Daniel Picouly : "Mon père me parlait de figures noires qui n’existaient pas à l’école" #MaParole

Daniel Picouly
Il travaille en ce moment sur son prochain roman qui s’intitulera "Le crépuscule des Amazones", une histoire inspirée par son grand-père martiniquais. Daniel Picouly ne s’arrête jamais. Le concept de vacances et de week-end ne fait pas partie de son vocabulaire, car ce qu’il aime par-dessus tout, c’est écrire.

Il y a des gens qui disent (un peu bêtement) "la vie appartient à ceux qui se lèvent tôt". Daniel Picouly préfère dire "les histoires appartiennent à ceux qui savent les raconter". "Ça fait la différence dans la vie ! ". Pas de doute, avoir un bon convive qui sait raconter des histoires, ça change tout. Et pour #MaParole, Daniel Picouly ne s'est pas fait prier. Une fois lancé, il ne s’arrête plus et on l’écoute sans sourciller, presque hypnotisé, même pas gêné par les digressions.

1 Une enfance romanesque

Dans la famille Picouly, il est le 11e sur 13. Autant dire qu’il faut se serrer un peu dans le pavillon ouvrier de Villemomble en Seine-Saint-Denis. Mais rien de grave. La famille est heureuse. La mère Paulette, baptisée m’an dans tous les romans de Daniel Picouly, veille sur ses enfants mieux que sur ses plats régulièrement brûlés.

Elle raconte beaucoup d’histoires et parvient à rendre la vie à la fois douce et drôle en la "romançant" énormément. Le père, le p’pa travaille à l’usine à Orly, il est chaudronnier et originaire de la Martinique par son père. Il aime lire des romans policiers et fait beaucoup d’heures supplémentaires pour faire vivre sa nombreuse famille.

Dans Roger et Paulette, son livre sur ses parents, Danier Picouly raconte que son père n’a que 21 ans quand il épouse Paulette, 28 ans, veuve et mère de 9 enfants. Quelle preuve d’amour incroyable ! Sur la photo de la couverture du livre, ils sont très beaux tous les deux, ces parents auquel Daniel Picouly rend continuellement hommage dans de nombreux livres. Dans Le champ de personne, il baptise son  père Chaudrake, un nom de super-héros inventé en hommage à son travail de chaudronnier et de résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale.

À la maison, le père lui parle de ses héros à lui, noirs et méconnus : le chevalier de Saint-George et le général Dumas, père de l’écrivain Alexandre Dumas. Daniel Picouly entend aussi le nom de Frantz Fanon avec qui son père est en relation. Le psychiatre martiniquais, auteur de Peau noire, masques blancs est alors médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida. La famille Picouly ira d’ailleurs en 1962 passer des vacances en Algérie. Un séjour heureux que le romancier retrace dans Fort de l’eau paru en 1997.

Daniel Picouly évoque dans Le champ de personne, son best-seller de 1999, l’amitié de Frantz Fanon avec son père et la guerre d’Algérie dont on parle à l’école. À l’école justement, le futur écrivain est plutôt du genre cancre. Il préfère les récréations et surtout, il a un sérieux problème avec l’orthographe. Heureusement, l’un de ses instituteurs voit en lui un élève prometteur au vu de ses rédactions. Il lui offre L’enfant et le fennec, un roman qui bouleverse Daniel Picouly.

2 Le champ de personne

À l’adolescence, Daniel Picouly est brutalement orienté vers un bac professionnel en comptabilité et gestion. Après le lycée, il atterrit à l’Université d’Assas pour des études de droit puis il poursuit en économie à la faculté de Dauphine. Il devient professeur d’économie et de gestion dans des lycées professionnels de banlieue et après un concours, il enseigne dans un lycée dans le 13e arrondissement de Paris. Il se met à écrire des romans policiers.

Son premier livre, La lumière des fous raconte l’histoire d’une adolescente enceinte de son professeur qui avorte dans les toilettes tandis que son frère assassine l’épouse de l’enseignant. Un récit terrifiant ! Rien à voir avec le reste de son œuvre plutôt joyeuse. Un jour, le surveillant général du lycée le convoque "comme un élève" pour lui dire qu’il ne comprend pas comme un "type solaire" comme lui puisse écrire des choses aussi terribles. Il lui propose de faire lire son manuscrit à un ami, Daniel Pennac. Coup de chance, le manuscrit plait au célèbre auteur de la saga Malaussène et il le publie. Pour Daniel Picouly, "Daniel Pennac est le seul homme" dont il puisse dire, "je ne sais pas ce que je serais devenu si je ne l’avais pas rencontré".

Après deux autres romans policiers, Françoise Verny, la grande prêtresse de l’édition à l’époque, conseille à Daniel Picouly d’écrire sur son enfance. Bingo ! En 1995, Le champ de personne se vend à 500 000 exemplaires et fait passer Daniel Picouly au statut d’écrivain reconnu. L’auteur poursuit dans cette veine. Quatre ans plus tard, L’enfant léopard, son roman historique baroque comme il le nomme, remporte le prix Renaudot 1999. Il s’agit du récit des dernières heures de Marie-Antoinette, mais aussi l’histoire de la traque d’un enfant, un jeune métis à travers les rues de Paris en pleine révolution. Est-il l’enfant que la reine aurait eu avec un homme noir ? Le chevalier de Saint-George ? Avec Daniel Picouly, tout est possible. "Quand on est romancier, déclare-t-il avec aplomb dans #MaParole, on propose des choses dont personne ne peut prouver le contraire".

3 Jean Jules Joseph

Daniel Picouly fait souvent référence à ses origines martiniquaises à travers ses livres. Dans Le cri muet de l’iguane, il parle de son grand-père Jean Jules Joseph Picouly né en 1893 et considéré par tout le monde comme un héros de la Première Guerre mondiale. En s’y intéressant de près, le romancier se rend compte que son ancêtre n’a pas mis un pied dans les tranchées, "mais son histoire est bien plus extraordinaire", s'enthousiasme-t-il. Le grand-père a été élevé par l’une des femmes de la garde de Béhanzin, ce roi du Dahomey (ex-Bénin) en exil en Martinique pendant 12 ans.

Jean-Jules Joseph a aussi de peu évité de finir ses jours lors de l’éruption de la montagne Pelée en 1902. Et durant la Première Guerre mondiale, il travaille à Tarbes comme chaudronnier dans une usine et épouse Marie dont il tombe fou amoureux. Premier mariage mixte de la famille Picouly à une époque où ils étaient si rares.

Inspiré par ce grand-père au destin romanesque, Daniel Picouly écrit un roman sur l’éruption de la montagne Pelée intitulé Quatre-vingt-dix secondes. Il y fait même parler le volcan. Un procédé narratif étonnant, mais qui marche. Daniel Picouly ne s’interdit rien. En ce moment, il travaille sur un livre qui raconte le destin d’une amazone ayant appartenu à la garde du roi Béhanzin. Il imagine une entrevue entre le roi déchu de passage à Marseille à qui, comble de perversité, on fait visiter l’exposition coloniale, et une de ses guerrières présentée lors de cette foire. Encore une fois, la famille de Daniel Picouly l'a inspiré. Car l'homme comme le romancier aime vivre avec ces ancêtres, ce champ de personnes qu'il vénère comme un panthéon. 

 

♦♦Daniel Picouly en 5 dates ♦♦♦

►21 octobre 1948

Naissance à Villemomble

►1995

Succès du Champ de personne

►1999

Prix Renaudot pour L’enfant léopard

►2005

La treizième mort du chevalier

►2015

Le cri muet de l’iguane

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