Tandis que la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet milite pour débloquer une aide financière importante et rapide pour la Nouvelle-Calédonie, l'Hémicycle pourrait indirectement geler les mesures de soutien avancées par l'État en novembre dernier.
François-Noël Buffet, le ministre délégué aux Outre-mer, a en effet annoncé début novembre, après sa visite sur le Caillou, que trois amendements seraient ajoutés au projet de loi de finances (PLF) 2025 :
- "La création d'une enveloppe de 80 millions d'euros pour financer effectivement la reconstruction des bâtiments publics.
- Le rehaussement de plus de 50 % du montant de la garantie de l'État au prêt susceptible d'être consenti par l'AFD (agence française de développement, NDLR) au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, passant ainsi de 500 millions d'euros à 770 millions d'euros.
- Le report du recensement prévu en 2024, à la fin de l'année 2025 qui permettra de stabiliser pour l'année à venir les dotations des communes."
Le Premier ministre avait par ailleurs proposé de rehausser encore le point 2, à savoir le montant de garantie donné par l’État pour les prêts, la faisant passer à un milliard d'euros, toujours dans le cadre du projet de budget pour 2025.
Motions de censure du NFP et du RN
Ce texte, actuellement débattu au Sénat après avoir été rejeté par les députés, est censé être présenté le 18 décembre par le gouvernement à l'Assemblée nationale... Si gouvernement il y a. Car celui-ci risque d'être renversé dès cette semaine. Michel Barnier et ses ministres doivent en effet faire adopter un autre texte, le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS), ce lundi 2 décembre.
Or, ils ne disposent du soutien que de 36 % des députés. Comme attendu, le Premier ministre a eu recours dès ce lundi après-midi à l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer le PLFSS sans vote, au risque d'être censuré.
Face à cette situation, deux groupes parlementaires ont prévu de déposer une motion de censure : le Nouveau Front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN). Si les deux oppositions s'associent et qu'une motion de censure est validée – une hypothèse probable, le parti d'extrême-droite ayant annoncé ce lundi qu'elle voterait les motions de censure –, le gouvernement sera renversé. Emmanuel Macron devra alors nommer un nouveau Premier ministre. C'est là que le projet de loi de finances 2025 est potentiellement remis en cause et avec, l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Budget voté ou validé par ordonnances
Différents scenarii sont alors sur la table comme l'explique Franceinfo. Le premier : le budget 2025 est voté d'ici fin 2024. Soit le président de la République réussit à nommer rapidement un nouveau locataire à Matignon, un nouveau gouvernement est formé et la nouvelle équipe pourrait reprendre le projet de loi de finances car "le texte ne meurt pas, si le gouvernement tombe", comme l'explique le constitutionnaliste Benjamin Morel à Franceinfo. Elle aurait alors jusqu'au 31 décembre 2024 pour le faire voter puisque c'est à cette date que le président de la République doit le promulguer au plus tard.
Soit le président de la République ne réussit pas à nommer rapidement un Premier ministre, il n'y a donc pas de nouveau gouvernement avant 2025. Dans ce cas-là, c'est le gouvernement démissionnaire qui gère les affaires courantes. Celui-ci peut aussi reprendre le texte ou en déposer un nouveau, mais la possibilité qu'un gouvernement censuré réussisse à faire adopter le budget 2025 apparait assez improbable.
Deuxième scénario : le gouvernement, qu'il soit fraîchement nommé ou démissionnaire, peut à partir du 21 décembre agir par ordonnances sur le budget. "Sur le plan juridique, le scénario des ordonnances, ça tient, mais sur le plan politique, c'est éruptif", nuance Benjamin Morel. Dans ces deux premières hypothèses, les amendements concernant la Nouvelle-Calédonie peuvent donc en théorie être votés avant la fin de l'année.
Séparation des dépenses et des recettes
Dernier scénario : séparer le projet de loi de finances en deux, avec les dépenses d'un côté et les recettes de l'autre. C'est ce que détaille l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances. "Le gouvernement peut présenter au Parlement ce qu'on appelle une loi spéciale pour prélever les impôts à partir du 1ᵉʳ janvier, il peut y avoir reconduction des dépenses par décret pour pouvoir payer les fonctionnaires, les retraités, etc.", a assuré Yaël Braun-Pivet sur Sud Radio.
"Cela permettrait de lever l'impôt au 1ᵉʳ janvier, mais ce serait un scénario très dégradé qui n'empêcherait pas de devoir voter une loi de finances en 2025, même si cela ne conduirait pas à un 'shutdown' à l'américaine", explicite Thibaud Mulier, enseignant-chercheur à l'université Paris-Nanterre.
Pas de risque de shutdown donc, c'est-à-dire de paralysie totale comme aux États-Unis où les salaires, pensions et autres ne sont pas versés tant que le budget n'est pas validé. Mais dans ce dernier scénario, cela entraînerait un retard du vote du budget 2025, et donc des amendements concernant la Nouvelle-Calédonie, alors même qu’il y a urgence.
3 risques de censure
À noter que le gouvernement pourra être censuré non seulement dans le cadre du PLFSS dès ce mercredi si la motion de censure du NFP ou du RN est adoptée, mais aussi à deux autres reprises en ce mois de décembre :
- dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion (qui vise à fixer les ajustements budgétaires pour l’année 2024), à partir du 6 décembre ;
- dans le cadre du PLF 2025 à proprement parler à partir du 20 décembre.
Pour rappel, une délégation calédonienne transpartisane est actuellement en déplacement à Paris. Composée d'élus du Congrès, elle rencontre l'ensemble des groupes parlementaires du Sénat et de l'Assemblée nationale pour défendre ces trois amendements.