Mardi 10 décembre, pendant toute l'après-midi, les différents représentants des forces politiques du pays ont échangé autour du président de la République à l'Élysée pour trouver un chemin vers la formation d'un gouvernement d'intérêt général. Toutes les forces politiques, sauf deux : la France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN), représentants des deux extrêmes selon le pouvoir. Les discussions se sont faites autour du Nouveau Front populaire disloqué (avec les communistes, les écologistes et les socialistes), du bloc central (Ensemble pour la République, MoDem et Horizons), du petit groupe hétéroclite LIOT, et des Républicains.
Depuis les dernières élections législatives de juillet 2024, qui ont laissé une Assemblée nationale complètement éclatée, de l'eau a coulé sous les ponts entre ces formations politiques. L'expérience du gouvernement Michel Barnier (qui n'a duré que trois mois) et l'impasse dans laquelle se trouve le pays a fait évoluer les positions. Certains, à gauche, au centre et à droite, sont désormais ouverts à faire des compromis pour permettre de former une équipe gouvernementale stable, à même de diriger le pays.
L'exclusion de LFI
Mais pas à n'importe quel prix. Les socialistes répètent mordicus que leur soutien dépend de "la nomination d'un Premier ministre de gauche pour des politiques plus sociales, pour un État qui protège les plus précaires, leur dignité et leur pouvoir d'achat", comme le martèle la députée de Martinique et porte-parole du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée nationale, Béatrice Bellay.
"Moi, ce que j'attends, ce ne sont pas forcément des personnes, mais ce sont surtout des profils, avec des personnes qui puissent faire des compromis, et qui puissent regarder à leur gauche", défend le député Jiovanny William (Martinique), qui siège dans le même groupe que Béatrice Bellay.
Cette main tendue des socialistes vers les centristes et la droite crispe certains de leurs alliés du Nouveau Front populaire (NFP). Contrairement au groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), aux écologistes et au PS, la France insoumise (LFI) n'était pas représentée lors des discussions de mardi après-midi. Les représentants du mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon n'avaient pas répondu à l'invitation d'Emmanuel Macron lors d'une première invitation, lundi. Le locataire de l'Élysée ne les a donc pas réinvités.
Ce qui n'est pas grave en soi pour le député LFI de La Réunion, Jean-Hugues Ratenon, qui ne croit pas que le chef de l'État puisse soudainement changer de politique, notamment vis-à-vis des territoires ultramarins. "La Macronie a toujours refusé d'apporter des solutions de manière spécifique aux Outre-mer, juge-t-il. Les situations n'ont pas changé, au contraire, elles s'aggravent." L'issue des discussions sera forcément décevante, estime-t-il.
En revanche, le Réunionnais insoumis fustige la dislocation de l'alliance des gauches. "Ce que je trouve dommage, c'est que certains membres du NFP ont démarré des discussions avec le président Emmanuel Macron, alors même que nous avons censuré son gouvernement et sa politique." Sans entériner la rupture, il ne s'interdit pas de censurer le prochain gouvernement, même s'il était mené par une personnalité du PS.
Si c'est pour mettre en place un gouvernement qui n'applique pas le programme du NFP, qui n'apporte pas de solutions pour notre population... Ce n'est pas l'étiquette qui compte, c'est le contenu.
Jean-Hugues Ratenon, député LFI de La Réunion
Autre parti non convié à la réunion élyséenne par le président, mardi, le Rassemblement national (RN) a lui fustigé "le mépris" d'Emmanuel Macron. "Nous sommes dans l'opposition, a souligné Marine Le Pen à l'Assemblée nationale. J'ai envie de vous dire, après cet après-midi, nous sommes la seule opposition."
"Esprit constructif"
Dans le camp macroniste, on se réjouit au contraire de voir les différentes formations politiques s'assoir autour de la même table pour tenter de trouver une solution à la crise politique. "L'État doit rapidement voter le projet de loi de finances pour 2025 pour qu'on vienne au soutien de la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie", rappelle le député calédonien Nicolas Metzdorf, qui siège avec les élus d'Ensemble pour la République, parti du président. "Il faut aller dans ce gouvernement avec l'esprit constructif", plaide-t-il.
Pour les différentes personnalités politiques réunies par Emmanuel Macron, trouver un accord de non-censure est primordial pour faire avancer les dossiers brulants du pays, dont celui sur la Nouvelle-Calédonie, mais aussi la question de la vie chère en Martinique, dont le protocole a été suspendu avec la chute du gouvernement précédent.
Pourtant, l'issue de ces discussions est incertaine. "Je ne sais pas si aujourd'hui la France a changé de culture politique. Je ne sais pas si elle est passée de la culture du fait majoritaire à la culture du compromis et de la cohabitation", interroge Nicolas Metzdorf, au même titre qu'Olivier Serva (LIOT, Guadeloupe), qui appelle à "révolutionner la façon de faire de la politique en France et à l'Assemblée nationale".
Davy Rimane, député Gauche démocrate et républicaine et également président de la délégation aux Outre-mer à l'Assemblée nationale, ne se fait pas d'illusions. Même si son groupe a participé aux négociations, lui ne croit pas en la capacité des acteurs politiques français à trouver des compromis. "Vous pensez vraiment qu'avec différentes forces antagonistes au sein d'un gouvernement, ça marcherait ?"
"La manière dont l'État fonctionne avec nos territoires dits d'Outre-mer, ça ne peut plus fonctionner ! On arrive au bout d'un système", estime l'élu guyanais, qui voudrait que la question de l'évolution statutaire des territoires ultramarins avance enfin pour laisser plus d'autonomie aux collectivités qui le souhaitent.
Nous sommes dans une situation qui est certes compliquée, mais qui est dû uniquement au fait du président de la République.
Davy Rimane, député GDR de la Guyane
À l'issue de la rencontre transpartisane de mardi, Emmanuel Macron a laissé entendre qu'il souhaiterait nommer le prochain chef du gouvernement d'ici jeudi et qu'il ne comptait pas de nouveau dissoudre l'Assemblée nationale avant 2027. "Je reste perplexe", confie Davy Rimane. "Pour nous, l'important, c'est qu'il y ait un gouvernement", redit Nicolas Metzdorf. Quelle que soit sa couleur ou son orientation, "il ne faudra rien lâcher parce que nos populations attendent beaucoup de nous", soutient le Martiniquais Jiovanny William. Mais il confie quand même : "Je préférerais que ce soit un Premier ministre de gauche."