INTERVIEW. "J'ai des gens armés autour de moi, je ne sais pas où je vais" : le journaliste Olivier Dubois raconte ses 711 jours de captivité aux mains d'Al-Qaïda

Olivier Dubois sur le plateau d'Outremer l'info pour présenter son livre "Prisonnier du désert".
Dans son livre "Prisonnier du désert" (Michel Lafon), publié le 30 janvier, l'ex-otage martiniquais décrit ses conditions de vie pendant ses plus de deux années de captivité au sein du groupe islamiste AQMI.

Le 8 avril 2021, le journaliste Olivier Dubois, correspondant pour plusieurs médias français au Mali, se fait enlever par le groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique à Gao, dans le nord du Mali. Ce n'est que le 20 mars 2023 qu'il retrouve la liberté. Que s'est-il passé pendant ces 711 jours de captivité ? Le Martiniquais le raconte dans Prisonnier du désert. 711 jours aux mains d'Al-Qaïda (Michel Lafon), publié jeudi 30 janvier. Il a accordé une interview à Outre-mer la 1ère.

Outre-mer la 1ère : Dans votre livre, vous proposez au lecteur une immersion dans votre captivité. Vous y racontez les moindres détails, les bruits, les odeurs... Le récit commence d'ailleurs par "Je schlingue".

Olivier Dubois : Les détails font tout. Je voulais emmener le lecteur dans ce qu'est une captivité. Sa propre puanteur, la puanteur des autres, c'est quelque chose que l'on côtoie beaucoup dans la captivité. Cette scène qui ouvre le livre, c'est le moment où j'ai vraiment conscience de ma condition d'otage. C'est là où je réalise vraiment que les choses ne vont pas, que je ne contrôle rien. Que je ne me suis pas lavé depuis longtemps. J'ai des gens armés autour de moi, je ne sais pas où je vais... C'est l'inconnu total.

Votre captivité, c'est aussi la vie dans le désert, comme vous l'exprimez dans le titre du livre.

Vous êtes otage de ces gens-là, vous êtes otage du désert, vous êtes otage de cette situation... Je trouvais important de montrer que la captivité ce n'est pas juste des hommes armés. C'est surtout des conditions de vie. Vous parliez de bruits, d'odeurs... On est dans un désert, c'est immense, c'est une prison terrible.

Aujourd'hui, vous souvenez-vous de tout ce que vous avez vécu ?

Non, il y a des choses qui se sont effacées. Mes notes m'ont permis de réactiver les souvenirs enfouis, ce que je pensais avoir oublié. Vous y mêlez vos souvenirs, vos émotions, et puis c'est parti.

À quoi vous êtes-vous raccroché pendant ces 711 jours ? Vous écrivez qu'il faut "se plonger dans le passé" pour tenir.

Oui, ces valeurs profondes, ce qu'on aime, nos goûts, tout ça... Il faut qu'on s'immerge dans sa propre bulle, c'est très important. Moi ça m'a aidé. Parce qu'on vous en propose une autre [de bulle]. Il faut savoir qui vous êtes et vous retrancher en vous.

Pendant votre captivité, vous êtes resté dans votre rôle de journaliste. Vous avez cherché à en savoir un peu plus, parfois à poser des questions qui fâchent... Comment peut-on encore penser au travail alors qu'on peut mourir d'une minute à l'autre ?

Je sentais que si je ne m'occupais pas, j'allais finir prostré, déprimé... Que c'étaient eux qui allaient tout dicter. Et ce n’était pas possible. Pour ça, il faut s'occuper la tête. Et quoi de mieux que de continuer à enquêter ?

Le Martiniquais Olivier Dubois à sa descente d'avion près de Paris, le 21 mars 2023.

Le journalisme, c'est ce qui m'a donné envie de faire cette interview [Olivier Dubois s'est fait kidnapper alors qu'il devait interviewer le numéro un de la branche d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR]. Et puis je me suis retrouvé au cœur de cette katiba, au cœur de cette organisation. Je ne pouvais qu'être un journaliste.

Comment avez-vous fait ?

Vous observez, vous analysez, vous essayez de garder un esprit critique, vous essayer de valider en posant la question à différents moudjahidines que vous rencontrez pour essayer de trouver une vérité, vous vérifiez... Vous conciliez ça par écrit, et puis vous essayez de trouver des sujets, des angles.

Vous qui aviez beaucoup travaillé sur les djihadistes de cette région du monde, vous avez découvert une nouvelle facette de ces personnes, "les hommes derrière les armes" ?

Oui, j'ai pu vraiment constater, toucher du doigt... C'était concret, palpable. Il y en a qui sont indifférents, d'autres beaucoup plus hostiles, et puis d'autres avec qui j'ai pu échanger.

Ils ont un code de vie différent, ils suivent un livre sacré qui, pour eux, est la route que tout le monde doit suivre. C'est là où nos routes divergent. Et ils sont prêts à tuer pour ça. C'est leur part d'inhumanité.

Vous racontez aussi les repas partagés avec eux, les "cadeaux" qu'ils vous font. Comment est-ce qu'on explique ces moments d'humanité ?

Je ne sais pas si ce sont des "cadeaux". Je demande un stylo, certains disent oui. Les repas partagés, j'en décris quelques-uns dans le livre, c'est quand même un peu spécial, c'est comme s'ils mangeaient avec un chien. Donc on n'est pas dans la convivialité.

Mais, oui, c'est un peu comme notre vie ici, vous tombez sur des gens qui sont plus accessibles que d'autres, qui sont prêts à vous parler. Et puis ils sont quand même intéressés d'avoir un spécimen, d'avoir un Occidental, journaliste français en plus, avec eux. Ils connaissent notre pays que par le truchement de vidéos, de "on-dit". Ils nous considèrent comme des kouffar (des infidèles). Donc pour le coup c'est quand même intéressant pour eux d'aller au contact, de voir exactement ce que c'est.

Écrire un livre sur cette expérience, est-ce thérapeutique ?

C'est thérapeutique et c'était nécessaire parce que je n’avais pas encore raconté cette histoire même à mes proches. Ça me permet de livrer dans le détail ce que j'ai vécu durant ces 711 jours.