Pendant des années, Valérie Andanson a cherché à comprendre son histoire. Cette quête identitaire a été pour elle un moteur. Elle fait partie de ceux que l’on appelle les enfants réunionnais dits de la Creuse. De 1962 à 1984, 2015 enfants réunionnais ont été envoyés dans 83 départements de la France hexagonale dans l’objectif de repeupler les zones rurales. Beaucoup d’enfants ont été ainsi arrachés à leur famille et à leur terre, sans que le consentement des parents souvent analphabètes soit vraiment bien clair. C’est ainsi qu’en 1966, Valérie Andanson est arrivée dans la Creuse avec ses cinq frères et sœurs.
#1 Une enfance dans la Creuse
De son départ de La Réunion, Valérie Andanson ne garde que "des flashs". Elle se voit dans un avion avec plein d’enfants en "tatanes et en shorts". Arrivés à Orly en grelottant, ils ont dû faire des heures de bus pour rejoindre le foyer de l’enfance à Guéret dans la Creuse. C’est là que Valérie Andanson a atterri à l’âge de trois ans sans comprendre ce qui lui arrivait. Elle a ensuite été séparée de ses frères et sœurs puis placée dans une famille d’accueil. Elle se souvient dans #MaParole à quel point le père de famille était violent. Il la battait. La fille aînée de la famille ressemblait à "un monstre". "J’avais les pieds en sang parce que mes chaussures étaient trop petites", dit-elle. Des souvenirs traumatisants pour Valérie Andanson.
A l’âge de 7 ans, elle a été emmenée dans une autre famille. Toujours dans la Creuse. Elle se souvient du premier jour. Elle était recroquevillée sous la table, terrorisée par l’homme de la famille. Simone et Paul étaient gentils, aimants, rien à voir avec la famille d’accueil de sa petite enfance. Simone lui disait qu’ils étaient ses vrais parents. Difficile à croire au vu de sa couleur de peau. Tous les deux mois, Simone l’emmenait chez le coiffeur pour lui défriser les cheveux. Et à l’école, il n’était pas rare qu’on la traite de "sale négresse". Enfant, Valérie se posait beaucoup de questions, mais n’avait pas de réponses. Elle se souvient qu’à chaque fois qu’un client du bar-restaurant de ses parents faisait une remarque raciste, il était expédié dehors manu militari par Paul.
Et puis un jour, à l’âge de 16 ans en allant chercher un papier dans la chambre de ses parents, Valérie Andanson est tombée sur un document montrant qu’elle avait été adoptée. Le choc. L’adolescente a pleuré sans pouvoir s’arrêter. Elle a senti monter en elle "une colère", difficile à refreiner. Pour toute explication, sa mère lui a révélé qu’elle avait pris cette décision "par amour". "Ton adoption a coûté une fortune", a-t-elle ajouté. Valérie Andanson a ensuite appris qu’elle avait des frères et sœurs. Elle a enfin pu rencontrer son grand-frère, Christian qui lui a dit qu'il avait cherché à la rencontrer quand elle avait 12 ans. Ses parents adoptifs, surtout Simone, avaient refusé. Pendant des années, Valérie Andanson a croisé ses frères et sœurs sans le savoir.
#2 Retour à La Réunion
Dans les années 90, à l’âge de 29 ans Valérie Andanson alors jeune maman de deux enfants a décidé d’aller pour la première fois à La Réunion. Elle n’avait jamais pris l’avion. Son frère Joseph avait mis fin à ses jours quelques années auparavant. Un nouveau traumatisme. Il était temps de se confronter au passé. Une fois sur place, elle a pu rencontrer sa tante Anelia qui ne parlait que le Créole et qui vivait dans la misère. Valérie Andanson estime aujourd’hui qu’elle ne comprenait rien à cette période de sa vie. "J’étais dans le déni (…) Je ne me sentais pas chez moi. Je me sentais creusoise et pas réunionnaise", dit-elle aujourd’hui.
De retour en France hexagonale, elle a vécu dans la Creuse en mettant de côté ce passé bien encombrant. Puis en 2004, elle est tombée sur un reportage parlant de Jean-Jacques Martial. Ce Réunionnais de la Creuse avait décidé de porter plainte contre l’Etat. Il réclamait 1 milliard de d’euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi. Une vie gâchée.
Cette plainte a fait l’effet d’une bombe pour Valérie Andanson. Elle a décidé cette fois de repartir à La Réunion pour longtemps, avec ses enfants sous les bras. Une fois sur place, elle a enquêté afin de comprendre comment elle avait pu atterrir dans la Creuse. Grâce à une assistante sociale du Conseil général de La Réunion, elle a mis la main sur sa première carte d’identité. Dessus il est écrit : Marie-Germaine Perigogne née le 24 mars 1963 à Bois de Nèfles (Saint-Paul de La Réunion). Dans la Creuse, on lui avait donc enlevé son identité réelle. Seule sa date de naissance avait été conservée. Le lieu et le nom avaient été falsifiés. Elle a aussi appris que sa mère avait signé un acte d’abandon de ses enfants un an avant sa mort, mais elle n’a jamais pu mettre la main sur le document. Elle ne sait toujours pas s’il existe bien. Grâce à un appel à témoignages sur une radio locale, Valérie Andanson a réussi à retrouver son parrain. Dans #MaParole, elle raconte ces retrouvailles.
Pendant neuf ans, Valérie Andanson a vécu à La Réunion. Elle a commencé à militer pour la reconnaissance de la souffrance de ces enfants réunionnais dits de la Creuse aux côté de l’historien Sudel Fuma et de deux autres ex-enfants réunionnais exilés, Jean-Jacques Martial et Jean-Philippe Jean-Marie. Au sein de l’association Rasinn Anler, ils ont obtenu qu’une statue représentant cette terrible page de l’histoire française soit érigée à l’aéroport de La Réunion.
#3 Le combat d’une vie
De retour dans l’Hexagone, Valérie Andanson a poursuivi son combat. Le 18 février 2014, une résolution reconnaissant la responsabilité morale de l’Etat dans cette affaire a été adoptée à l’unanimité. Ce jour-là, les députés se sont tournés vers le public pour applaudir les Réunionnais dits de la Creuse. Enfin l’Etat commençait à prendre la mesure de la souffrance de ces centaines d’enfants arrachés pour beaucoup à leur terre sans avoir eu droit au chapitre. Pour Valérie Andanson, le combat ne faisait que commencer. Il y avait tout à faire. Se rassembler et demander des mesures concrètes à l’Etat. Deux ans après la résolution, une commission d’experts présidée par le sociologue Philippe Vitale a ainsi été nommée pour faire la lumière sur cette page sombre de l’histoire de France. Pendant deux ans, les experts ont consulté les archives, rencontré des dizaines de Réunionnais dits de la Creuse. Après deux années de travail acharné, ils ont remis un rapport très précis sur cette histoire et ont fait part de toute une série de préconisations telles que des billets d’avion gratuits à destination de La Réunion pour les ex-mineurs, la mise en place de lieux de mémoire ou encore des cellules psychologiques pour aider les ex-pupilles en difficulté.
De son côté, Valérie Andanson a poursuivi son chemin en tant que porte-parole de la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d’Outre-mer. "Nous sommes la mémoire vive d’une page sombre de l’histoire de France", estime-t-elle. Valérie Andanson a conseillé et écouté des dizaines de compatriotes. Elle a pu voir à quel point cette histoire avait fait des dégâts. Suicides, internements psychiatriques, problèmes de santé : beaucoup de Réunionnais dits de la Creuse ont subi des traumatismes irréversibles. En 2016, Valédie Andanson a enfin retrouvé la trace de son père et elle a pris la décision d’aller vivre à partir de ce mois de septembre 2021 à La Réunion. Elle compte ainsi écrire une nouvelle page de son histoire. "Il faut que je termine le puzzle de ma vie" déclare-t-elle dans #MaParole.
A la prise de son : Diane Koné.
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♦♦ Valérie Andanson en 5 dates ♦♦♦
►24 mars 1963
Naissance de Marie-Germaine Périgogne à Bois-de-Nèfles à Saint-Paul de La Réunion
►1979
A 16 ans, découverte de sa véritable identité
►Décembre 1995
Premier voyage à La Réunion
►Octobre 2004
Première installation à La Réunion (Saint-Paul)
►6 septembre 2021
Deuxième installation à La Réunion