Enfants de la Creuse : une famille réunionnaise recherche deux sœurs, Nathalie et Marie-Josée Carmaly (ou Carmali)

A La Réunion, la famille Carmaly recherche deux sœurs, Nathalie et Marie-Josée. Comme plusieurs centaines d'autres "Réunionnais de la Creuse", elles ont été transférées dans les années 70 dans l'Hexagone et auraient aujourd'hui une cinquantaine d'années. Explications. 
 
Vous vous appelez Marie-Josée, vous êtes née le 20 juin 1963. Vous vous appelez Nathalie. Vous étiez très jeunes lorsque vous avez quitté de force l'île de La Réunion. Vous ne savez rien de votre passé. Vous ne savez rien de votre famille, mais peut-être portez-vous encore le nom Carmaly (ou Carmali). Cet article peut vous aider.
 

Un appel sur les réseaux sociaux

De 1963 à 1982, environ 2 150 enfants réunionnais ont été envoyés dans l’Hexagone (retrouvez notre encadré plus bas). Appelés aujourd'hui "les Réunionnais de la Creuse", ils ont désormais plus de 50 ans et ne savent rien de leur passé. A 10.000 kilomètres de la France hexagonale, des familles réunionnaises tentent désespérément de les retrouver. C'est le cas de Gabriel et son père, Josian Carmaly.

"Au moment où je vous appelle, mon père ne sait rien de ce que je fais", souffle timidement Gabriel. Âgé de 19 ans, ce jeune réunionnais de Saint-Benoît est actuellement en stage en Normandie. "Je ne pouvais pas être ici en métropole et ne rien faire". Le 24 juin dernier, "sur un coup de tête", il prend contact avec la Fédération des Enfants Déracinés des DROM (Départements et Régions d'Outre-mer) et lance un appel sur Facebook, comme une bouteille à la mer.
 

Je recherche actuellement les deux sœurs de mon père, qui sont réunionnaises et qui ont été des enfants déportés dans la Creuse. Elles s'appellent Nathalie et Marie-Josée Carmali (ou Carmaly). Nathalie est née le 20 juin 1963 et Marie-Josée est née le 22 mars 1968.

 


"Un lourd tabou familial"

Depuis, Gabriel scrute jour et nuit les réseaux sociaux. Il y a trois ans, il a découvert le drame qui rongeait sa famille, "un lourd tabou familial", explique-t-il pudiquement. "C'était en avril 2016. Ma mère m'en a parlé. C'était tellement choquant, je m'en souviens très bien. Du haut de mes 16 ans, j'ai compris ce qu'il s'était passé. Déjà à l'époque j'ai essayé de retrouver mes tantes par internet. Puis, j'ai vite compris que ça serait difficile. J'ai ensuite trouvé le numéro de la Fédération des Enfants Déracinés des DROM. Pendant des années, je n'ai pas eu le courage d'appeler… jusqu'à la semaine dernière".


Pour ma grand-mère

Gabriel ne dira rien de sa quête à son père :
 

Il y a quelques semaines, je lui ai demandé les dates de naissance de ses sœurs. Il me les a donnés et ne m'a rien dit de plus. Il se doute sûrement, mais il ne m'en parle pas. C'est trop douloureux.

 


Des démarches impossibles

Le jeune homme veut désormais retrouver ses tantes, "pour mon père qui en souffre, pour toute ma famille et pour ma grand-mère qui est âgée de 77 ans". Contacté par La1ère.fr, Josian, le père de Gabriel n'est pas surpris, mais ému. "J'ai aussi fait des recherches de mon côté il y a deux ans, raconte-t-il. A 77 ans, ma mère parle rarement de ses filles et toujours en pleurant. Il y a trop de douleur. Je voulais les retrouver avant que ma mère ferme les yeux". Josian s'est rendu au Conseil départemental de La Réunion.
 

J'ai fait des démarches, on m'a dit : "on ne retrouve pas le dossier", l'Etat ne veut pas le donner. Personne ne m'a rappelé. J'étais abandonné, j'ai abandonné.


Peu d'informations

A 49 ans, Josian n'y croyait plus. Jusqu'à ce que Gabriel, son fils, prenne le relais. Désormais, il veut reprendre espoir et donner avec exactitude le moindre détail qui pourrait aider à retrouver ses sœurs, notamment grâce aux réseaux sociaux. "Je n'ai pas de papier, pas de livret de famille. J'ai juste l'acte de naissance de Marie-Josée, mais pas de Nathalie", ajoute-il. Un acte de naissance sur lequel, le nom de famille est mal orthographié, d'où cette précision de Carmaly ou Carmali.

D'après la famille Carmaly, Nathalie et Marie-Josée auraient quitté La Réunion vers 1970. Elles étaient alors âgées de 3 et 7 ans. "Mais on ne sait pas si elles sont vraiment arrivées dans la Creuse, ou un autre département", ajoute Gabriel.


Des promesses de vie meilleure

A l'époque, les services de la Ddass présentent le départ des enfants comme une chance : "ils feront des études et trouveront du travail". Les enfants sont mis dans un avion, direction l'Hexagone. Certains vivent alors dans des foyers, sont adoptés ou hébergés en famille d’accueil. D’autres travaillent à la ferme. Beaucoup sont maltraités. Contrairement à ce qui leur a été promis, la plupart sont coupés de leur famille. Ils ne peuvent pas faire d'études et ne retourneront jamais à la Réunion. Autre problème, beaucoup de ces enfants sont déclarés pupilles, alors qu'ils ont des parents à La Réunion. Regardez ce reportage tourné en 1965 au foyer de Guéret : 
Pendant des années, cette histoire a été largement méconnue. Mais en 2002, un Réunionnais de la Creuse décide de porter plainte. Jean-Jacques Martial violé par son père adoptif décide de réclamer un milliard d’euros à l’Etat au titre des dommages et intérêts. Il raconte son tragique destin dans un livre. L'affaire des "Réunionnais de la Creuse" éclate au grand jour. 
 

Reconstituer une famille

Pour la famille Carmaly, les informations sont maigres, mais elle espère qu'en médiatisant son histoire, ces deux sœurs aujourd'hui âgées de 51 et 56 ans, se reconnaîtront.

Secrétaire de la Fédération des Enfants Déracinés des DROM, Valérie Andanson les aide dans cette recherche qui n'est pas simple, "mais pas impossible". "Nous ne savons rien de leur voyage, des endroits où elles sont passées, elles ont peut-être été adoptées par des familles, mais en faisant connaître l'histoire, on multiplie les chances de les retrouver. Ça a déjà marché dans le passé", ajoute-elle avec espoir. En 2016 par exemple, Jean-Thierry avait ainsi pu retrouver sa famille à La Réunion. La1ère l'avait suivi avant et durant son retour sur l'île après 50 ans d'exil. Tout comme Anne, ex-enfant de la Creuse, 49 ans, elle a découvert La Réunion et son histoire en 2017.
 

Renouer avec ces tantes exilées, reconstituer sa famille et atténuer les douleurs, c'est aussi ce qu'espère Gabriel.

Si ça ne marche pas, j'aurais un goût amer, mais au moins j'aurais essayé.


- Gabriel


Si vous disposez d'informations, vous pouvez contacter la Fédération des Enfants Déracinés des DROM au 06 74 73 70 41.

Le dossier complet de La1ere.fr

►La1ère.fr a consacré un dossier complet aux Réunionnais de la Creuse à consulter en cliquant sur les articles suivants : 
Volet 1 : Chronologie d'une page sombre de l'histoire de France
Volet 2 : Des témoins racontent
Volet 3 : Quel contexte à La Réunion dans les années 60 ? 
 

Mise à jour : les dates de naissance

Dans la première version de cet article, nous indiquions des dates de naissance communiquées par la famille qui comportaient des erreurs, nous indique en ce 11 juillet celle-ci. En réalité la date de naissance de Marie-Josée est le 20 juin 1963. Ils ne connaissent pas celle de Nathalie. Seule information disponible la concernant: l'acte de naissance a été délivré le 22 mars 1968.
L'Histoire des Réunionnais de la Creuse
De 1963 à 1982, environ 2 150 enfants réunionnais ont été envoyés dans l’Hexagone. Sous l’impulsion de Michel Debré, ancien Premier ministre du Général de Gaulle, élu député de La Réunion à partir de 1963, cette politique a été amplifiée. Arrachés à leur île, les enfants partaient repeupler des zones désertées, notamment dans la Creuse.

Depuis 2002, et la plainte contre l’Etat de Jean-Jacques Martial, de nombreux ex-enfants réunionnais de la Creuse et des autres départements se sont fait entendre. Il existe désormais une liste de  2 150 enfants recensés par la commission d’experts mise en place par le gouvernement en février 2016.

L’histoire des Réunionnais de la Creuse reste encore très sensible. En janvier 2017, Philippe Vitale, sociologue et maître de conférences en sociologie, président de la commission confiait à La1ère : "On ne connaît que 300 enfants transférés sur les 2150 que nous avons recensés. Certains sont morts, d’autres se sont suicidés, certains n’ont plus envie de remuer le passé. Ceux qui viennent nous voir racontent des histoires douloureuses".