Le déclic, Farouk l’a eu il y a quelques années déjà, en découvrant Matrix, sur une cassette vidéo -"c’étaient des VHS à l’époque”- : “j’ai fini le film et je me suis mis à me poser des questions existentielles, à me demander si la réalité était telle que je l’imaginais”, se souvient en souriant le Réunionnais. “J’ai rematé le film et je me suis dit : il faut que je fasse ça".
Bon, il ne le fera pas, en tout cas, pas tout de suite, “parce que je me dis plein de choses dans ma tête” (rires).
Des études de kiné
En fait, la “raison”-ou la vie tout simplement- reprend le dessus.“On se dit qu’on va tracer une ligne plus normale, ou du moins plus classique”, confie-t-il. Le natif de Saint-Pierre, à La Réunion, se lance alors dans des études de kiné, une voie sans doute plus raisonnable.
Mais la passion revient. “Quand elle ne revient pas, c’est que ce n’est pas la bonne.”
Et en effet, une fois son diplôme de kiné en poche et après une année à mettre des sous de côté, il fait une école de cinéma, à Paris, "pour ne rien regretter". Trois années intenses :
Pendant mes études de cinéma, je travaillais, c’est ce qui a payé mes études, je n'ai jamais arrêté de bosser ! Je bossais le week-end, pendant les vacances... Soit j’étais en cours, soit je préparais mes films, soit j’étais sur les films d’autres personnes, sinon je faisais de l’interim de kiné.
Devant et derrière la caméra
Surtout, cela va conforter le Réunionnais dans l’idée qu’il est “fait pour ça”, “mais plus du côté caméra, réalisateur”, même s’il a aussi des cours de “direction d’acteur” : “on faisait tous les acteurs dans les courts-métrages de nos potes et à chaque fois j’y allais avec plaisir”.
Une parenthèse enchantée car l’école terminée, Farouk reprend la route du cabinet. Il est d’ailleurs actuellement kiné à Saint-Joseph à La Réunion. Il faut dire que son île natale ne l’a jamais vraiment quitté : “autour du ciné et dans ma vie, tout me ramenait vers La Réunion. Je commençais même à écrire des choses qui m’y ramenaient.” Et Farouk de conclure : “en tant que réalisateur en tout cas, je n’aurais pas trouvé mon bonheur à Paris.”
Mais la parenthèse cinéma ne s’est pas refermée pour autant.
Repéré lors d’un casting sauvage
En 2018, il se fait repérer par Emmanuel Parraud, qui a déjà réalisé le film Sac la mort à La Réunion. Ce dernier organise un casting sauvage sur l’île via les réseaux sociaux pour trouver Alix, le personnage principal de son prochain long-métrage, Maudit !.
Farouk raconte : "c’est arrivé par hasard, mais certains diront qu’il n’y a pas de hasard… J’ai répondu à l’appel, enfin, on m’a fait répondre à l’appel.”
Ils sont 250 inscrits mais c’est Farouk qui convainc le réalisateur : “c’est exactement ce que j’avais imaginé depuis le début", explique Emmanuel Parraud, “quelqu’un de très doux, touchant, dont on sent qu’il a plein de désirs qu’il ne peut pas réaliser et quelqu’un qui à un moment va s’emporter, capable de péter les plombs et devenir possiblement un meurtrier”.
De son côté, Farouk est ravi d'intégrer l'équipe du film. D’autant qu’il avait apprécié l’univers du précédent long-métrage du réalisateur. “J’avais déjà vu 'Sac la mort' qui m’avait enchanté : je me suis dit enfin ! Parce qu’à La Réunion, il n’y a pas beaucoup de films et souvent ils montrent l’île comme décor, comme carte postale et je trouve ça tellement plus intéressant quand on découvre l'île dans son intérieur. Du coup je voulais faire partie de l’aventure s’il y avait un deuxième film”. Et cette aventure, ce sera, texto, “un gros kiff”.
La Réunion lé là
La suite, on la connaît : sa prestation de trentenaire déboussolé et sombrant progressivement dans la folie bluffe l’académie des César. Le voilà donc présélectionné en fin d’année dernière parmi les 32 révélations pour les César 2022.
Pour Farouk, c’est la surprise : “Quand on me l’a annoncé, je ne comprenais pas ce qu’on était en train de me dire ! Ça m’est tombé dessus, je ne m’y attendais pas, c’est chouette ! Je suis encore surpris d’ailleurs”. Et Farouk de plaisanter : "Maudit !, c’est un ovni alors félicitations aux César de s’être intéressés à mon personnage et à ce film !"
Ils sont deux Ultramarins dans cette liste : lui et le Martiniquais Théo Christine, pour son rôle dans Suprêmes, biopic sur NTM.
Début janvier, lors d’une soirée spéciale, Farouk a rencontré sa marraine, la comédienne Florence Thomassin, mais il a aussi sympathisé avec JoeyStarr ( le parrain de Théo Christine, ndlr) et tous les deux en ont discuté, cette année la sélection des Révélations est plutôt “éclectique” : "l’Outre-mer est représenté, reconnaît le Réunionnais, mais il y a aussi pas mal d’autres horizons qui sont représentés.”
Farouk fera-t-il partie de la liste définitive ? Le Réunionnais sera fixé le 26 janvier. En attendant, il savoure, tout en gardant les pieds sur terre.
Ça m’a donné un coup de boost, peut-être de la confiance, un truc qui me dit “ vas-y mon gars, y’en a qui croient en toi, utilise ça et fait péter !
"Après, ajoute le comédien, j’aime nuancer les choses, il ne suffit pas en tant qu’acteur de faire péter et d’y aller, il faut aussi que les propositions arrivent… Venez, je suis là !"
Farouk vit cette présélection comme une première reconnaissance, mais “la légitimité” viendra selon lui avec les films : "il faut faire des films et voir ce que ça donne pour se dire légitime ; j’espère que je l’aurai [cette légitimité], ça voudra dire que j’ai fait des films”.
Ancré sur son île
Point important : à 36 ans, Farouk n’imagine pas sa vie ailleurs qu’à La Réunion. Et il se doute bien que sur place, l’éventail des possibilités est limité : “à La Réunion, pour en faire son métier, faut tourner dans une série comme 'OPJ '( OPJ Pacifique sud ), avant ça, c’était 'Cut', bref faut être là-dedans pour en faire son métier, sinon il n’y a pas grand chose toute l’année”.
Actuellement je vis à La Réunion et dans ma position, ce n’est pas possible de vivre du cinéma là-bas.
Pour autant, il n’en a pas moins plein de projets en tête, comme celui de réaliser bientôt un court-métrage sur son île . Le film s’intitulerait “Le rideau” : il s'agirait d’une allégorie inspirée de sa vie.
►En bonus, le reportage d'Outre-mer la 1ère qui a rencontré Farouk Saïdi à Paris :