Frédéric Régent : "Avec cette commémoration, la plupart des Français vont apprendre que Napoléon a rétabli l’esclavage" [#MaParole]

Son premier mémoire a porté sur l’expédition de Napoléon en Egypte. Depuis Frédéric Régent s’intéresse de près à celui qui a rétabli l’esclavage en 1802 et dont on commémore cette année le bicentenaire de la mort. L’occasion d’aller à la rencontre de cet historien spécialiste de l’esclavage.

Maitre de Conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur de La France et ses esclaves (Grasset), président du Comité national pour la mémoire de l'esclavage pendant trois ans, Frédéric Régent a mené tambour battant une carrière de professeur et d’historien passionné par l’histoire de l’esclavage. Il retrace son parcours dans #MaParole. 

 

#1 La Guadeloupe et la Corrèze

Durant son enfance passée entre l’Allemagne, l’Hexagone et la Guadeloupe, Frédéric Régent n’avait pas vraiment imaginé qu'un jour il deviendrait professeur d’histoire. "Quand vous êtes élève, dit-il, la seule chose dont vous n’avez pas envie, c’est d’être professeur". Certes, il lisait beaucoup. Il se rappelle avoir dévoré en 6e, Guerre et paix de Tolstoï, dans lequel l’auteur russe fait des descriptions particulièrement captivantes des batailles napoléoniennes. Frédéric Régent aimait aussi regarder des films historiques. Spartacus l’a particulièrement marqué. Mais comme tout bon élève en France, il s’était orienté vers des études scientifiques. Et puis au baccalauréat, contrairement à beaucoup de ses camarades qui ont choisi de devenir ingénieur ou médecin, il a commencé des études d’histoire, par goût.

Son père militaire était originaire de Vieux-Habitants en Guadeloupe. Frédéric Régent y a fait deux séjours de plusieurs mois dans les années 70. Il se souvient de son année de CE1. L’institutrice n’hésitait pas alors à donner des coups de règle sur les mains. Il se rappelle aussi de ses oncles, tonton Edwige et tonton Prosper. "Mon grand-père a eu des enfants avec quatre femmes différentes et les avait tous reconnus", précise-t-il. C’est ainsi qu’à Vieux-Habitants, il y avait beaucoup de Régent.

Côté maternel, toute la famille se trouvait en Corrèze. Son grand-père prisonnier de guerre était agriculteur et communiste. "Mais après l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 et le discours de Georges Marchais sur le bilan globalement positif du PC", le grand-père avait rendu sa carte, raconte le professeur d’université encore admiratif.

Frédéric Régent se souvient encore qu’à l’école à Vieux-Habitants, on le surnommait "Blanchette" et qu’en colonie de vacances en Corrèze, ses copains l’appelaient "Café grillé". Il ne l'a pas pris pour du racisme et s’en explique dans #MaParole.

 

#2 Un historien de l’esclavage

Avec l’âge, le professeur d’université a mené des recherches généalogiques en Corrèze et en Guadeloupe. Dans sa famille paternelle en Guadeloupe, on trouve des Régent et des Gérant. Il y avait à la fois des esclaves, des maîtres d’esclaves et des libres de couleur, soit tout le panorama de la société guadeloupéenne que l’historien va étudier avec minutie au fur et à mesure de ses recherches.

A la Sorbonne, Frédéric Régent a passé une licence d’histoire-géographie puis une maîtrise. Et son premier travail personnel d’envergure à l’université a porté sur l’expédition de Napoléon Bonaparte en Egypte à travers la presse parisienne. Pendant un an, il a dépouillé la presse de l’époque et a réalisé à quel point Napoléon était "un communiquant hors pair".  En 1993, le CAPES en poche, Frédéric Régent est parti exercer son métier de professeur à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan où il a enseigné l’histoire militaire. Les élèves étaient du genre disciplinés, "ils se levaient" quand le professeur entrait dans la classe. Certains, "une minorité",  se souvient l'enseignant, avaient des sympathies pour le maréchal Pétain.

En 1994, Frédéric Régent a passé l’agrégation et a décidé de partir enseigner en Guadeloupe. Pendant huit ans, il a été professeur dans des collèges à Capesterre-Belle-Eau, Trois-Rivières et Sainte-Anne. A l’époque dans les années 90, l’histoire de l’esclavage n’était pas au programme, mais Frédéric Régent en parlait à ses élèves. Il aimait les emmener en sortie sur des lieux de mémoire tels que le Fort Delgrès ou Matouba où Delgrès et ses compagnons ont préféré se donner la mort plutôt que se rendre aux troupes napoléoniennes menées par Richepanse.

Parallèlement à l’enseignement au collège, Frédéric Régent a commencé ses recherches sur l’histoire de l’esclavage. Son mémoire de DEA (diplôme d’études approfondies, l’équivalent d’un Master 2) présenté à la Sorbonne en 1997 s’intitulait : Entre esclavage et liberté, la population de couleur en Guadeloupe pendant la Révolution française. Il a poursuivi ses recherches sur le même thème en doctorat. Diplôme qu’il a validé avec la mention Très bien. A partir de 2003, Frédéric Régent est passé du collège à l’université. Professeur de faculté en Guadeloupe jusqu’en 2009, il a obtenu un poste à la Sorbonne après avoir postulé en vain et à deux reprises en Guadeloupe et en Martinique.

 

#3 Napoléon et l’esclavage

De retour en région parisienne après avoir enseigné en Guadeloupe, Frédéric Régent a intégré le Comité National pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage créé en 2004 sous l’impulsion de la loi Taubira. Il en a été nommé président de 2016 à 2019. La question de la date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage a posé problème au sein de ce comité. Frédéric Régent était favorable au 27 avril, la date du décret d’abolition de Schœlcher. Le 10 mai a été choisi, mais l’association CM98 a milité activement pour la reconnaissance du 23 mai qui a été par la suite reconnu également. Certains encore plaidaient pour le 4 février, date de la première abolition de l’esclavage pendant la révolution française. Malgré ce débat qui a pollué la vie de l’organisation, le comité a réussi, selon Frédéric Régent, à institutionnaliser une commémoration le 10 mai, à créer un prix de thèse ou encore un label du comité. En 2019, Frédéric Régent a passé la main à la Fondation pour la mémoire de l’esclavage présidée par Jean-Marc Ayrault.

Il y a 200 ans, le 5 mai 1821, Napoléon Bonaparte décédait à Sainte-Hélène. Selon Frédéric Régent qui s’est beaucoup intéressé à cette figure de l’histoire française controversée du fait de sa décision de rétablir l’esclavage dans les colonies françaises en 1802, il est important de commémorer le bicentenaire de sa mort. "Commémorer signifie se souvenir ensemble, mais pas honorer", précise-t-il. Or "grâce à cette commémoration, souligne-t-il encore, la plupart des Français vont apprendre que Napoléon a rétabli l’esclavage".

En effet, quand Napoléon Bonaparte est arrivé au pouvoir en 1799, l’esclavage était aboli à Saint-Domingue (ex-Haïti), en Guadeloupe et en Guyane. En revanche en Martinique et à La Réunion, il avait été maintenu. Frédéric Régent explique dans #MaParole les raisons qui ont poussé Napoléon Bonaparte à prendre cette décision. Il y avait un lobby esclavagiste très actif dans les arcanes du pouvoir. L’île Bourbon (La Réunion) avait même pris le nom de Bonaparte en remerciement du maintien de l’esclavage, explique Frédéric Régent.

Frédéric Régent

Prise de son : Bruno Dessommes.

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♦♦ Frédéric Régent en 5 dates ♦♦♦

 

►10 octobre 1969

Naissance à Landau (Allemagne)

►Septembre 1995- juin 2003

Professeur d’histoire-géographie en Guadeloupe.

►2007

Sortie de La France et ses esclaves, de la colonisation aux abolitions, 1620-1848 (Grasset)

►2009

Maître de conférences en histoire à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

►13 novembre 2019

Conseiller scientifique du Mémorial en hommage aux victimes de l'esclavage des Tuileries