Coordonnée par le Centre national de recherche scientifique (CNRS), une campagne d'observation a permis cette découverte. Elle comprenait des surveillances depuis le bateau Marion Dufresne supervisées en partie par Stephan Jorry, Chercheur en géosciences marines à l'Ifremer, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer. Il répond aux questions de La1ère. Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous :
La1ère : Racontez-nous ce moment où vous avez découvert le volcan sous-marin au large de Mayotte ?
Stephan Jorry : Cela faisait déjà une semaine que l'on naviguait au large de Mayotte. Nous avions des instruments à bord du navire (le Marion Dufresne, ndlr) pour détecter des échappements de fluides dans les colonnes d'eau.
Soudainement, en passant sur un point que nous étions en train de cartographier, nous avons vu apparaître un très gros panache dans la colonne d'eau. Il semblait se situer au-dessus d'un relief. Ce panache mesurait deux kilomètres de haut ! Il a surpris tout le monde.
Ce n'est que le lendemain que nous avons réalisé que la cartographie que nous avions effectuée avait permis de mettre en évidence un relief sous-marin qui n'était pas connu dans les données acquises les années précédentes. Nous avons eu accès à de précédentes cartographies établies en 2005 et à l'époque il n'y avait aucun relief au fond de la mer. Ce volcan est donc apparu récemment, sûrement vers juin ou juillet 2018.
La 1ere : Que représente cette découverte pour la communauté scientifique mondiale ?
C'est exceptionnel ! Il est très rare aujourd'hui d'observer des volcans en activité dans le domaine sous-marin. Il va nous permettre d'avoir de nouvelles informations grâce à des connections possibles avec la partie profonde de la terre, et notamment grâce aux remontées de magma.
Cette découverte va aussi permettre de comprendre quels sont les gaz et les fluides associés à ce genre de phénomène. Je pense aussi à nos collègues biologistes, car ces phénomènes peuvent concentrer des faunes particulières affiliées à ces environnements profonds.
La1ere : La naissance de ce volcan a secoué Mayotte avec des séismes, et a aussi été ressenti au niveau mondial en émettant des ondes basse-fréquences partout sur terre. Que se passait-il sous l'eau ?
Avant d'arriver sur place, la principale interrogation portait sur cette crise sismique à Mayotte. Pourquoi était-elle apparue ? A quoi était-elle due ? Aujourd'hui, nous savons que la sortie de ce volcan correspond à l'apparition des premiers séismes à Mayotte depuis juin/juillet 2018. Ensuite, il y a eu des séismes appelés des trémors qui ont été ressentis partout dans le monde par des stations sismiques.
Ces signatures de séismes qui se propagent à grande échelle sont dues à des mouvements de magma dans la lithosphère, voire plus profond. Aujourd'hui, nous savons que les séismes à Mayotte sont situés à 20 km de profondeur et ils sont probablement en lien avec une forte activité magmatique.
La1ère : Depuis juillet 2018, Mayotte se déplace d'environ 1,5 cm vers l'Est et s'enfonce d'environ 1 cm chaque mois. Cela va-t-il durer ? Quels dangers ça représente pour Mayotte?
Difficile de savoir si ça va durer, mais nous allons tout mettre en œuvre pour suivre l'évolution de cette essaims sismiques. Nous avons déployé des observatoires de fonds de mer pour mesurer la sismicité en surface et en profondeur dans la zone.
Le danger pour Mayotte est difficile à envisager aujourd'hui. Le volcan se situe à une cinquantaine de kilomètres de Mayotte. Le volcan en lui-même ne devrait pas représenter de "risques considérables". Il est localisé sur un fond plat et assez éloigné de Mayotte. En revanche, on se pose beaucoup de questions sur l'évolution d'un essaim de séismes.
Il y a deux essaims actifs, dont un plus actif qui est localisé entre 5 et 15 km à l'Est de Petite-Terre. Différents scénarii existent selon son évolution. Du magma pourrait sortir à cet endroit et créer une déstabilisation des pentes, et générer des risques de tsunamis. Mais pour le moment, nous n'avons pas de vision là-dessus.
La1ère : Vous avez recueilli de nombreuses données lors de votre mission, que vous reste-t-il à analyser ?
Nous allons recevoir dans les jours qui viennent des échantillons d'eau que nous avons prélevés sur les panaches lors de la mission. Ces prélèvements arriveront à l'Ifremer, à Brest, et seront analysés pour déterminer la nature de gaz, ou encore de particules.
Nous avons aussi réalisé des prélèvements de roches. Nous avons posé une grosse cage en ferraille sur le volcan pour racler le fond et prélever des roches. Nous avons prélevé plusieurs centaines de kilos de roches et nous en avons triés 400 kilos. Ces roches vont bientôt arrivées en France et seront distribuées dans plusieurs instituts pour déterminer leurs compositions.
La1ere : Quelles questions restent encore sans réponse ?
Il y a l'évolution de l'essaim qui pose encore question. Va-t-il rester en profondeur ? Va-t-il migrer ? Cet essaim dure depuis un an et ce genre de phénomène n'a pas été couramment documenté ailleurs. Et puis, nous n'avons pas encore eu d'image de ce volcan. Nous ne savons pas s'il continue de grossir et si du magma est encore émis sur le fond.
La1ère : Cette découverte a été suivie avec intérêt sur les réseaux sociaux, via des tweets et liens postés par des scientifiques. C'est une nouvelle façon de communiquer sur la science. Quelles conséquences cela a pour vous, scientifiques ?
Nous n'en n'avons pas la maîtrise, mais je trouve que c'est une belle manière de faire parler de cette découverte.
Aujourd'hui, nous, scientifiques nous devons valoriser rapidement les données acquises. Cela passe par des publications. Nous nous organisons donc pour tenter de publier d'ici une semaine à dix jours. Nous voulons le faire rapidement, car nous savons qu'il y a une grosse attente sur cette découverte extraordinaire.