Dengue, Zika et chikungunya : avec le réchauffement climatique, "l’Hexagone a beaucoup à apprendre des territoires ultramarins"

Le moustique ''tigre'' vecteur de la dengue, du zika et du chikungunya
Dans un avis rendu public ce mercredi, le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS) a fait un état des lieux de la dengue, de Zika et du chikungunya en France, et des risques à venir avec le changement climatique.

D’un côté, il y a les Outre-mer où la dengue a déjà touché :

  • plus de 90% de la population antillaise
  • 70% des Guyanais
  • 83% des habitants en Polynésie française
  • 55% des Calédoniens.

De l’autre, il y a eu en 2022 dans l’Hexagone 272 cas importés de dengue (c’est-à-dire de Français contaminés lors d’un voyage) et 65 cas autochtones (c’est-à-dire infectés dans l’Hexagone).

Des chiffres qui tendent à augmenter d’année en année sur le territoire hexagonal, pointe du doigt le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS), dans un avis rendu public ce 5 avril.

Surtout, "nous anticipons qu’avec le changement climatique, le nombre de cas risque d’augmenter en métropole mais aussi dans les territoires intertropicaux", souligne Brigitte Autran, présidente du COVARS et immunologiste.

Les drépanocytaires plus à risque

Comment est-ce possible ? On pourrait en effet penser qu’une immunité collective s’est créée dans les Outre-mer, exposés depuis plusieurs dizaines d’années à la dengue transmise par le moustique tigre (aedes albopictus) et son cousin l’aedes aegypti. Sauf qu’il n’existe pas une forme de dengue, mais quatre.

"C’est extrêmement compliqué d’arriver à une immunité protectrice, confirme le virologue Xavier de Lamballerie. Cela va se poursuivre et s’amplifier dans le futur."

Qui dit plus de transmission dit aussi plus de risque de formes graves et de décès. Or les Antilles et la Guyane méritent une attention toute particulière pour le professeur André Cabié, chef du service de maladies infectieuses et tropicales au CHU de Martinique.

Il explique que la population antillaise et guyanaise est proportionnellement plus atteinte de la drépanocytose, une maladie génétique qui touche les globules rouges. Ces personnes drépanocytaires ont un "sur-risque de développer une forme grave ou de décès", alerte l’infectiologue.

Baisse de l'immunité

En ligne de mire du COVARS, il n’y a pas que la dengue mais aussi le chikungunya et le virus Zika, également transmis par les moustiques. Ce dernier " a circulé de manière épidémique en 2013-2014 en Polynésie française (32.000 cas selon Santé Publique France), puis en 2014-2015 en Nouvelle-Calédonie, en 2015-16 aux Antilles et en Guyane avec parfois des formes sévères (troubles de développement fœtal et syndromes de Guillain Barré)", détaille le rapport.

Mis à part la Nouvelle-Calédonie, le COVARS estime que 20 à 40% des populations ultramarines ont été touchées selon les territoires. Certes, une forme d’immunité s’est mise en place à la fin de l’épidémie, mais "l’immunité baisse avec le temps" et le risque augmente "de nouvelles vagues", analyse Xavier de Lamballerie.

Il pointe un phénomène similaire avec le chikungunya qui pourrait circuler à nouveau de façon épidémique, car "l’immunité [des populations] baisse aussi avec le temps".

Ce virus avait "provoqué des épidémies sévères à la Réunion et Mayotte en 2005-2006 (244.000 cas selon Santé Publique France), puis dans les territoires français des Amérique en 2014-2015. Dans les deux cas, environ 40% de la population a été infectée (23% en Guyane) […]. Il a également circulé en Nouvelle-Calédonie en 2013 et en Polynésie française en 2014."

"Débordé avec 65 cas"

Si les cas de Zika et de chikungunya se comptent encore sur les doigts d’une main dans l’Hexagone, le COVARS craint que ces deux maladies ainsi que la dengue ne deviennent "des problèmes de santé publique en métropole".

Le comité n’a cependant pas donné de prévisions sur l'évolution des épidémies "car les facteurs qui interviennent dans l’explosion de ces maladies sont tellement multiples qu’il est trop hasardeux d’en faire", explique Brigitte Autran.

Il n’y a en effet pas que le changement climatique qui rentre en jeu, mais aussi des brassages de population, comme c’est le cas lors de grands événements sportifs. Les JO 2024 peuvent par exemple renforcer "les risques de survenue de foyers de dengue, Zika et chikungunya", prévient l’entomologiste Didier Fontenille. "On était déjà débordé avec 65 cas. Si l'an prochain, il y en a 300, on ne pourra pas faire face, il va falloir s'adapter."

"Ils ont beaucoup à nous apprendre"

Parmi ses recommandations aux ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le COVARS souhaite donc, entre autres, l’intégration de ces trois maladies virales dans le plan national de lutte contre les pandémies, une évaluation régulière de l’impact du changement climatique et la préparation des grands événements internationaux.

"On n'est pas dans un scénario catastrophe mais on doit prendre le risque au sérieux par des campagnes de prévention ou une meilleure organisation des acteurs", a conclu la présidente du Covars, Brigitte Autran, lors du point presse.

L’Hexagone ne peut-il pas tirer profit de l’expérience des Outre-mer pour mieux s’organiser justement ? Réponse de Didier Fontenille : "Les territoires ultramarins ont une longue expérience. C’est plutôt bien organisé, perfectible certes vu que les virus ne sont pas éradiqués à 100%. Ils ont beaucoup, beaucoup à nous apprendre."

Vaccination des drépanocytaires

Une autre recommandation est de soutenir le travail des chercheurs, notamment pour trouver des vaccins. Il n’en existe pour l’instant que deux contre la dengue. Mais l’un est peu utilisé du fait des risques sur les enfants de moins de 9 ans. L’autre est nouveau : "On est en attente des recommandations de la Haute Autorité de Santé pour son autorisation", précise le chef du service des maladies infectieuses du CHU de Martinique.

Il annonce cependant qu’un "projet de recherche va démarrer dans les semaines, dans les mois qui viennent avec ces deux vaccins" à destination des patients drépanocytaires, pour protéger "cette population à risque".