Aux Antilles, on attribue souvent aux femmes le rôle de "potomitan", celui de pilier de la famille. Symbole d'un certain pouvoir détenu par les mères, il est aussi synonyme de fardeau : elles sont généralement seules à gérer l'éducation des enfants, le foyer, les finances... Et cette tradition perdure encore aujourd'hui.
Dans sa dernière étude sur les familles monoparentales en France publiée mardi 14 janvier, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) relève qu'en 2023, près d'un enfant sur deux (47 %) vivait dans un foyer dirigé par un seul de ses parents dans les départements d'Outre-mer (sans compter Mayotte). Dans la plupart des cas, c'est la mère qui élève seule son ou ses enfant(s).
Ce taux extrêmement élevé est à mettre en comparaison avec celui de l'Hexagone : selon l'Insee, 22 % des mineurs vivaient alors dans une famille monoparentale en France métropolitaine en 2023. Plus de deux fois moins qu'en Outre-mer donc.
Dans le détail, c'est surtout aux Antilles que ce modèle monoparental de famille prévaut. En Martinique, 53,5 % des enfants vivaient avec un seul parent (49,7 % vivaient avec leur mère, 3,8 % avec leur père). En Guadeloupe, c'était 51,4 % d'entre eux (47,5 % avec leur mère). Suivent la Guyane et La Réunion, où le taux d'enfants dans une famille monoparentale était respectivement de 46,6 % et 43,6 % en 2023.
L'écart est immense avec les territoires de l'Hexagone. Provence-Alpes-Côte d'Azur est la région métropolitaine avec le taux le plus élevé d'enfants vivant uniquement avec un de leurs parents. Mais ce taux n'est que de 25 %. En Pays de la Loire, où le taux est le plus faible de France, le pourcentage est trois fois plus faible que celui de la Martinique.
"Monoparentalité rime avec précarité"
Où sont donc passés les pères en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion ? La sociologue Nadine Lefaucheur, spécialiste de la famille et de la pauvreté, racontait dans un ouvrage publié l'année dernière qu'"en Outre-mer, nombreux sont les pères qui fuient leurs responsabilités parentales".
Les situations monoparentales ne sont pas seulement beaucoup plus nombreuses Outre-mer que dans l’Hexagone, elles ont aussi un autre calendrier : nettement moins souvent suivies d’une recomposition familiale, elles sont surtout beaucoup moins souvent précédées d’une période de vie conjugale.
Nadine Lefaucheur dans "Idées reçues sur les familles monoparentales" (Marie-Clémence Le Pape et Clémence Helfter, 2024, Le Cavalier bleu)
C'est aussi le constat dressé par les sénateurs qui, en 2023, se sont penchés sur la thématique de la parentalité en Outre-mer. Ils se basaient alors sur des chiffres beaucoup plus frappants concernant la monoparentalité ultramarine : en 2018, 59 % des familles avec enfant étaient des familles monoparentales en Martinique, et 52 % en Guadeloupe (contre un quart dans l'Hexagone).
"En particulier aux Antilles et en Guyane, c'est une situation qui concerne beaucoup de très jeunes enfants, ce qui suggère qu'ils sont probablement nés en dehors d'un couple cohabitant", analyse Pierre Pora, responsable de la section "Dynamiques démographiques et familiales" à l'Insee interrogé par Outre-mer la 1ère.
D'après le rapport du Sénat, la monoparentalité ultramarine se caractérise en effet par l'absence du père dès la naissance et jusqu'à l'adolescence de l'enfant : selon l'enquête périnatale 2021 dans les DROM menée par Santé publique France, 39 % des enfants guadeloupéens et 43 % des enfants martiniquais ont grandi sans père depuis leur naissance. En France hexagonale, ce chiffre n'est que de 5 %.
Le problème est que cette situation familiale plutôt courante dans les territoires d'Outre-mer se couple d'une certaine précarité économique. Dans son étude publiée mardi, l'Insee souligne que les parents de familles monoparentales ou recomposées sont généralement moins diplômés que ceux des familles dites "traditionnelles". Ils sont par ailleurs plus touchés par le chômage. Ainsi, en 2023, 16,4 % des mères élevant leurs enfants seules étaient au chômage, et 17,7 % étaient inactives. Ces données sont à l'échelle nationale, aucun détail sur la situation ultramarine n'a été précisé par l'Institut.
"Souvent monoparentalité rime avec précarité", soulignait d'ailleurs le rapport du Sénat sur la parentalité en Outre-mer. "Les mères seules cumulent les difficultés d'accès à l'emploi, à la formation, au logement et aux structures d'accueil. Elles sont plus souvent sans emploi, ouvrières, en CDD ou en emploi aidé que les autres parents et leur revenu est inférieur à la moyenne", indiquaient les sénateurs. Ils précisaient par ailleurs que celles qui exercent une activité "sont confrontées à des difficultés de conciliation des temps de vie, qui complexifient l'exercice de leurs fonctions parentales".