Après Berne en Suisse, les Réunionnais dits de la Creuse font entendre leur voix à Venise en Italie. Leur fédération, la FEDD (fédération des enfants déracinés des DROM) fait désormais partie d’un vaste mouvement européen de lutte contre les violences faites aux enfants. Et de cette initiative européenne est né le projet d’une exposition de photos.
Présentée pour la première fois dans le cadre de la Biennale de Venise, Shame, european stories, montre les portraits de 60 victimes européennes. Parmi elles, figurent Valérie Andanson et de Sylvie Arcos, deux Réunionnaises dites de la Creuse. Regardez le reportage ci-dessous ⇓
Valérie Andanson est parvenue à faire le déplacement jusqu’à Venise. Arrivée tout droit de La Réunion, elle a fait l’expérience, pour la première fois de sa vie, du taxi-bateau et du vaporetto sur le Grand Canal. Valérie fait partie de ceux que l’on appelle les Réunionnais dits de la Creuse. De 1962 à 1983, 2015 enfants réunionnais ont été envoyés dans l’Hexagone sans l’avoir vraiment voulu pour "repeupler" les zones rurales. En 1966, à 3 ans, Valérie Andanson a vécu l’enfer. Arrivée à Guéret après un voyage en avion avec ses frères et sœurs, elle a tout simplement été séparée de sa fratrie. Envoyée dans une famille qui l’a maltraité, elle devait se cacher sous la table avec le chien pour ne pas être battue.
Un long combat
A 7 ans, Valérie Andanson a été adoptée par un couple de restaurateurs aimants. Mais sa mère adoptive voulait absolument lui cacher la vérité. Chaque semaine, elle se rendait chez le coiffeur pour lui faire défriser les cheveux. Et dès que Valérie Andanson posait une question. Invariablement, sa mère lui répondait qu’elle et son mari étaient bien ses vrais parents alors qu’ils étaient tout blancs. A l’âge de 16 ans, Valérie Andanson a fini par découvrir la vérité. Un véritable cataclysme. A partir de ce moment-là, elle a voulu comprendre son histoire, retrouver ses frères et sœurs et commencer à chercher ses parents biologiques. Elle n’a alors eu de cesse de lutter pour la reconnaissance des droits des Réunionnais dits de la Creuse en tant que victimes.
Grâce à son combat, la FEDD (fédération des enfants déracinés des DROM) a obtenu des billets d’avion et des cellules psychologiques pour les victimes. Une commission chargée de faire la lumière sur cette histoire a été mise en place en 2016 par le gouvernement. Cette commission d’experts présidée par le sociologue Philippe Vitale a écrit un rapport très complet sur ce triste épisode de l’histoire de France.
Aujourd’hui, Valérie Andanson a rejoint une quinzaine d’associations européennes qui rassemblent des victimes de maltraitance durant leur enfance. La fondation Guido Fluri est à l’origine de cette initiative. Guido Furi, qui a fait fortune dans l’immobilier, a vécu une enfance traumatisante. Son père est décédé quand il était jeune et sa mère était schizophrène. Il a été placé dans différents foyers en Suisse. Il aurait pu mal tourner, mais à force de détermination, il est parvenu à bâtir une entreprise dans l’immobilier. Une success story à la suisse.
Pétition en Suisse
Après avoir créé une fondation qui porte son nom pour lutter contre la maltraitance des enfants, il a lancé une pétition en 2014 qui a rencontré un fort soutien populaire soit 110 000 signatures. Cette action a permis l’adoption d’une loi et la création d’un fonds d’indemnisation d’un montant de 300 millions de francs suisses (275 millions d'euros). Plus de 10 000 victimes ont été indemnisées à raison de 25 000 francs suisses (23 000 euros) par dossier. Il s’agit là d’une expérience unique en Europe.
Une fois cet objectif atteint, Guido Fluri a décidé de donner un tour européen à cette action. Il a fédéré une quinzaine d’associations européennes lors d’un symposium organisé à Berne. Pour représenter la France, c’est l’association des Réunionnais de la Creuse, la FEDD (Fédération des enfants déracinés des DROM) qui a été contactée. Le 29 septembre 2021, une motion signée par toutes ces associations européennes a été déposée devant le Conseil de l’Europe.
Périple en van
Par ailleurs, la fondation Fluri a décidé de parrainer une exposition de photos. Le photo-reporter italien Simone Padovani a été choisi pour aller photographier des victimes à travers l’Europe. Avec son van, il a effectué 25 000 kilomètres pour aller les rencontrer. "La chose la plus difficile par-dessus tout a été la partie émotive, surtout pour les personnes photographiées et interviewées, explique Simone Padovani à Outre-mer la 1ère, parce que pour eux cela a été comme vivre une fois les abus qu’ils ont subis". Le photographe se souvient qu'à Paris, il était en retard. C'est là que Valérie Andanson l'attendait avec Sylvie Arcos, une autre victime faisant partie des Réunionnais dits de la Creuse, ainsi que Javier, un ex-enfant du Guatemala adopté illégalement en France.
Tous les trois ont posé pour Simone Padovani. Valérie a l’impression d’avoir "25 années de plus sur la photo". Simone Padovani lui avait demandé de "fermer les yeux, raconte-t-elle et toute ma souffrance est ressortie" ajoute-t-elle. Cette série de photos très impressionnante a été présentée lors d'un vernissage à Venise samedi 21 mai dans le cadre de la biennale. L’exposition est accueillie par Emergency, une ONG italienne très impliquée en Syrie, au Soudan et en Afghanistan.
Exposition itinérante
"Voici le début d'une grande campagne européenne, précise Guido Fluri à Outre-mer la 1ère. Nous commençons maintenant, ici en Italie, à Venise, puis nous irons à Berlin, nous irons à Madrid, à Paris. Nous allons rapprocher cette exposition des gens pour faire bouger les choses au niveau de la société". La fondation Fluri souhaite utiliser ces photos comme un étendard de son combat pour la reconnaissance des victimes de maltraitance durant leur enfance.
L’exposition va donc sillonner l'Europe. Elle ira peut-être aussi à Strasbourg au Conseil de l’Europe. De son côté, Valérie Andanson aimerait beaucoup la faire venir à La Réunion. Les portraits de Valérie Andanson et de Sylvie Arcos vont donc voyager dans toute l’Europe. .