Déracialiser et adapter son discours, la stratégie derrière la poussée du RN en Outre-mer

Marine Le Pen en visite à Mayotte, le 21 avril 2024.
Malgré un faible ancrage local, le Rassemblement national fait de bons scores dans les territoires ultramarins, pourtant marqués par l'histoire de la colonisation. C'est le fruit de la stratégie de dédiabolisation du parti, qui gomme la question raciale de son discours en Outre-mer, insiste sur le pouvoir d'achat et s'adapte à chaque territoire.

Aux Antilles, deux députés sortants feront face à un candidat Rassemblement national (RN) au second tour des élections législatives. Pour la première fois à La Réunion, le parti a présenté des candidats partout, et partout ils ont su se hisser au second tour. Dans la deuxième circonscription de Mayotte, le député sortant, Mansour Kamardine, est en ballottage défavorable face à Anchya Bamana. La candidate RN a récolté 35,42% des suffrages. En 2022, le candidat RN qui se présentait dans cette circonscription n’avait convaincu que 2,64 % des électeurs.

Longtemps, le RN n’a pas eu droit de cité en Outre-mer. Ce n’est plus le cas. Quand Jean-Marie Le Pen était empêché par des milliers de militants d’atterrir en Martinique, sa fille est accueillie très chaleureusement à Mayotte. "Il y a un double travail que le parti a fait : déracialiser son discours pour que ce soit accepté en Outre-mer et avoir une préoccupation du quotidien, la préoccupation du pouvoir d’achat", analyse Christiane Rafidinarivo, politologue, chercheuse associée à l'Université de La Réunion et au CEVIPOF. Le RN gomme la question raciale de son discours dans les territoires ultramarins, tout en menant dans l’Hexagone "une stratégie de la confrontation avec l’étranger, la personne de couleur ou les binationaux".

S’il y a "toujours eu un noyau d’extrême droite lié à la colonisation" dans les Outre-mer, la bascule s’est faite en 2019, année de la crise des gilets jaunes. "C’est là qu’on voit apparaitre le mécontentement, la défiance vis-à-vis des élus, l’anti-Macron, et ça a progressé depuis", explique la chercheuse.

De parti raciste à parti anti-élites

"Le parti lepeniste, du temps de Jean-Marie Le Pen, n’a jamais fait de scores importants dans les Outre-mer. Il était trop identifié à un candidat ouvertement raciste, abonde Damien Deschamps, maître de conférences en sciences politiques à l’université de la Réunion. Marine Le Pen a eu clairement une stratégie de dédiabolisation. Elle a pris grand soin de cultiver l’électorat Outre-mer. Le Rassemblement national n’est plus tellement identifié à la question de la mémoire coloniale, l’Algérie, etc. Il est identifié à un parti anti-élitiste." C’est ce qui explique les très bons scores de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle 2022 dans les territoires ultramarins, la candidate ayant bénéficié d’un report de voix de certains électeurs de Jean-Luc Mélenchon, arrivé en tête du premier tour dans la majorité des Outre-mer.

Quand on cherche pourquoi les Ultramarins qui ont vécu le colonialisme, l’esclavage, le racisme, votent RN, en creusant, on voit toute une stratégie de conquête du vote ultramarin. C’est un travail de fond qui est fait depuis plusieurs années.

Christiane Rafidinarivo, politologue.

Près de 800 000 abonnés sur Instagram pour Jordan Bardella, 1,8 million sur TikTok… Si le RN a peu d’implantations locales en Outre-mer, il a investi massivement dans la communication. "Cette communication ce sont beaucoup les réseaux sociaux, et ici tout le monde est connecté", souligne Christiane Rafidinarivo. Que ce soit pour les européennes ou les législatives anticipées, le RN a nationalisé ses campagnes. "On ne vote pas pour les députés, on ne vote pas pour les eurodéputés, on vote pour Jordan Bardella et Marine Le Pen", résume la politologue.

Un discours politique qui diffère d'un territoire à l'autre

Mais s’il nationalise la campagne, le parti à la flamme sait aussi adapter son discours aux territoires. C’est notamment le cas à Mayotte, département où une grande partie de la population est musulmane. "Le discours RN sur l’immigration, l’islamisation, n’est pas présenté du tout à Mayotte. On présente la souffrance du peuple mahorais face à l’immigration comorienne. On remplace 'Islam' et 'Islamisation' par 'Comores' et 'Comoriens', résume la chercheuse. Par contre, à La Réunion, ils sont anti-Mahorais. Le RN a une offre qui s’adapte à la situation."

La conquête du vote ultramarin permet au Rassemblement national de faire d’une pierre deux coups. Non seulement les Outre-mer et leurs plus de deux millions d’habitants sont une réserve de voix importante, mais l’emporter en Outre-mer est une preuve de respectabilité supplémentaire. Un argument qui peut ensuite être décliné au niveau national pour répondre aux accusations de racisme qui visent certains candidats étiquetés Rassemblement national.