DOCUMENTAIRE. "Waan Yaat, sur une terre de la République" éclaire un épisode sanglant des "évènements" de Nouvelle-Calédonie

Ce documentaire exceptionnel revient sur le massacre des 10 de Tiendanite, le 5 décembre 1984. Deux frères de Jean-Marie Tjibaou périssent dans cette embuscade, qui décime la moitié des hommes de la tribu du leader indépendantiste kanak. Ce film libère une parole difficile mais extrêmement forte dans un pays où une partie de la mémoire collective n'est pas encore écrite.

Le documentaire d'Emmanuel Desbouiges et Dorothée Tromparent met en lumière l'un des épisodes les plus douloureux des "évènements", qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie dans les années 80, une guerre civile qui ne disait pas son nom.

La tuerie de Tiendanite reste encore méconnue et pourtant c'est un marqueur de l'histoire contemporaine du Caillou.

Une stèle "Fils de Kanaky souviens toi" a été érigée entre les deux carcasses des véhicules incendiés au lieu dit Wan Yaat, devenu lieu de pèlerinage et de commémorations.

Un règlement de compte qui vire au carnage

Le drame se déroule fin 1984. Depuis un mois, la Calédonie vit sous tension après des semaines de troubles. Plusieurs maisons de broussards, descendants de colons européens, ont été brûlées. Des barrages érigés par les militants Kanak contraignent les déplacements. Les cultivateurs craignent de perdre leurs exploitations depuis que les Kanak revendiquent la terre spoliée.

Le 5 décembre 1984, une embuscade menée par des petits propriétaires voisins de la tribu de Tiendanite se transforme en bain de sang. Sur la route qui mène à la tribu, un tronc de cocotier arrête deux véhicules transportant dix-sept Kanak désarmés, qui reviennent d'une réunion à Hienghène. Un déluge de balles et de chevrotines s'abat sur eux. Les hommes fuient vers la rivière. Ils sont poursuivis, des blessés sont achevés. Des cadavres sont mutilés.

Appréhendés peu de temps après les faits, les sept assassins sont disculpés par la justice à deux reprises. Ils bénéficient d'un non-lieu, le verdict s'appuyant sur la notion -pourtant inconnue en droit- de "légitime défense avec préméditation". L'État ne réagit pas.

Le guet-apens de Waan Yaat et la réponse de la justice demeurent un traumatisme pour la tribu de Hienghène. Ce drame et l'indulgence accordée aux assassins lors des procès furent un élément déclencheur de l'engagement politique du peuple kanak.

Des témoignages inédits après quatre décennies de silence

"Waan Yaat, un territoire de la République française" interroge des témoins directs, victimes et auteurs. Les réalisateurs ont compris l'urgence de recueillir ces témoignages avant qu'il ne soit trop tard. Quarante ans après les faits, Jess Lapetite est le seul survivant des sept inculpés. Bernard Matéas, un des rescapés de la fusillade, grièvement blessé, est décédé peu de temps avant la sortie du documentaire.

Ce documentaire a demandé quatre années de recherches et de contacts. Il ouvre le travail de mémoire sur une tragédie dont on a peu parlé sur le territoire. Et soutient la nécessité de libérer la parole pour enclencher une reconnaissance, amorcer le chemin du pardon et de la réconciliation.

... ce documentaire remarquable qui, outre l’enquête appuyée sur des archives judiciaires méconnues, donne la parole à nouveau aux acteurs et témoins ; une parole essentielle et sans filtre qui, à 38 ans de distance, constitue un premier pas sur le long chemin de la réparation contre le silence, le tabou et le refoulement.

Isabelle Merle, historienne

"Dire l'histoire ou la taire ? L'affaire de Hienghène revisitée", blog personnel

"Waan Yaat, sur une terre de la République" primé au FIFO 2023

La 20ème édition du Festival international du film océanien a récompensé le documentaire. Le deuxième prix du jury lui est décerné. 

Regardez la réaction de la co-réalisatrice Dorothée Tromparent lors de la remise du prix :

Réalisation : Emmanuel Desbouiges et Dorothée Tromparent

Coproduction : Foulala productions et Nouvelle-Calédonie la 1ère

Durée : 52 minutes - © 2022

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