Gilets jaunes : pourquoi -hormis à La Réunion- la mobilisation reste faible dans les Outre-mer?

Rassemblement des gilets jaunes à La Réunion, le 23 novembre, devant la préfecture à Saint-Denis
La mobilisation des gilets jaunes se poursuit dans l'hexagone. Le mouvement a également un fort retentissement à La Réunion, paralysée pendant deux semaines.  Pourtant dans les autres Outre-mer, la mobilisation reste faible. Pourquoi ? La1ere.fr a posé la question.
Des ronds-points occupés par des manifestants. Des stations-services prises d’assaut. Un port bloqué. Des écoles fermées. Ces images de l’île de La Réunion rappellent des grognes sociales vécues en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique et à Mayotte. Des grognes sociales qui ont marqué la dernière décennie.
Dimanche 2 novembre, les Gilets Jaunes suivent la visioconférence avec la ministre des Outre-mer devant la préfecture.

Pourtant le mouvement symbolisé par les gilets jaunes n’a pas réussi à mobiliser les populations des départements d'outre-mer avec la même intensité qu'à La Réunion. 
 

"On est assis sur un volcan"

Sur l'île voisine de Mayotte, peu voire pas de gilets jaunes visibles dans les rues. Et pour cause. "Les gens ne sont pas dans la rue car il y a de la fatigue, de la lassitude par rapport à plusieurs mois de mobilisation sans réponse", explique Mansour Kamardine. Le député Les Républicains de Mayotte fait référence à la mobilisation de six semaines contre l'insécurité qui a secoué l'île au début de l'année. Le parlementaire fustige un " gouvernement qui fait la sourde oreille". Il l'a alerté à plusieurs reprises.  "J'ai rencontré le Préfet la semaine dernière", explique-t-il"J'ai rappelé que ça ne va pas, qu'il faut changer de fusil d'épaule.

On est assis sur un volcan. Il faut prendre des mesures maintenant. Il est urgent de ne pas attendre la nouvelle étincelle.

- Mansour Kamardine, député LR de Mayotte

 

"C'est le calme avant la tempête"

Profiter de cette crise des gilets jaunes pour prendre des mesures adaptées aux Outre-mer et plus particulièrement à la Guyane. Une position partagée par Mickaël Mancée. "C'est le calme avant la tempête. On sait qu'on est assis sur une poudrière", prévient le jeune activiste guyanais, ex-porte-parole des 500 Frères contre la délinquance.


Ce collectif citoyen est à l'origine de deux mois de fronde sociale en 2017. Le 28 mars, deux marches contre l'insécurité, d'une ampleur inédite, se sont déroulées à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni. Plus d'un an plus tard, son constat reste amer.

Les DOM sont moins mobilisés car nos voix comptent moins

- Mickael Mancée, figure du mouvement social de 2017 en Guyane


L'objectif de notre mobilisation, c'était de se faire entendre du gouvernement. Or rien n'a changé. On a l'impression de ne pas être considéré comme les citoyens de l'hexagone". Mickael Mancée déplore les réponses du gouvernement, inadaptées au contexte local. "Certains gilets jaunes réclament la hausse du SMIC. Imaginez comment une personne vit avec un SMIC avec des prix plus élevés ici en Guyane", s'interroge-t-il. 
 

2009 : un "traumatisme" pour les Martiniquais

Des radars vandalisés. Un centre commercial envahi. Ces derniers jours, les gilets jaunes montrent des signes de mobilisation en Martinique. Une liste de revendications circule sur l'île. Mais là aussi, on est loin de la grogne exprimée à La Réunion.
les gilets jaunes dans la rue piétonne de Fort-de-France
Selon André Lucrèce, sociologue martiniquais, le souvenir de la grève de février 2009 reste vivace. "Ce mouvement a considérablement traumatisé les Martiniquais. Ils ne sont pas prêts à se mobiliser par rapport aux miettes rapportées par la crise en Martinique et en Guadeloupe. La leçon tirée est que ça ne vaut pas le coup", explique-t-il.
 

Un fort sentiment identitaire

Selon lui, la préoccupation martiniquaise est beaucoup plus identitaire qu'à La Réunion. 
 

Aux Antilles, nous sommes dans une zone caribéenne. Nous n'avons pas le même rapport à la France.
A La Réunion, l'état d'esprit, l'idéologie populaire est plus assimilationniste alors que nous, nous considérons d'abord caribéens. Martiniquais d'abord, Français ensuite.
"
André Lucrèce, sociologue martiniquais


La collectivité territoriale de Martinique (CTM) a même lancé une consultation pour créer un drapeau et un hymne. Des symboles destinés à identifier la Martinique lors d'événements sportifs et culturels. 

La Réunion est plus intégrée aux problématiques françaises que la Martinique et la Guadeloupe. Un sentiment martiniquais et guadeloupéen y est plus fort”, confirme Philippe Pierre-Charles. Selon ce membre de la commission exécutive du syndicat, la CDMT, le sentiment identitaire explique le décalage avec l'hexagone. Le rapport aux syndicats en Martinique aussi.
 

Une défiance moins forte envers les syndicats

"La défiance à l'égard des syndicats est moins forte ici. Les gens savent qu'ils peuvent mobiliser. S'il faut bloquer, c'est possible", explique l'ancien porte-parole du K5F, le collectif du 5 février à l'initiative de la grève générale en Martinique. "Malheureusement, les réflexes de concurrence et d'actions solitaires sont trop forts", poursuit-il. "Les gens se battent mais il n'y a pas de mouvements d'ensemble", regrette Philippe Pierre-Charles en faisant référence aux mobilisations locales dans les hôpitaux et pour le maintien de contrats aidés. Manquent selon lui une "coordination, une volonté unitaire".
 

L’absence de leader ?

Pour qu'un mouvement naisse, il faut une capacité à s’organiser et qu’un leader se démarque” observe Olivier Sudrie. L’économiste chez DME, un cabinet d’études et de conseils économiques, fait référence à Elie Domota. Le secrétaire général de la centrale syndicale UGTG, était le visage du LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon). Le collectif contre l’exploitation était à l’initiative de la grève générale de 44 jours contre la vie chère. Près de 10 ans plus tard, aucun leader se distingue pour l'instant dans les outre-mer.