Catherine Procaccia, sénatrice (LR) du Val-de-Marne, a présenté ce vendredi son rapport sur "l’impact de la chlordécone aux Antilles françaises". Le rapport fait le point sur l'état des connaissances scientifiques autour de la question. "Les progrès de la recherche sont réels, mais encore trop lents, eu égard aux attentes des populations", reconnaît Catherine Procaccia.
En 2009, les scientifiques estimaient que 250 à 700 ans seraient nécessaires pour que le chlordécone ne soit plus détectée dans les sols de Guadeloupe et de Martinique. "Les études montrent une diminution de la concentration beaucoup plus rapide qu’attendu", note la sénatrice, qui précise que "le taux de chlordécone pourrait être inférieur aux limites de détection avant la fin du siècle".
Mais cette dégradation plus rapide que prévu ne concerne que les sols, et pas les eaux. "Il est probable que, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuive pendant plusieurs dizaines d’années", précise le rapport. Les eaux polluées contaminent par ricochet la faune et la flore qui y vivent. C’est d'ailleurs l'une des carences que pointe la sénatrice : l’absence d’étude d’impact sur la biodiversité.
Des connaissances encore parcellaires
Les connaissances sur le chlordécone sont encore limitées. Les cartographies indiquant les zones contaminées sont très incomplètes, notamment parce que les tests n'ont été effectués qu'au niveau des anciennes bananeraies ou à la demande d'agriculteurs et de particuliers qui souhaitaient cultiver leurs jardins. Non seulement les cartes ne couvrent qu'une petite partie des territoires antillais, mais les effets du chlordécone sur la santé humaine sont encore mal connus.
Je ne critique pas les chercheurs, je critique le fait que la recherche n’ait jamais été financée. Un chercheur cherche, mais si on ne lui donne pas les moyens de chercher, il ne trouvera jamais rien.
Catherine Procaccia, sénatrice (LR) du Val-de-Marne
Des études datant de la fin des années 2000 ont démontré un lien entre l’exposition au chlordécone et l’apparition de cancers de la prostate. Mais "peu d’études ont été lancées sur d’autres formes de cancers", regrette la sénatrice, qui note que "des travaux sont depuis peu en cours". De même, si l'hypothèse d'un impact du chlordécone sur la fertilité masculine a été écartée, les études concernant les potentielles conséquences de l'exposition au chlordécone sur la fertilité féminine viennent à peine de démarrer.
Recherches prometteuses
"Les recherches en matière de décontamination sont prometteuses", résume la sénatrice. Les filtres à charbon sont efficaces pour décontaminer l'eau, et les scientifiques développent des solutions pour dépolluer les sols. Parmi elles, on trouve l'utilisation de bactéries qui dégradent la molécule ou l'introduction d'un élément chimique -le fer zéro valent- qui réduit la concentration de chlordécone dans le sol. L'une des options consiste même à utiliser un compost issu de sargasses pour emprisonner la molécule et éviter la contamination des plantes.
Les pistes de décontamination semblent possibles. Nous recommandons qu’elles soient testées sur le terrain antillais à grande échelle, pour qu’elles soient confirmées et qu’elles ne créent pas de faux espoirs.
Catherine Procaccia, sénatrice (LR) du Val-de-Marne
Plusieurs étapes sont encore nécessaires avant la potentielle mise en place de ces solutions : il faut les tester à grande échelle, en dehors des laboratoires, et les scientifiques doivent s'assurer que les molécules créées par la dégradation du chlordécone ne sont pas, elles aussi, dangereuses pour la santé.
Recommandations
Le rapport sénatorial liste une vingtaine de recommandations. Outre le financement de travaux scientifiques sur un potentiel "effets cocktail" ou sur les impacts du chlordécone sur la biodiversité, il conseille notamment d'améliorer la communication à destination des populations, tant sur l'état des connaissances que sur les mesures de prévention.
"Ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle à l’État pour apprendre à gérer les pollutions à venir, conclut Catherine Procaccia. Jusqu'à présent, la liste des erreurs était plus longue que celle des actions efficaces."