"Didier, l'esclave" : l'ex-sélectionneur de l'équipe de France de handball Claude Onesta se défend devant l'Assemblée nationale

Claude Onesta, alors directeur général de l'équipe de France de handball, le 29 janvier 2017 à l'AccorHotels Arena de Paris.
Auditionné par la commission d'enquête sur les dysfonctionnements dans le monde du sport mardi 24 octobre, l'ancien coach des Bleus a assuré que la dédicace dans laquelle il qualifiait le Guadeloupéen Didier Dinart d'"esclave" devait être remise dans son contexte. Bousculé par les députées, il a indiqué regretter sa "maladresse" sans pour autant reconnaître le racisme de ses propos.

"Vous est-il déjà arrivé de dire à un joueur noir : 'Toi, on va te remettre les chaînes ?'" L'ancien entraîneur de l'équipe de France de handball Claude Onesta a été quelque peu bousculé lors de son audition par la commission d'enquête parlementaire sur les défaillances de fonctionnement dans le sport mardi 24 octobre. "Non", a-t-il protesté avec un rire gêné, témoignant de son agacement.

Convoqué en tant qu'ancien sportif de haut niveau, ancien coach des Bleus et actuel manager général de la haute performance à l'Agence nationale du sport (ANS), Claude Onesta, 66 ans, a surtout (et longuement) été interrogé sur l'affaire de la dédicace, l'opposant à l'ancien international Didier Dinart.

À la sortie de son livre Le Règne des affranchis (Michel Laffont) en 2014, le coach multititré décide d'offrir un exemplaire signé à ses joueurs et son staff. Or, sur celui donné au handballeur guadeloupéen, Claude Onesta utilise des termes déplacés, jugés racistes : "Didier, l'esclave qui a le plus profité de sa libération... En espérant qu'il ne remette pas les chaînes à ses joueurs."

"Cette dédicace, [dont l'existence] est sortie dans un contexte beaucoup plus sensible, ne révèle pas ce qu'elle était à l'occasion du moment où j'ai partagé ça", explique M. Onesta à la présidente de la commission d'enquête, la députée Horizons Béatrice Bellamy, et la rapporteure Sabrina Sebaihi (Écologiste). L'affaire a été révélée dans la presse en octobre 2020, six ans après les faits.

Didier Dinart et Claude Onesta, ici en 2016

Au moment de la sortie du livre, Didier Dinart, ancien pilier de la défense de l'équipe de France de handball entre 1996 et 2013, ne rend pas tout de suite public le mot laissé par Claude Onesta. "Si j'avais parlé à l'époque, je prenais directement un carton rouge", justifiait-il en 2020 dans une interview au Parisien. Parler aurait potentiellement réduit ses chances de prendre le flambeau à la tête des Bleus, qu'il a coachés de 2016 à 2020.

"On a libéré nos joueurs"

"Je suis Noir. Cette dédicace est déplacée, elle m'a choqué et je trouve ces écrits douteux", réagissait en 2020 au micro d'Outre-mer la 1ère le Guadeloupéen, qui avait été évincé de l'équipe de handball plus tôt dans l'année

Trois ans plus tard, Claude Onesta a ainsi tenté de justifier ce qu'il considère être une "maladresse" devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, créée début juillet à la suite de révélations de violences sexuelles dans le milieu du sport français. Les députées dirigeant l'enquête parlementaire ont désiré étendre le champ de leur action aux discriminations raciales et aux dysfonctionnements en général au sein des fédérations sportives.

"J'ai cru comprendre que, six ans plus tard, cette dédicace avait heurté un de ces joueurs, a indiqué M. Onesta, en référence à Didier Dinart. Si c'est comme ça qu'il l'a vécu, j'en suis désolé."

Pourtant, l'ancien coach nommé manager général de la haute performance à l'ANS en 2019 s'est défendu de tout racisme, ne remettant pas en question la terminologie utilisée dans sa dédicace et soulignant avoir été soutenu par d'autres "joueurs de couleur", Luc Abalo et Joël Abati, au moment de la polémique.

Quand je parle d'esclave, je ne parle pas à un athlète noir. Quand je dis "Le Règne des affranchis", c'est le titre de mon livre où on explique que les joueurs, au sens large, sans parler de race ni de couleur, sont (...), dans le champ du sport de haut niveau, considérés comme des acteurs obéissants. Et donc (...) les entraîneurs ont tendance à mettre en œuvre leurs projets, et les athlètes le subissent.

Claude Onesta

A la commission d'enquête parlementaire

À contre-courant de ce qui se faisait alors, Claude Onesta défend sa méthode managériale, à l'origine, selon lui, des bonnes performances des handballeurs français. "On a libéré nos joueurs, explique-t-il. J'ai été identifié comme le manager qui a donné le pouvoir à ses joueurs."

"C'est un problème"

Peu convaincue par les explications apportées par l'ex-coach, la rapporteure de la commission d'enquête Sabrina Sebaihi l'assaille alors de questions pour qu'il précise sa pensée. "Sur la dédicace, quelle est sa signification dans ce cas-là ? Quelle est [la] signification de comparer un joueur noir à un esclave si, selon vous, le problème est que la dédicace soit sortie de son contexte ? (...) Moi, je pense que (...) c'est un problème. Mais ça, c'est mon avis. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui le partagent", lance l'élue écologiste.

Elle ajoute aussi : "Vous avez utilisé le terme de 'races différentes', est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que vous entendez par là ? (...) Est-ce qu'il vous est déjà arrivé d'utiliser le mot 'nègre' en parlant à des joueurs ?"

Claude Onesta, visiblement irrité, s'agace : "Je ne sais pas combien de temps ça va durer (...). Je trouve la situation assez inconfortable." Dans son analogie du joueur de handball soumis à ses dépens à la volonté de son entraîneur, comme l'esclave était soumis aux propriétaires de plantations, il ré-explique ses propos en prenant le cas de Didier Dinart, au cœur de l'affaire.

Didier Dinart, c'était un joueur qui avait une qualité moyenne et qui est devenu, par l'intelligence et la liberté qu'on lui a proposées, le meilleur défenseur du monde. (...) J'ai voulu dire à un athlète qui, pour moi, s'appelait Didier, – pas Didier le Noir – et [qui était] esclave parmi tous les autres, [que] la libération a permis de le faire atteindre des niveaux que peut-être il n'aurait pas atteints dans un système plus fermé.

Claude Onesta

A la commission d'enquête parlementaire

Dans la salle presque vide de l'Assemblée nationale où avait lieu l'audition de Claude Onesta, seule une députée socialiste, Claudia Rouaux (Ille-et-Vilaine), est venue au secours de l'ancien sélectionneur des Bleus. Selon elle, le monde du handball français, où de nombreux Martiniquais et Guadeloupéens se sont distingués, a toujours était imperméable au racisme. "On ne sait plus quoi dire tellement on a peur d'être accusé de racisme", s'est-elle plainte.

Après que l'affaire de la dédicace a été rendue publique en 2020, la ministre des Sports de l'époque Roxana Maracineanu avait déclaré vouloir convoquer les deux hommes. Or, selon Claude Onesta, aucune convocation formelle n'a par la suite été envoyée. Il n'a donc jamais évoqué le sujet avec elle.

Une heure avant l'ex-sélectionneur de l'équipe de France, Didier Dinart, aujourd'hui entraîneur de l'équipe de handball d'Ivry, a, lui aussi, été auditionné par la commission d'enquête parlementaire. Mais son entretien s'est déroulé à huis clos. Le Guadeloupéen a cependant très certainement évoqué le cas Onesta devant les députées. La commission doit rendre son rapport d'ici à la fin du mois de décembre.