Homes indiens en Guyane : après des décennies d'assimilation forcée des autochtones, le besoin pressant de vérité

Marche des Amérindien à Cayenne le 9 août 2013 pour la journée des peuples autochtones de Guyane.
Lors d'une soirée à l'Assemblée nationale, une ONG de défense des droits de l'homme a présenté son rapport sur l'assimilation forcée des jeunes autochtones dans les pensionnats gérés par l'Église catholique entre 1935 et 2023. Elle préconise la création d'une commission vérité, pour faire toute la lumière sur ce pan douloureux de l'histoire guyanaise.

Que s'est-il passé dans les homes indiens de Guyane, ces pensionnats gérés par l'Église catholique entre 1935 et 2023, où furent internés près de 2 000 jeunes amérindiens ? "Faut-il attendre que les anciens pensionnaires (...) meurent tous, pour faire une CVR [Commission vérité et réconciliation] ?", pressait le grand défenseur des droits autochtones Alexis Tiouka en septembre dernier. Lui ne verra malheureusement jamais la couleur de cette commission : il est décédé le 4 décembre dernier, à l'âge de 64 ans. Mais son combat pour la vérité et les réparations n'en est pas moins terminé.

Jeudi 1er février, dans la salle Victor Hugo de l'Assemblée nationale, de nombreuses personnalités politiques et de la société civile, ainsi que des Amérindiens de Guyane, étaient réunis par l'IFJD - Institut Louis Joinet pour présenter un rapport sur ces homes indiens, mis en place au XXᵉ siècle pour "éduquer" les peuples autochtones du département amazonien. Mais cette éducation religieuse, soutenue financièrement par l'État depuis la fin des années 1940, était en réalité une assimilation forcée, qui a eu pour conséquence d'effacer petit à petit l'identité indigène des premiers peuples d'Amazonie.

Une acculturation forcée

L'ONG, créée il y a une dizaine d'années pour lutter contre les violations des droits humains et qui s'est spécialisée dans la justice transitionnelle, a commencé son travail sur la Guyane en 2019, après avoir rencontré Alexis Tiouka. Lui-même a passé quelque temps dans un home indien lorsqu'il était plus jeune. Début 2023, il a contribué à créer un collectif pour la mémoire des homes indiens, cherchant à obtenir la reconnaissance des mauvais traitements subis au sein de ces internats.

Guyane la 1ère avait recueilli le témoignage d'une ancienne pensionnaire en 2022 :

Comme l'a révélé l'ouvrage Allons enfants de la Guyane de la journaliste Hélène Ferrarini (Anacharsis) en 2022, deux milliers d'enfants amérindiens ont été internés dans ces instituts gérés par l'Église. Le premier a vu le jour à Mana, dans l'Ouest guyanais, en 1935. Huit autres établissements ont ensuite ouvert dans tout le territoire, de Maripasoula à Sinnamary, en passant par Saint-Georges de l'Oyapock.

Dans ces pensionnats, les jeunes descendants des autochtones étaient séparés de leur famille, de leur tribu, forcés à s'acculturer à la langue et aux coutumes françaises. Yuwey Henri, une Kali'na originaire de Guyane, a assisté à la restitution du rapport de l'IFJD, jeudi. "Ça me rappelle des souvenirs qui sont devenus miens parce qu'ils m'ont été transmis par mon père, par ma grand-mère, par mes oncles et mes tantes", raconte la femme, âgée d'une trentaine d'années. Son père, Paul Henri, premier maire de la commune d'Awala-Yalimapo, a passé une partie de sa jeunesse dans ces homes indiens. À sa fille, il a raconté l'interdiction de parler la langue kali'na, "sa langue racine", mais aussi l'interdiction tout court d'être des enfants. Des jeunes "formatés".

Une commission vérité sur les homes indiens

"Les témoignages qu'on a reçus font état de souffrances de la part des élèves qui sont passés par les homes, dit Jean-Pierre Massias, le président de l'Institut Louis Joinet. Il y a des violences culturelles (...), des violences structurelles, de type coloniales. Peut-être des violences physiques..."

Le document qu'il a présenté devant un parterre d'invités à l'Assemblée nationale se veut être une pré-enquête sur ces internats guyanais, dont on sait encore si peu. Le dernier pensionnat, situé à Saint-Georges, n'a fermé ses portes qu'en 2023. C'est dire si cette histoire est encore récente.

Archives photos d'enfants amérindiens placés dans des homes indiens, des pensionnats catholiques en Guyane

L'IFJD reconnaît cependant ne pouvoir documenter que la partie immergée de l'iceberg. Aujourd'hui, tout, ou presque, reste à faire. "On n'a pas la preuve et on ne peut pas accuser l'Église d'avoir commis des crimes en Guyane", précise M. Massias. Mais certains témoignages font état de violences sexuelles, par exemple.

C'est pourquoi il demande la création d'une commission vérité, qui permettrait d'enquêter largement sur ce pan douloureux de l'histoire guyanaise. "Dans beaucoup de pays où les problèmes ont été les mêmes, on a répondu par des commissions vérité", souligne le président de l'ONG. Comme au Canada, ou encore sur les agressions sexuelles dans l'Église en France avec la Ciase.

"Avec ou sans l'État, avec ou sans l'Église"

Une pétition a été lancée pour mettre la pression sur les pouvoirs publics et permettre la mise en place d'une telle commission, qui aurait les moyens de faire la lumière sur toutes les questions qui restent sans réponse. 

Mais les soutiens de l'initiative, parmi lesquels les députés du groupe Gauche, démocrate et républicaine à l'Assemblée, et en premier chef l'élu guyanais Jean-Victor Castor, doutent de la volonté de l'État d'avancer sur ce sujet. "Ils [l'État et la préfecture] ont joué de certaines divisions, ils ont influencé le Grand Conseil Coutumier [qui a d'abord soutenu le travail de l'IFJD avant de se rétracter, NDLR] pour que ça ne se fasse pas", dénonce-t-il au micro d'Outre-mer la 1ère.

Mais il n'en démord pas : la commission vérité "verra le jour avec ou sans l'État, avec ou sans l'Église", promet-il. "Il y a besoin d'enquêter", soutient Jean-Pierre Massias.

Yuwey Henri, émue de se retrouver parmi d'autres autochtones pour qui, comme elle, les homes indiens ont marqué l'histoire de leur famille, espère qu'une telle commission pourra "rendre visible ce qu'il s'est passé en Guyane". "Que sommes-nous si nous n'avons plus rien à transmettre ?", demande-t-elle. Une question que se posait aussi Alexis Tiouka.