Leurs menaces planent au-dessus de nos Outre-mer et les populations ont appris à vivre avec ces véritables géants du ciel. Les cyclones et ouragans constituent un véritable pion des sociétés ultramarines avec, malheureusement, des dangers et des évolutions à prendre en compte.
► Cyclone, ouragan... de quoi parle-t-on (et quand) ?
Dans le dictionnaire des synonymes, les mots "cyclone", "ouragan" et "tempête" sont logés à la même enseigne. Pourtant, ils ne recouvrent pas les mêmes réalités, chaque région (ou "bassin") ayant sa propre appellation et sa hiérachisation en fonction de la puissance du phénomène. "Côté Caraïbe, on va surtout parler de tempête tropicale, d'ouragan et d'ouragan majeur", explique Jean-Noël Degrace, ingénieur prévisionniste à Météo France en Martinique. "Du côté de La Réunion, on parlera de tempête mais aussi de cyclone, puis de cyclone intense", et pareil dans le Pacifique Sud.
Vient ensuite la fameuse nomenclature : dépression tropicale (vents inférieurs à 60 km/h en moyenne), tempête tropicale (vents entre 60 km/h et 120 km/h), ouragan ou cyclone (plus de 120 km/h) et enfin, cyclone intense ou ouragan majeur (vents à plus de 180 km/h).
► Pourquoi les Outre-mer sont exposés aux cyclones et ouragans ?
"La position géographique dans cette bande tropicale fait qu'il y a forcément des cyclones et des systèmes cycloniques qui vont naître", répond Jean-Noël Degrace. Pour se former, les ouragans et cyclones ont besoin d'une "perturbation d'origine qui doit après trouver des conditions favorables à son développement".
Il faut un océan chaud, de l'humidité dans l'air, pas de vents opposés et des hautes pressions dans la troposphère, à plusieurs dizaines de kilomètres de la surface de la Terre. "S'il a toutes ces conditions, il peut s'intensifier à partir du moment où il va être suffisamment loin de l'équateur", ajoute le prévisionniste. "C'est pour ça que la Guyane française ne connaît pas de cyclone", alors que les autres territoires ultramarins, plus éloignés de l'équateur, peuvent en connaître.
Ainsi, dans l'arc antillais, la trajectoire des ouragans majeurs menace particulièrement les îles du Nord, Saint-Martin et Saint-Barthélémy, durement éprouvées par Irma en 2017. Mais les populations gardent en mémoire les passages de Lenny en 1999 et surtout de Luis en 1995, qui avait dévasté l'île.
Reportage de RFO Guadeloupe en 1995 sur le bilan de Luis à Saint-Martin et Saint-Barthélémy :
À l'inverse, selon les bases de données de Météo France, aucun oeil d'ouragan n'est passé sur la Martinique. Ainsi, l'ouragan Dean, en 2007, est passé très près mais l'oeil a traversé le canal de Sainte-Lucie. Même chose pour Maria, dont la partie sud est passée à 50 km de la Martinique sans faire trop de dégâts.
Le risque le plus actuel en Martinique mais aussi en Guadeloupe, ce sont plutôt les tempêtes faibles. Pour la Martinique, on a souvent en mémoire des tempêtes qui ont donné de grosses inondations, comme Dorothy en 1970.
Jean-Noël Degrace
En Guadeloupe, le dernier ouragan à avoir touché terre est Hugo, le 16 septembre 1989, l'un des cyclones les plus violents enregistrés dans les Antilles. Des rafales à près de 300 km/h ont été mesurées au Raizet et au moins onze personnes sont décédées suite au passage de "Hugo le terrible" sur l'archipel. L'économie a été lourdement sinistrée, notamment en raison de la destruction de l'ensemble des récoltes de bananes et d'une partie de la canne à sucre.
Reportage de RFO Guadeloupe en 1989 :
Dans le Pacifique, le risque cyclonique est aussi élevé. La Nouvelle-Calédonie a notamment été fortement touchée par le cyclone Erica les 13 et 14 mars 2003, quand l'oeil a longé la côte Ouest de la Grande Terre. La même zone avait connu en 1996 la plus forte rafale de vent jamais enregistrée en Nouvelle-Calédonie, soit 232 km/h, lors du passage de Beti le 27 mars. À chaque fois, des dégâts matériels considérables sont à déplorer : routes coupées, champs inondés, réseau électrique et réseau d'eau détruits, toitures arrachées...
Malheureusement deux phénomènes ont également eu des répercussions mortelles, notamment à cause des inondations. "Anne la meurtière", en 1988, a ainsi fait deux morts en plus des nombreuses destructions sur toute la Nouvelle-Calédonie. Quelques années plus tôt, trois morts avaient été recensés lors du passage du cyclone Gyan à Noël, en 1981. Deux jeunes ont également perdu la vie lors du passage de Freda en 2013, qui, même en ayant été rétrogradée au statut de dépression tropicale modérée quelques heures avant de traverser la Grande Terre, n'a pas manqué de provoquer de lourds dégâts.
La Polynésie est elle aussi exposée, notamment les îles du sud. "La saison chaude de 1982-83 reste dans toutes les mémoires de Polynésiens et de climatologues", note Jean-Noël Degrace. Huit phénomènes ont été répertoriés, dont cinq ayant atteint le stade de cyclone. "On estime que 90% des îles ont été touchées à un degré plus ou moins élevé". Le cyclone Orama, passé entre le 22 et le 27 février dans la partie sud-est de l'archipel des Tuamotu, a été particulièrement dévastateur.
Tout récemment, en janvier 2020, le cyclone Tino a lui occasionné des dégâts matériels et des pluies torrentielles sur Wallis. Amos, en 2016, Evan, en 2012 et Ron en 1998, avaient eux aussi marqué l'île pour la violence de leurs vents, de leurs pluies et de la houle qu'ils avaient occasionné. Plus au sud, sur l'île de Futuna, le dernier cyclone cataclysmique en date est Tomas, qui a balayé l'île le 14 mars 2010. L'anémomètre qui permet de mesurer la vitesse du vent a été arraché par le souffle du cyclone, ne permettent que de faire des estimations des rafales, à environ 170 km/h. De nombreuses habitations ont été détruites, ainsi que des champs et des routes.
Le troisième bassin d'Outre-mer menacé par le risque cyclonique est l'océan Indien, où La Réunion est toutefois plus exposée que Mayotte. En janvier 1948, un cyclone y fait ainsi 165 morts et détruit la totalité des cultures de l'île. Dans les années 60, les cyclones Jenny, Denise et Gisèle ont fait une quarantaine de morts et d'énormes dégâts matériels. En 1980, le cyclone Hyacinthe a provoqué des pluies diluviennes à La Réunion, au point d'établir un record mondial de pluviométrie toujours en vigueur aujourd'hui.
Mais à La Réunion, le risque demeure aléatoire : depuis 27 ans, aucun cyclone n'a touché l'île alors qu'entre 1987 et 1993, trois phénomènes ont traversé le territoire, Clotilda (1987), Firinga (1989) et Colina (1993).
Dans le canal du Mozambique, Mayotte est un peu moins exposée. En 1984 et en 1985, Feliksa et Kamisy ont provoqué des dégâts en raison des pluies et des vents violents. Mais les cyclones de référence à Mayotte remontent encore plus loin, en 1953 et en 1934, le 18 février, "probablement le pire du 20ème siècle", selon Jean-Noël Degrace.
► Peut-on s'attendre à des cyclones plus fréquents et/ou plus forts dans les prochaines années avec le réchauffement climatique ?
"C'est la question que tout le monde se pose depuis 20 ans", admet Jean-Noël Degrace. Une question difficile à élucider puisque pour se projeter, il faut pouvoir comparer les données du passé... données qui n'étaient pas récoltées de la même manière et avec la même précision au siècle passé.
On a tendance à dire qu'on dénombre plus d'ouragan parce qu'aujourd'hui, on sait bien mesurer et observer. Mais on n'a pas des données super homogènes. Pour les ouragans majeurs, la qualification se joue à 10 km/h près, alors imaginez, avant, pour la précision des données. On n'est pas très sûrs de l'évolution qu'il y a eu dans les cinquante ou cent dernières années.
Néanmoins, Jean-Noël Degrace avance quelques pistes : "Il semble qu'il n'y a pas plus de cyclones autour du globe par an avec la terre qui se réchauffe", explique-t-il. "Dans le futur, à peu près tout le monde est d'accord pour dire qu'on ne va pas attendre plus de cyclones."
En revanche, ces cyclones pourraient évoluer : plus forts, avec un maximum augmenté de "2 à 11%", plus pluvieux et avec de nouvelles trajectoires qui "pourraient évoluer en fonction des courants marins" et donc toucher de nouveaux territoires pas forcément préparés.
Autant d'évolutions qui fragilisent un peu plus les territoires exposés. "Le réchauffement climatique augmente la vulnérabilité des territoires ultramarins", alerte ainsi le prévisionniste. En Outre-mer, les territoires ne sont pas seulement exposés aux vents violents des cyclones. Les pluies qui les accompagnent peuvent occasionner des inondations, des coulées de boues, des glissements de terrain. La houle, très forte et très longue, peut endommager le littoral et provoquer des submersions marines. Des risques accrus par l'érosion des littoraux, par la littoralisation de la population et par la montée des eaux.
► Comment mieux préparer (et protéger) les Outre-mer ?
Pour Jean-Noël Degrace, la préparation doit passer par "par la culture du risque", avec la compréhension des risques et des comportements à avoir grâce à l'éducation et à la sensibilisation. Il y a également la planification, tant en matière d'aménagement du territoire qu'en préparation des plans de continuité de fonctionnement. "Aux Antilles par exemple, il y a encore des lieux qui accueillent du public qui sont construits sur des zones inondables", relève l'ingénieur. "Il va peut-être falloir revoir les codes de construction avec toutes les contraintes économiques et financières qui vont avec."
La crise sanitaire du Covid-19 a également fait émerger de nouvelles questions : comment mettre la population à l'abri tout en respectant les gestes barrières ? Autant de points de préparation qui évoluent au gré des recherches et des aléas.
Mais lorsque survient le danger, il reste un "dernier maillon vital" : l'information en temps réel. La population doit pouvoir être alertée sur les évolutions des phénomènes mais aussi sur les dispositions à prendre pour se protéger. Un challenge car cette communication ne repose que des probabilités.
Même quand on sait qu'il y a 95% de chances que le cyclone ne nous impacte pas réellement, on est obligés de dérouler toute l'information pour la sécurité de la population, sans insister sur le fait qu'il y a ce pourcentage car sinon la population ne se protège pas. On ne peut pas se dire il n'y a que 5% de risques donc, "ce n'est pas grave, on croise les doigts".
Exemple de message de prévention publié par la préfecture de Guadeloupe sur les réseaux sociaux lors du passage d'Irma en septembre 2017 :