La situation à Mayotte est "extrêmement regrettable" et "préoccupante" en ce qui concerne l'accès à l'eau potable, mais aussi concernant les problèmes dérivés, comme l'accès à l'éducation ou la situation sanitaire. Mais l'action engagée par l'État pour répondre à ces crises en série est suffisante. Voilà en substance ce qu'a décidé le Conseil d'État dans une ordonnance datée du 26 décembre et rendue publique trois jours plus tard, le 29 décembre.
La haute instance juridique avait été saisie début décembre par deux associations, "Notre affaire à tous" et "Mayotte a soif", ainsi que par une vingtaine de personnes, après le rejet par le tribunal administratif de Mayotte d'une requête enjoignant à l'État d'aller plus loin dans sa lutte contre la crise de l'eau qui frappe la population mahoraise depuis des mois.
Les requérants demandaient par voie de justice au préfet de Mayotte, Thierry Suquet, de déclencher le plan ORSEC "eau potable" et un "plan complet d'urgence sanitaire et d'accès à l'eau". Leurs demandes avaient été rejetées en première instance. Ils s'en sont donc remis au Conseil d'État, qui a donné raison au tribunal de Mayotte.
"C'est largement insuffisant", disent les associations
"Cette décision [est] décevante pour les requérant.e.s qui espéraient que l'État soit contraint à faire le nécessaire pour mettre fin aux atteintes aux droits fondamentaux", ont réagi les associations dans un communiqué après la décision du Conseil d'État.
Le tribunal, comme l'État, semblent considérer que miser sur l'arrivée rapide de la pluie constitue une mesure à la hauteur des drames quotidiens que connaissent les habitant.e.s de l'île.
"Notre affaire à tous" et "Mayotte à soif", dans un communiqué
Si les quelques gouttes qui sont tombées ces derniers jours et l'approche de la saison des pluies ont permis de desserrer légèrement l'étau sur les restrictions d'eau à Mayotte, la situation reste critique dans le département, qui vit au rythme des tours d'eau depuis plusieurs mois.
Liée à la sécheresse historique qui assèche les réservoirs de l'archipel, la crise de l'eau est aussi due à "un certain nombre de défaillances dans l'organisation et la gestion de l'eau dans ce département", reconnaît le Conseil d'État.
Mais selon lui, l'État, à travers la préfecture, a pris des mesures suffisantes pour répondre sur le court et moyen terme aux besoins en eau des Mahorais et Mahoraises : limitation d'usage de l'eau, réquisitions, importation de bouteilles de La Réunion, des îles voisines et de l'Hexagone, distribution d'eau, installation d'une unité de potabilisation...
"L'État fait des choses, mais c'est largement insuffisant", juge Emma Feyeux, chargée de campagne sur les discriminations environnementales au sein de l'association "Notre affaire à tous". Par exemple, "il y a des points de distribution de bouteilles d'eau qui sont installés sur toute l'île. Mais il y a un point de distribution de bouteilles pour 10 000 personnes environ, souligne-t-elle. C'est-à-dire que, tous les jours, 10 000 personnes doivent se rendre à un point de distribution en espérant avoir des bouteilles d'eau alors que les stocks sont eux-mêmes insuffisants. Nous, on demandait à la justice des choses assez simples, comme multiplier le nombre de points de distribution (...) pour qu'il y ait 1 000 ou 2 000 personnes par point de distribution".
La question se reposera les prochaines saisons sèches
Si des fermetures d'établissements scolaires sont à déplorer et que des alertes sanitaires concernant la qualité de l'eau ont été émises par les autorités, "elles demeurent rares et localisées", indique le Conseil d'État dans sa décision, balayant l'idée d'une défaillance générale des services de l'État.
Les associations pointent pourtant du doigt un gros défaut de coordination entre les autorités. "Le déclenchement du plan ORSEC 'eau potable', qui est un plan qui est obligatoire dans tous les départements depuis la fin de l'année 2020, mais qui n'existe pas à Mayotte (....), aurait pu apporter une réponse à ce manque de pilotage", indique Emma Feyeux.
Déboutées, les associations et la vingtaine de personnes qui espéraient mettre la pression sur le gouvernement pour prendre davantage de mesures d'urgence, n'ont désormais plus de recours possible. Mais elles espèrent que leur action permettra de mettre en avant le problème d'accès à l'eau à Mayotte mais aussi dans les autres territoires d'Outre-mer. "Sans politique de long-terme adaptée aux spécificités ultramarines, la question se reposera de façon accrue l'année prochaine et à toutes les prochaines saisons sèches", avertissent-elles.